FAUST + NURSE WITH WOUND – Disconnected
(Art-errorist)
La scission opérée au sein de FAUST depuis la fin des années 1990 ayant donné naissance à deux entités « faustiennes », il convient de préciser que c’est sous la forme du trio composé des deux piliers d’origine Zappi DIERMAIER et Jean-Hervé PERON, appuyés par Amaury CAMBUZAT d’ULAN BATOR, qu’a été conçu cet album studio de FAUST. Et surprise, il s’agit d’une collaboration avec un autre groupe ! C’est ainsi l’entité de Steve STAPLETON, NURSE WITH WOUND, complétée par Colin POTTER et subrepticement Diana ROGERSON, qui a eu la charge de la production et du mixage de Disconnected. De même, la pochette du CD a été réalisée par l’alter ego de STAPLETON, Babs SANTINI.
Faut-il s’étonner tant que ça de cette rencontre artistique ? Le goût de l’excursion et du défrichage – découlant d’un fort penchant pour le dadaïsme et le surréalisme – ont toujours été partagés par FAUST comme par NURSE WITH WOUND, lequel a également cité le premier comme l’une de ses références primordiales. Ces deux monstres sacrés de l’expérimentation musicale partagent bien des points en commun, même si on ne les a pas toujours classés dans le même bac. Leur rencontre tient donc de ce hasard dit objectif et semble s’être elle aussi effectuée sur une table de dissection, comme en son temps celle d’un parapluie et d’une machine à coudre…
Le premier morceau, Lass mich, est construit comme un collage de séquences qui font entendre des trames rythmiques aussi métronomiques que capiteuses juxtaposées avec des bribes de voix, des samples divers et des boucles bourdonnantes. Le souvenir du tout premier album sans titre de FAUST revient en mémoire, sauf que le non-sens joyeusement bordélique affiché par le trublion « kraut » est assurément tempéré par les bons soins de l’avatar « stapletonien », dont on sait qu’il raffole aussi des techniques de collage.
Si le troisième morceau, Tu m’entends ?, prend à nouveau les allures d’un collage privilégiant les trames percussives et les crissements divers, les deux autres pièces (le morceau éponyme à l’album et It Will Take Time) basculent sans ambages dans la languidité ondulatoire et contemplative tournant en boucle. Cultivant ouvertement une tonalité ambient et troublante, elles ouvrent sur un espace certes à priori plus proche de ce qu’a pu investir NURSE WITH WOUND, notamment avec son opus de référence Soliloquy for Lilith. Sauf que cet espace « modulatoire » est secoué ça et là par les particules idiomatiques de FAUST, notamment ses hypnoses rythmiques, simultanément urbaines et tribales, et ses trous d’air littéraires, qui sont ici hachés, dédoublés, ralentis, inversés, devenant bribes sémantiques spectrales, voire mantras séminaux.
Pour le coup, la déconnexion avec toute trace de repères rock, fussent-ils « kraut », est garantie ! Encore que… à y bien réfléchir… Du krautrock à la musique ambiant-industrielle (pour faire grossièrement court), il n’y aurait donc qu’un pas ? À l’écoute de Disconnected, on ne peut que se rendre à l’évidence.
Comme ce fut déjà le cas avec de précédentes collaborations (qu’on se souvienne d’Outside the Dream Syndicate, avec Tony CONRAD), FAUST s’éloigne encore davantage des syntaxes rock qu’il a déjà fortement bousculées dans son œuvre. En fait de déconnexion, c’est plutôt à une annexion des deux parties que nous avons affaire, et qui plus est magistralement réussie. À moins de considérer que la déconnexion en question renvoie au processus de déconstruction et de remodelage auquel s’est livré NURSE WITH WOUND du matériau faustien, devenu une manne pour les étalements synthético-organiques de ce dernier. En ce sens, nos oreilles assistent tout au long de cet album à une anamorphose sonore qui fait perdre effectivement tout sens identitaire (« Est-on chez FAUST ou chez NURSE WITH WOUND ? » étant la question-piège) en plus de toute notion temporelle et spatiale.
Une version collector de Disconnected contient un morceau supplémentaire, qui apparaît après une plage de silence. Il s’agit d’une ultime salve faustienne furieusement déjantée nommée Hard Rain et tirée du concert donné au festival Rock In Opposition 2007 à Carmaux ! Ceux qui y étaient se souviendront aisément que cette « ode au fils aux yeux bleus », avec ses décharges de perceuse, fut un moment fort de la performance de FAUST. Confirmation nous est ici donnée avec cet extrait « collector » suprême qui, évidemment, fait de prime abord tâche avec le reste du matériel proposé. Mais au moins, on sait qu’on est toujours chez FAUST.
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°23 – mars 2008,
et légèrement modifiée en 2021)