LES AMANTS DE JULIETTE & Majid BEKKAS
(Quoi de neuf Docteur ? / Les Allumés du jazz)
La création du trio LES AMANTS DE JULIETTE remonte à 1993. « JULIETTE » a donc atteint sa majorité, et comme on n’est pas sérieux quand on a dix-huit ans, elle s’est entourée de trois amants qui lui en ont fait déjà voir (et écouter) de toutes les couleurs. Et parce que JULIETTE et ses AMANTS aiment les voyages (qui comme chacun sait forment la jeunesse à tout âge), ces couleurs viennent de plusieurs mondes.
Ce sont celles que traîne le vent de liberté d’un certain jazz buissonnier, que personnifie la trompette de Serge ADAM, dont le jeu brillant et profus évoque aussi les fulgurances est-européennes. Ce sont celles figurées par le piano de Benoît DELBECQ, qui n’est pas en reste d’audace jazzistique, virant volontiers au contemporain, ou – quand il se retrouve « préparé » avec des résonateurs – se tournant ostensiblement vers les rythmes indonésiens, ou se parant d’accents africains. Et puis ce sont les artifices rythmiques des percussions de Philippe FOCH, avec notamment des tablas qui renvoient à l’art savant d’une Inde millénaire, mais qui ne semblent guère souffrir du déracinement.
Ainsi la grammaire jazzy des AMANTS DE JULIETTE ne cesse-t-elle de se régénérer et de s’élargir au contact des musiques à la fois contemporaines et traditionnelles. Et parce que JULIETTE est manifestement dotée d’un appétit insatiable, elle a ramené pour son cinquième album un quatrième « amant », à savoir rien moins qu’un maître gnawa doublé d’un routier éprouvé de la scène maghrébine, Majid BEKKAS, l’un des plus à même de comprendre et de parler son langage.
Ce compositeur et multi-intrumentiste marocain (il joue du oud, du guembri et de la guitare) est en effet un adepte des rencontres et des fusions musicales entre la musique traditionnelle des Gnawas, la musique d’Afrique subsaharienne, la soul et le blues. (Certains se souviennent peut-être de son groupe des années 1990 au nom explicite GNAOUA BLUES BAND.) Et depuis une quinzaine d’années, il a étendu ses rencontres avec certains noms de la scène jazz, à commencer par Louis SCLAVIS, mais aussi Ramon LOPEZ et Joachim KÜHN.
EN 2007, la Maison de la musique de Nanterre, jamais à cours dès qu’il s’agit de programmer des moments musicaux d’exception, a servi de terrain de rencontre à Majid BEKKAS et aux AMANTS DE JULIETTE. Grâce à cette publication discographique un rien tardive (plus de trois ans), il nous est possible de vivre ou de revivre les instants enflammés auxquels se sont livrés JULIETTE, ses AMANTS de longue date et son amant de passage.
C’est en toute aisance que Majid BEKKAS a glissé ses riffs du Rif dans les sinuosités polytimbrales et les éclats polyrythmiques des AMANTS DE JULIETTE. La trompette, les percussions et le piano ont trouvé dans le oud et le guembri des compagnons d’aventure de première classe. Sans rien perdre de leur identité sonore, caractérisée par une indomptable transculturalité sublimée, les AMANTS DE JULIETTE explorent l’univers de la transe gnawa avec un enthousiasme jamais pris en défaut.
La trompette et le piano, généralement assez loquaces, ont de temps à autres laissé le magicien des cordes afro-arabes dialoguer en toute complicité ethno-acoustique avec les tablas et autres percussions de Philippe FOCH, le temps d’une ballade brinquebalante en plein soleil dans Hamdouchia ou d’une adaptation du traditionnel Chalaba, qui a manifestement enflammé le public nanterrien. Et à ses cordes lourdes d’histoire, Majid BEKKAS a aussi ajouté sa voix chaude et envoûtante dans Tannaraf et Shyness is Beautiful. La transe – d’une nature certes non orthodoxe – fut donc au rendez-vous, qui plus est desservie par une prise de son saillante.
Voilà donc une association qui ne brosse pas dans le sens du poil, mais qui dispense de belles caresses à l’auditeur gourmand de configurations exploratoires.
Stéphane Fougère
Label : www.quoideneufdocteur.fr/
Distribution : https://www.lesallumesdujazz.com/
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS en 2010)