GONG – Zero to Infinity

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GONG – Zero to Infinity
(One-Eyed Salmon / Snapper Music / Wagram)

Il y a des séries qui n’en finissent pas, et d’autres dont on attend la suite… Celle de Zero the Hero, programme régulier du canal Radio Gnome, animé par le groupe GONG, allie ces deux caractéristiques. Il a fallu attendre 17 ans pour avoir la suite de You, le troisième épisode, et 8 ans de plus pour enfin avoir le successeur du quatrième, Shapeshifter. On se souvient du reste que le personnage principal mourrait à la fin de ce dernier. Cela n’empêche nullement de le retrouver dans ce nouvel album, évoluant sous une forme androïde virtuelle ! Zero n’a pas de fin, il a juste rejoint l’infinité… Ainsi GONG, à l’aube de l’an 2000, assure-t-il sa pérennité, longtemps après GONG est mort…

Depuis les huit dernières années avant l’an 2000, la planète GONG avait vu son noyau originel réécrire en concert, au gré des acteurs disponibles, les essentiels chapitres de la légendaire trilogie Radio Gnome. C’était certes distrayant et pédagogique, mais on se demandait à la longue si ces retours en boucle n’accréditaient en fin de compte que le constat d’un interminable épilogue qui se serait figé dans le passé, tandis que l’innovant Shapeshifter ressemblait de plus en plus à une étoile filante qui s’excusait presque de ne faire que passer. Mais, en définitive, il est logique que GONG ait choisi cette période de transition millénariste pour renaître, inscrivant sa trajectoire dans l’infinité…

Ça n’aura pas été sans mal, vu les incessants changements de personnel qu’a connus le groupe ces derniers temps. De la grande époque restent donc aujourd’hui Daevid ALLEN, Gilli SMYTH et Mike HOWLETT, qui ont trouvé en Théo TRAVIS et en Chris TAYLOR de très louables renforts.

Le premier est saxophoniste, grassement diplômé et nominé ; il a joué avec le trio KARN/JANSEN/BARBIERI, John ETHERIDGE, Bill BRUFORD ou encore PORCUPINE TREE, et il a monté son propre trio. Son arrivée dans GONG est d’autant plus bénie que Didier MALHERBE joue de plus en plus à « l’intermittent de la famille » ; sa participation à ce nouvel album se limitant à deux morceaux. (Dommage, sa flûte en bambou et son doudouk s’intégraient pourtant très bien.) Le second est batteur et a travaillé avec SOUL II SOUL, TALK TALK, Ian DURY, RED CRAYOLA, et a su remplacer au pied levé le démissionnaire Pierre MOERLEN lors de la tournée européenne de GONG l’an dernier.

Sur un scénario toujours écrit par Daevid ALLEN, le cinquième volet des aventures de Zero the Hero a été taillé sur mesure pour les nostalgiques et les admirateurs des trois premiers épisodes. L’orientation musicale de Zero to Infinity s’inscrit très nettement dans les foulées telluriques et cosmiques de Angel’s Egg et de You, mais avec cette fois une empreinte « cool jazz » plus marquée.

On s’en assurera à l’écoute de la croisière lunaire baptisée Infinitea, et plus encore avec le trekking sidéral de The Invisible Temple, véritable cousin germain de You Never Blow Y’r Trip Forever.

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L’absence de guitariste ayant obligé Daevid ALLEN à concentrer ses efforts sur la guitare glissando, ses manifestations vocales paraissent plus disséminées. Bien sûr, la prêtresse Gilli SMYTH continue d’envoûter avec ses « murmures spatiaux », notamment sur le nocturne et langoureux Yoni on Mars.

De ce fait, l’album est plus riche en planeries spiraliques qu’en théâtralité anarchiste. Le thé y a supplanté la banane et le camembert électrifié, lequel est devenu plus « coulant », et ce n’est pas un hasard si les plages extatiques y sont plus convaincantes que les pièces de facture plus rock. Mais gageons que le cyber-cold-métallique Zeroid ou le plus trublionesque The Mad Monk, chanté en mode rap, gagneront à passer l’épreuve du live…

Cela dit, le primesautier Magdalene constitue un bel exemple d’ouverture réussie en plus d’être exotique, avec les appels tribaux d’ALLEN (« Yoh ! ») et le solo planant de doudouk de Didier MALHERBE.

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Bodilingus est aussi une curiosité en forme de reggae survitaminé et bien explosé, et on y retrouve un esprit très « pot-head pixien » avec les paroles foutraques de Daevid ALLEN.

Bien que TRAVIS et TAYLOR se soient investis dans l’écriture de cet album, le groupe paraît avoir manquer de temps pour constituer un répertoire plus étoffé et totalement inédit. De fait, Daevid ALLEN a refourgué sur ce nouvel opus deux de ses chansons devenues des classiques de sa discographie soliste.

Le délicieux Tali’s Song, écrit au début des années 1980, permet à Théo TRAVIS d’étendre ses prouesses à la flûte cette fois, conférant une couleur moyen-orientale à la chanson. Wise Man in Your Heart est lui aussi revisité dans une version plus réussie que celle de Good Morning, mais peut-être pas autant que celle du Live at the Witchwood 1991 des MAGICK BROTHERS, malgré le concours toujours appréciable de Mark ROBSON (KANGAROO MOON). Il me semble d’ailleurs que Wise Man in Your Heart était à l’origine prévu pour figurer sur You… Sa présence ici n’a donc rien d’incongru, tant Zero to Infinity fait écho en plusieurs endroits à ce troisième volet de la trilogie Radio Gnome, avec toutefois un degré de folie moindre mais avec une production léchée. L’infinité mérite bien cela, non ?

25 ans après sa période la plus féconde sur le plan artistique, GONG se réinvente donc du mieux qu’il peut avec les forces dont il dispose. Cela dit, même s’il paraît un poil plus sage et policé que ses prédécesseurs, Zero to Infinity est un nouvel épisode qui a de beaux atouts pour séduire les prospecteurs de musique céleste un brin décalée. En espérant que GONG profitera de cette « infinité » pour aller encore plus de l’avant !

Stéphane Fougère

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°6 – mai 2000, et remaniée en 2020)

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