Ghalia BENALI – Romeo & Leila
(Zimbraz / Music & Words)
C’est l’histoire d’un amour improbable, impensable, impossible, au choix. C’est l’histoire de deux mondes qui se rencontrent alors que tout les oppose. C’est aussi l’histoire du combat d’une femme pour parvenir à aimer sans condition ni contrainte, en acceptant les différences, en combattant ses démons et en faisant fi d’une perception du monde unilatérale dont elle a héritée. C’est l’histoire d’une passion amoureuse autant que d’une initiation spirituelle. À la croisée des légendaires Roméo et Juliette et Layla & Majnun, tout aussi romantique et dramatique, mais moins tragique, Romeo & Leila est un conte enraciné dans le monde arabe mais aux projections universelles, aussi rayonnantes hier qu’aujourd’hui. Et dans un contexte de plus en plus globalisé, où les règles du passé sont ballottées par les nécessités des croisements, des rencontres et des mutations qu’ils provoquent, la question de l’identité devient d’autant plus saillante.
Les implications thématiques de Romeo & Leila se retrouvent dans le propre parcours de la chanteuse Ghalia BENALI : née à Bruxelles, élevée en Tunisie, elle a été nourrie de contes fantastiques de la poésie d’Oum KHALTOUM, de musique égyptienne, syrienne, libanaise, bref des musiques du monde arabe ; elle a vécu à la fois dans un monde à part replié sur des coutumes ancestrales en même temps que dans une modernité ouverte à toutes les possibilités de rencontres. Sa carrière artistique, sur disque comme sur scène témoigne de cette ouverture enracinée.
Dans son premier album conçu avec TIMNA, Ghalia BENALI creusait le sillon arabo-flamenco, tandis que sur son troisième, Al Palna, elle mêlait sa voix au sitar de Bert CORNELIS, explorant une expression plutôt arabo-indienne. Elle a aussi joué avec YODA, un groupe world assorti d’un didgeridoo, d’une clarinette, d’un djembé, avec le groupe NADA (en compagnie de Tom THEUNS, Bert CORNELIS, Pierre NARCISSE et Luc de GEZELLE) ou encore avec le groupe de jazz avant-gardiste MAAK’S SPIRIT.
C’est dire si Ghalia n’a jamais hésité à frotter son identité de femme arabe avec des artistes d’horizons et de d’origines diverses, quitte à revenir aux fondamentaux avec son dernier album, Ghalia BENALI sings Om KHALTHOUM, passage quelque peu obligé qui lui a valu une certaine consécration. C’est du reste la raison pour laquelle le label néerlandais Zimbraz, qui avait publié cet album ainsi que le précédent, Al Palna, ressort aujourd’hui Romeo & Leila, le deuxième album de Ghalia paru à l’origine en 2006, mais épuisé depuis quelque temps.
Il aurait effectivement été dommage de laisser ce disque sombrer dans l’oubli alors que Ghalia BENALI y développe une grammaire esthétique aussi exigeante que fascinante. Dans ce conte dont elle chante plusieurs moments-clé avec des textes de sa composition, sa voix chaude et rauque, imprégnée d’une sensualité envoûtante, exprime toutes les inflexions de l’âme du cœur humain: de la souffrance à la joie, du rire aux larmes, de l’anxiété à la sérénité. Et même si elle s’exprime dans un arabe littéraire que tout le monde ne peut certes comprendre, son expressivité émotionnelle est si forte qu’on se passe de toute « explication ». Chaque chanson est cependant évoquée dans le livret du CD par des versets poétiques et une illustration originale réalisée par Ghalia BENALI.
Quant à la musique, Ghalia l’a voulue sobre et dépouillée, aux antipodes des floraisons orchestrales symphoniques. Ici résonnent principalement des instruments à cordes : le oud de Moufadhel ADHOUM, le violoncelle d’Alex WATERMAN et la contrebasse de Vincent NOIRET, qui sculptent des formes contemporaines, de prime abord arides mais en fait riches de sonorités rares et innovantes, assaisonnées par endroits des percussions arabes d’Azzedine JAZOULI et de la discrète batterie d’Eric THIELEMANS.
Baignant en majorité dans un climat introspectif, Romeo & Leila visite autant l’univers des ondulations arabes que les circonvolutions jazz, les ondoiements nord-africains et les spirales moyen-orientales, voire centre-asiatiques, donnant ainsi une brillante illustration de sa résonance universelle.
Vous aviez raté cet opus majeur à l’époque de sa première sortie ? Ne passez donc pas à côté de cette édition de rattrapage !
Stéphane Fougère
Label : https://musicwords.nl/
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS en 2011)