HEDNINGARNA – &
(Border Music)
En 2012, l’expansion du marché des musiques du monde n’est plus exactement à l’ordre du jour, et le folk scandinave n’est plus franchement diffusé « hors les murs ». C’est le moment que choisit HEDNINGARNA pour refaire surface en sortant un nouveau disque, diffusé quasiment sous le manteau. Ce groupe est décidément imprévisible. Et surtout, il change de visage comme de trajectoire sans crier gare. Ceux qui croyaient au retour nostalgique d’un groupe capitalisant sur ses succès d’antan en seront pour leur frais. Le HEDNINGARNA des années 2010 est encore une toute autre bestiole, qui repart pour ainsi dire de zéro.
D’abord, la formation est un trio, mais pas forcément celui qu’on pense. Si Anders NORUDDE et Hallbus Totte MATTSON sont toujours aux commandes, Bjorn TOLLIN ne s’est pas joint à l’aventure. En lieu et place, on découvre un certain Samuel ANDERSSON, crédité à une brochette d’instruments aussi imposante que surréaliste qui n’a rien à envier à celles de ses camarades. Et de plus, il est chanteur. C’est même sa voix qui se fait entendre sur toutes les chansons. Exit donc les chanteuses finlandaises. HEDNINGARNA est redevenu une stricte affaire d’hommes, et cela s’en ressent musicalement. Loin de jouer les folkeux fatigués sur le retour, ils bousculent encore les attentes et réinventent leur propos musical avec un surplus d’adrénaline. Il n’y a qu’à voir comment les trois compères exhalent leur souffle sur la pochette !
Fiddle, mora-harpe, vièle à roue, mora-oud, mandora-basse, mora-fiddle, cornemuse suédoise, accordéon, flûtes en bois et en sureau, tambourin, percussions… on a fait le compte, tout le fourbi est ressorti ! Et le percussionniste Valter KINBOM a même été invité à en rajouter sur quelques morceaux ! On ne s’attendait cependant pas à voir surgir le laptop, ni des programmations. D’emblée, Tjuren ravage les enceintes avec son « beat » électro, ce fiddle en boucle, cette guimbarde chatouilleuse, et le chant acéré d’ANDERSSON. C’est efficace et halluciné, le tube parfait ! En moins de deux, HEDNINGARNA a donné naissance au folk-pop-new wave !
L’instrumental Morafjälls arbore un son encore plus dense et « heavy », et la vièle à roue s’en donne à cœur joie. On retrouve un HEDNINGARNA plus familier, mais aussi plus tranchant. Hedna, un autre instrumental assez enlevé et roboratif, rappelle les heures électrisantes de Trä, dont l’écho se prolonge également sur le tendu et saturé Torget, assez (trop ?) réminiscent de Vargtimmen. Le sautillant Mycket vill da mera et son refrain « sing-along » est indubitablement taillé pour les dance-floors, et Men va fanken, porté par une voix aigrie et des hurlements simiesques, devrait réveiller les spécialistes du « head-banging ».
Le plus souvent enjoué et espiègle, le nouveau trio sait aussi renverser la vapeur le temps d’un Bonden plus glauque et pesant, et même hargneux en fin de parcours, et d’un mystérieux Domen, qui ferme la marche. Ce déferlement de décibels rugueuses, de bourdons récalcitrants, de beats plombés et de voix outrée est parfois atténué par des chansons au tempo ralenti, comme la ballade sucrée Vem är jag et la simili-valse Hedersmannen, un rien nostalgique.
Malgré des abords plus accessibles, ce disque fait montre d’une délectable autant que délictueuse approche punk rehaussée de dadaïsme. Il n’est que d’écouter le dégingandé Träslöjden, porté par une voix trafiquée, une boucle mélodique de fiddle, et des chœurs trop burlesques pour être vrais, sans parler de la crise de distorsion des cordes violoneuses à la fin.
En fait, quatre morceaux ont été co-écrits par Anders NORUDDE avec l’obscur duo PHILEMON ARTHUR & THE DUNG, ressuscité pour l’occasion. Ce groupe, auteur de deux CD parfaitement décalés et fièrement insolents, joue même sur un morceau de son cru, Hejsan Svejsan, aux allure de folk-country débraillé au refrain entêtant comme un mantra. Le second degré fait indubitablement partie du jeu et rend cet album aussi atypique qu’attachant.
Ce sixième opus des « Païens » n’a pas le relief mystique ni la dimension ritualiste d’un Kaksi ! ou d’un Trä, ni le groove chamanico-moderniste d’un Hippjokk, et encore moins la retenue apaisée d’un Karelia Visa. Il ressemble plus en revanche à un brûlot peinturluré par des sales gosses qui ne peuvent cependant cacher bien longtemps leur expérience, leur talent et leur inventivité. Ils les font servir à un propos plus immédiat, plus formaté « chanson », avec toutefois une sorte de sourire en coin – voire de ricanement pincé – qui en dit long.
Ah !, au fait, ce nouvel album s’intitule &. Hé ? Non : &. Et donc ? Et quoi encore ? Et puis voilà ? Tout simplement : & ! Manière de dire que tout n’avait pas encore été dit…
Stéphane Fougère