EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN – Alles in Allem
(Potomak)
C’est au mois de mai qu’est sorti le tout nouveau disque de EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN en version CD simple et en coffret deluxe, magnifique et coûteux objet avec en plus un livre, des inédits et un DVD-ROM.
Le groupe au grand complet rayonne, la voix de BARGELD est sublime, et les textes en allemand (traduits également en anglais) toujours aussi poétiques, mystérieux et drôles (« wedding ding ding »), forte d’une imagerie foisonnante: « Here come the daughters of the desert and the sons of snakes », « I sing and i sing until the Hundred-eyes gets sleepy », « A plasma cell without its nucleus ».
La musique a évidemment perdu de sa folie, délaissant le côté agressif et expérimental (Zivilisatorisches Missgeschick est le seul titre où l’aspect expérimental et bruitiste est encore quelque peu perceptible) pour privilégier des ambiances toujours très riches en détails sonores mais beaucoup plus abordables, plus calmes. Trop calme est ce disque, diront les fans de la première heure ! Et ils auront raison. Pour les nostalgiques des années métalliques, c’est un album « molasson », sans grandes surprises, même s’il est bien meilleur que le précédent, Lament, long et ennuyeux.
En plus des nombreux instruments, ceux que nous appellerons « normaux » (basse, guitares, claviers) et ceux bidouillés ayant fait la renommée de l’édifice sonore du groupe (metal sheet, metal percussion…), s’ajoutent une multitude de bizarreries les plus improbables et les plus inventives pour donner vie à des sons spécifiques (« building site sample » sur Taschen, cat-of-seven yogurt-lid tails sur Grazer Damm, wedding recording expedition sur Wedding, diverses voix samplées sur Ten Grand Goldie), des cuivres (trombone), de la harpe et même un quatuor à cordes (violons, violoncelle, viole). La présence de ces instruments à cordes apporte énormément à l’esthétisme de certaines compositions comme au temps de Ende Neu avec The Garden. Les envolées sont ici soyeuses et superbes.
Plus nous avançons dans l’écoute de ces nouveaux titres, plus nous entrons dans un paysage sonore fait de silence et de beauté. En fait, le disque devient nettement plus intéressant à partir du quatrième titre, Zivilisatorisches Missgeschick qui est les plus étrange et le plus proche de l’esprit des débuts.
Toute la diversité sonore des NEUBAUTEN transparaît aussi sur Taschen avec son symphonisme aérien, ses percussions (bags, metal percussion) aux intonations très world, tribales et exotiques. Seven Screws semble vouloir naviguer sur les mêmes eaux tranquilles avec ces cordes et cette harpe enchanteresse, si ce n’est que la tempête n’est pas très loin lorsque nous entendons ces montées en puissance qui auraient mérité ici d’être développées plus longuement.
Alles in Allem est sans doute la plus belle chanson, très mélancolique, avec Blixa jouant de l’harmonium et du vibraphone et le son de basse profond et inimitable de HACKE. D’une grande beauté poétique, le texte offre des passages superbes: « In this infinitude I’m too – All in allb- Infinitely often existent ».
Nous nous laissons aussi facilement envoûter par le lancinant et répétitif Grazer Damm à l’ambiance urbaine plus obscure et sombre (mise en avant par la présence dominante de la basse), où le conteur BARGELD nous invite à le suivre au cœur de cette rue berlinoise.
Une touche d’étrange féérie et un appel au silence sacré viennent achever d’une assez belle manière ce disque avec Tempelhof, où des sons de cloches et de la harpe s’ajoutent au reste de l’instrumentation. De cette chanson mélancolique se dégage une impression de fin ou le début d’une nouvelle ère.
Et pour ceux qui regrettent effectivement les débuts dissonants du groupe, Alles in Allem n’est rien d’autre qu’un album entrant dans la logique même de son évolution musicale, qui suit la voie tracée par ses prédécesseurs et notamment par le disque Alles Wieder offen (les trois premiers morceaux, assez quelconques d’ailleurs, pourraient être en effet des rescapés de cette époque).
Il faut aussi se rappeler que déjà les deux premières parties de Fiat Lux sur Haus der Lüge et des albums comme Tabula Rasa (leur premier disque véritablement abordable) et Ende Neu (leur deuxième disque le plus abordable) dans les années 1990 annonçaient clairement le futur sonore qu’allait aborder les NEUBAUTEN. La violence bruitiste, la guérilla métallique et industrielle de l’ancienne Allemagne s’effacent pour privilégier l’émotion.
Le groupe a atteint un niveau d’apaisement certain sur le plan musical mais aussi vocal. Les années se sont écoulées et les musiciens ont pris de l’âge. C’est un facteur à ne pas négliger.
Alles in Allem a les allures d’un album de recueillement aux atmosphères solennelles et crépusculaires. Cela ne veut pas dire que le groupe a perdu de son inventivité. Il n’en est rien. Même s’il n’est plus autant furieux, il reste toujours intéressant, utilisant par exemple le sampling sur le premier titre et d’autres curiosités soniques qui savent avant tout être mélodiques.
Et c’est ce qui fait la force et l’intérêt d’un tel disque. Il démontre que le groupe a su évoluer dans le bon sens en composant des chansons à la fois intelligentes et accessibles pour un plus large public.
Cédrick Pesqué
Site : https://neubauten.org/