JAV CONTREBAND invite Nguyen LÊ – Onety One
(Jazz Action Valence / Inouïe Distribution)
Valence : enquête sur un jazz de contrebande. Objet du délit : l’album Onety One. Si les formations compactes vont si bien à la musique souvent intimiste de Nguyên LÊ (sans exclure de vigoureuses incursions dans son héritage hendrixien), JAV CONTREBAND (Jazz Action Valence CONTREBAND) nous propose ici un enregistrement tout chaud des compositions du maître dans une formule nettement plus orchestrale. Enregistré en novembre 2024, l’album nous donne à entendre des pièces composées par Nguyên LÊ pour des ensembles plus restreints (quartets, trios, duos). Le premier intérêt que l’on peut y trouver est que les parties de guitare sont assurées par Nguyên LÊ lui-même, preuve, s’il en fallait, que le JAV CONTREBAND a su, à partir des pièces ainsi revisitées, concocter un écrin sur mesure au maestro.
Nguyên LÊ à gauche et Pascal BERNE
(Photo Christophe Charpenel)
Nous nous livrerons plus loin à quelques comparaisons entre ces interprétations nouvelles et les moutures initiales enregistrées à l’origine par Nguyên LÊ dans des formats plus restreints mais il est important, au préalable, de contextualiser un peu le format et l’axe original propre à cette belle formation.
Pascal BERNE contrebassiste, arrangeur et directeur artistique de l’orchestre de Jazz Action Valence, est le capitaine de ce vaisseau qui se présente volontiers comme un « grand ensemble hétéroclite et iconoclaste de jazz ». Hétéroclite et « non réglementaire » – statut clairement assumé – puisque, pour servir les couleurs des arrangements de la formation, Pascal BERNE a jugé pertinent d’ajouter, à à la section rythmique classique, outre les cuivres et anches d’un équipage habituel, un tuba, une clarinette basse, un hautbois et un basson, instruments qui se fréquentent plus fréquemment au sein de l’orchestre classique.
Argument additionnel important de la formation, une section de cordes (proche du quatuor) permet d’en élargir la palette sonore puisqu’elle est composée de trois violons et d’un violoncelle. Jazz Action Valence, le JAV CONTREBAND se lance à chaque saison un défi peu commun : présenter au public des créations originales sur des esthétiques très diversifiées. Il a ainsi mis à l’honneur les répertoires de Frank ZAPPA, de PINK FLOYD, de Carla BLEY, de QUEEN, de Black and JAV Fantaisie, de Ella FITZGERALD, de Thomas De POURQUERY, David BOWIE et Jimi HENDRIX… Et parfois cela conduit le JAV CONTREBAND à produire un disque, comme ce fut le cas en 2021 avec l’album Tribute to David Bowie en collaboration avec David LINX : https://www.paniermusique.fr/jazz/4816-let-s-play-jav-contreband-featuring-david-linx-
Nguyên LÊ et Pascal BERNE au centre, entourés de la joyeuse bande du JAV CONTREBAND
(Photo Christophe Charpenel)
Derrière la baguette de Pascal BERNE, direction, compositions et arrangements vingt-cinq musiciens sont à la manœuvre : Isabelle LAUREY (violon), Stéphane CORTIAL (violon), Anne Le CORRE (violon), Violaine GRAS (violoncelle), Céline REYMOND (hautbois), Sophie REPOUX (clarinette), Gregory BLAUD (clarinette), Stéphane DUCROZ (saxophone soprano), Johannes LEIS (flûte), Florian CAMBOULIVES (flûte), Jérémy CONAN (sax alto), Florent SALERY (sax alto), Emmanuel HERVÉ (sax ténor), Alain ARNAUDON (sax ténor), Julien ALÉONARD (sax baryton), Léo JEANNET (trompette), Bernard VIGNON (trompette), Raphaël PROVENCHÈRE (trompette), Pierre BASSERY (trombone), Jean-Paul RASCLE (trombone), Jean-Paul GRAMPFORT (trombone), Nicolas POMMARET (tuba), Aurélie TRACOL (piano), Swannie GALINIER (clavier), Tommy RIZZITELLI (batterie).
Ce serait faire offense aux lecteurs de RYTHMES CROISÉS que de leur présenter Nguyên LÊ ; néanmoins il est bon de rappeler que ce contexte jazzistique de grande envergure n’est pas une expérience inconnue pour lui. En 1987, Antoine HERVÉ le choisit comme soliste de l’Orchestre national de Jazz. À partir de 1993, il est régulièrement le soliste invité du WDR Big Band de Cologne dirigé par l’arrangeur Vince MENDOZA. En avril 1994, il est encore soliste de la suite pour grand orchestre The New Yorker, écrite et dirigée par Bob BROOKMEYER et en mars 2010, il sera le soliste de la 5e symphonie d’Erkki-Sven TÜÜR, interprétée par l’Orchestre philharmonique de Brême.
Outre un style très personnel, ce philosophe et graphiste de formation, qui est un musicien autodidacte, se prévaut de sources d’inspirations très variées. Puisant dans ses racines vietnamiennes, mais riche également d’une compréhension approfondie de Jimi HENDRIX, Nguyên LÊ est un orfèvre qui travaille le son à la manière d’un sculpteur. Les sonorités qu’il exploite, les doigtés qu’il utilise, combinant flat-picking (jeu au médiator) et legato (jeu « lié ») et sa grande maîtrise du vibrato lui permettent d’exceller dans des chorus déchaînés et bien saturés comme dans ceux, retenus et délicats, où semblent se marier le son du koto japonais et celui du violon chinois. Chez lui, même l’attaque au médiator fait l’objet d’un dosage et d’une précision lui permettant de doser avec beaucoup de nuances le timbre de sa phraséologie. À l’aise dans nombre de formules (en duo récemment avec l’excellent pianiste et batteur Gary HUSBAND, lui-même membre du 4th DIMENSION de John McLAUGHLIN ou avec son trio ULTRAMARINE en 1983), chacune de ses prestations démontre une capacité d’adaptation et une grande complicité avec ses musiciens, et impacte fortement le public par son aptitude au renouvellement.
L’album Onety One s’ouvre sur la pièce intitulée Becoming Water. Nous vous en proposons l’écoute ci-dessous.
Cette pièce relève haut la main le challenge consistant à maintenir l’équilibre délicat entre l’orchestre et la guitare : un écrin d’harmonies que RAVEL n’aurait pas renié accueille un superbe chorus de flûte suivi d’un solo de guitare en son clair dont le phrasé précis module avec tact une mélodie orientale pentatonique. Il est judicieux de mettre en regard de cette version la pièce originale intitulée Devenir Eau dont l’arrangement et l’interprétation ne cachent pas l’aspiration du compositeur à mélanger les dimensions graphiques et sonores. Cette évocation de fluidité est très en phase avec la couleur sonore de la pièce telle que JAV CONTREBAND et Nguyên LÊ nous la donnent à redécouvrir.
L’entrée en matière étant faite, notre oreille, charmée, est prête pour aborder Onety One, la pièce titre de l’album. Nous vous proposons ici de faire un détour par la version qu’en donnait Nguyên LÊ en duo avec Gary HUSBAND au Petit Duc en 2023.
Après une introduction assez libre émerge un leitmotiv joué à la basse : Nguyên LÊ ne rechigne pas à l’emploi de boucles – il maîtrise aussi la basse – et le synthétiseur couplé à sa guitare lui permet d’étendre la texture harmonique de ses compositions. Gary HUSBAND va poser son jeu groovy a souhait sur cette mesure en 23/8 qui charpente la suite de la pièce. La mélodie jouée à la guitare s’ouvre ensuite sur une improvisation soutenue par un Gary HUSBAND subtil et à l’écoute. Celui qui fut, avec Chad WAKERMAN, le compagnon de route de Allan HOLDSWORTH montre ici tout son talent d’accompagnateur et de soliste.
Dans cette version, si la métrique est respectée – le but était un peu de la mettre en évidence – la plupart des variations et modulations de la version initiale enregistrée en studio sont absentes. A titre de comparaison voici ce que donne la version studio enregistrée par Nguyên LÊ en trio avec Chris JENNINGS à la basse acoustique et Rhani KRIJA, aux percussions, gumbri (instrument gnaoua) et chant.
Ces modulations sont à nouveau restituées dans la version qu’en donne le JAV CONTREBAND et l’orchestration confère à la pièce une dynamique qui est le meilleur des deux mondes : le groove de la version duo se trouve enrichi des couleurs de la version trio mais les timbres du JAV CONTREBAND enrichissent encore la beauté de la pièce, conférant un éclat nouveau à cette pièce dans laquelle Nguyên LÊ, soliste, s’exprime avec brio et fluidité. Du grand art, une osmose très réussie.
Deux autres pièces sont liées sur cet album : La Voie du Thé et Dans un jardin qu’on dirait éternel. Ce deuxième titre fait référence au film de Tatsushi OMORI d’après l’essai autobiographique de Noriko MORISHITA mais intitulé en japonais Nichinichi Kore Kôjitsu, ce qui signifie Chaque jour est un bon jour. Ce proverbe japonais issu du bouddhisme zen invite à vivre chaque instant comme une chance unique. Le propos du film évoque le désarroi d’une jeune femme contemporaine dont, peu à peu, l’ancrage dans la saveur de la vie se fait grâce à la découverte de La Voie du Thé (chadô / pron : tchadô). On peut être tenté de décrypter en filigrane la quête permanente d’équilibre inhérente à la démarche du compositeur dont l’héritage jazz et rock le dispute à l’évocation de ses racines orientales, ainsi qu’en témoignent ses collaborations (liste non-exhaustive !) avec Mieko MIYAZAKI, Prabhu EDOUARD, Hariprasad CHAURASIA ou Ngo Hong QUANG.
L’objet du présent article n’étant pas de dévoiler tous les trésors de cet excellent album nous nous bornerons à en donner la liste des autres titres, non sans évoquer toutefois ce double hommage, celui du JAV CONTREBAND et celui de Nguyên LÊ, à un musicien qui est une grande référence pour l’un et pour l’autre, Frank ZAPPA. La version de Watermelon in Easter Hay qui conclut l’album est tout simplement fabuleuse et justifie à elle seule la présence de ce superbe CD dans votre discothèque !
La création officielle de ce Onety One hors des sentiers battus a eu lieu le samedi 17 mai 2025 lors du concert du JAV CONTREBAND à LA NUIT DE TOUS LES JAZZ(s) à Crest organisée par Le Train Théâtre, Jazz Action Valence, Crest Jazz et Zebracordes.
Pour en apprendre plus sur la biographie et le parcours de Nguyên LÊ, nous ne saurions trop vous recommander la lecture attentive de son site très bien documenté : https://www.nguyen-le.com/Site_Nu/Bio_F.html
Pour conclure cette incursion dans l’univers de ce guitariste inspiré et inspirant, nous nous permettons de vous faire découvrir son travail en duo avec Daniele CAMARDA et notamment la pièce Maadal. La pièce a été improvisée et enregistrée dans le cadre des sessions de MANNE Guitars, atelier de lutherie qui a réalisé la nouvelle guitare de Nguyên LÊ et la basse de Daniele CAMARDA. Un petit « rab » de grâce ? Ok ! C’est ici :
Bonne écoute !
Philippe Perrichon
Site : https://www.jazzactionvalence.com/jav-contreband
Le CD peut être commandé à cette sur le site de paniermusique.fr :
https://www.paniermusique.fr/jazz/8347-onety-one-jav-contreband-3666946010168.html