Bijan CHEMIRANI / Redi HASA / Rami KHALIFÉ – L’Antidote

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Bijan CHEMIRANI / Redi HASA / Rami KHALIFÉ – L’Antidote
(Ponderosa / Believe / Pias)

Vus sur une mappemonde, l’Iran, l’Albanie et le Liban ne sont pas franchement proches, et rien ne laisse donc à supposer que leurs univers culturels puissent être reliés de quelque façon. Mais cela n’empêche pas un Iranien, un Albanais et un Libanais de se rencontrer et d’avoir des choses à se dire, notamment via cet outil de dialogue fort commode qu’est la musique, et aussi un goût prononcé de chacun d’eux pour l’écoute et l’expérimentation. C’est ce qu’ont fait Bijan CHEMIRANI, Redi HASA et Rami KHALIFÉ à la fin de l’hiver 2020, dans un studio niché près de la ville italienne Lecce, dans la région des Pouilles. Orchestrée par Titi SANTINI, patron du label Ponderosa Music, leur rencontre artistique a engendré un corpus original de compositions d’où se dégagent moult fragrances orientales, levantines et méditerranéennes, mais traité de manière très personnelle.

Ce premier album du trio n’est pas la somme de trois parties que l’on aurait juxtaposées à la va-que-je-te-pousse afin d’en faire un nouveau modèle de « dialogue entre les cultures ». Fruit d’une alchimie peu commune, il définit d’ores et déjà un son de groupe qui transcende les codes. Mais alors qu’on aurait tout bonnement pu l’appeler « L’Alchimie », ce disque a été baptisé L’Antidote, titre qui a peu ou prou donné son nom au trio, et qui souligne un dessein que l’on devine au moins thérapeutique. Mais de « new age » il n’est point question. Quelque chose de plus profond s’y décèle.

« L’Antidote, c’est un îlot où nous avons pu nous rencontrer pour jouer une musique qui nous ressemble et qui nous rassemble au-delà des individualités », déclare le percussionniste iranien Bijan CHEMIRANI (l’une des composantes du TRIO CHEMIRANI), dont on connaît l’appétence pour les créations pluriculturelles (cf. ses albums Eos, Gulistan, son groupe ONEIRA, sa participation à FORABANDIT, ou ses collaborations avec Stelios PETRAKIS, Ross DALY, Nayan GHOSH, Paul GRANT, Kevin SEDDIKI, Annie EBREL, etc.). À la base, il y a donc un endroit, mais il y a aussi un moment. Et si le projet a mis quelque temps à se finaliser, c’est précisément parce que la fin de la première résidence du trio a correspondu avec un funeste événement de portée mondiale, à savoir la pandémie de Covid-19, qui a paralysé bon nombre d’activités humaines et dont les conséquences directes et indirectes continuent à déstabiliser les esprits. Et bien sûr, depuis, les querelles entre les peuples ont repris de plus belle, comme si rien ne s’était passé.

De leurs côtés, Bijan CHEMIRANI, Redi HASA et Rami KHALIFÉ ont dû attendre l’automne 2024 pour pouvoir effectuer une nouvelle séance d’enregistrement. Mais dans la graine musicale qu’ils avaient auparavant semé se lovait déjà, sans doute inconsciemment, une intention qui dépassait les stricts cadres musicaux, esthétiques et culturels. Cette musique, dans son essence, répondait à une nécessité intérieure, celle de guérir les âmes. Le titre du disque et du projet était tout trouvé : cette création sera l’Antidote.

Le terme pousse à imaginer trois sorciers bienfaisants se livrant à quelque expérience laborantine afin d’élaborer une mixture vaccinale faite de choses et de machins… En l’occurrence, les ingrédients mis à contribution sont les instruments acoustiques des uns et des autres ; le violoncelle pour l’Albanais Redi HASA – connu pour s’être investi dans des créations originales aptes à faire évoluer la musique traditionnelle italienne, aux côtés de Maria MAZZOTTA, de Ludovico EINAUDI, ou pour avoir offert ses services à Robert PLANT pour son disque Carry Fire – ; le piano du Libanais Rami KHALIFÉ (le fils du oudiste Marcel KHALIFÉ), dont la carrière a pris son envol dans les années 2000, que ce soit en solo comme au sein du groupe AUFGANG ; et les zarb, daf, saz lafta et calebasse de Bijan CHEMIRANI.

Agencés dans des combinaisons diverses d’une composition à l’autre, ces instruments portent déjà la promesse d’une musique d’essence acoustique porteuse de réminiscences pluriculturelles et prompte à jouer du relief, du contraste, de la profondeur. Mais quand en plus ils sont joués en faisant montre ça et là de techniques diverses et avancées (piano préparé pour KHALIFÉ, distorsion pour HASA…) et que recours a été fait – de manière très subtile, on vous rassure – à l’outil électronique, on réalise que le propos dépasse bien le thème de la seule « rencontre » éphémère et que le trio a bel et bien peaufiné son ouvrage pour lui faire servir une cause qui dépasse les seuls savoir-faire de ses individualités, à savoir engendrer une musique suffisamment transcendante pour que sa beauté soit à même d’illuminer les esprits.

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Guérisseur, l’Antidote l’est sur plusieurs modes : contemplatif à un endroit, extatique sur un autre, mélancolique par ici, ludique par là, rêveur un jour, dansant une nuit, au gré d’un ample panel de nuances colorées, de clairs-obscurs, de flottements émouvants, de sursauts jubilatoires, de recueillements intenses, de souffles rassérénants, d’hypnoses grisantes…

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Bijan CHEMIRANI, Redi HASA et Rami KHALIFÉ cultivent une beauté mouvante, émanant de plusieurs sources mais qui génère son propre espace, sa propre temporalité, et qui distille ses respirations avec beaucoup de raffinement. Dire si cette beauté peut sauver le monde est laissé à l’appréciation et à la réflexion de chacune et de chacun, mais cet Antidote créé par nos trois compères est de nature à le faire croire si on s’en imprègne attentivement. Il n’y a pas d’effets secondaires à en craindre, autres que de faire sourire les oreilles et à faire danser les yeux. En attendant de changer le monde, c’est toujours ça de pris !

Stéphane Fougère

Site : https://lantidote.eu

Page label : https://ponderosa.it/artist/lantidote

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