JIENAT – Mira

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JIENAT – Mira
(Autoproduction)

Voici un disque tout aussi inhabituel par son contenant (il se présente sous la forme d’un boîtier Blu-ray), que par son procédé d’enregistrement. Selon son auteur, il s’agit là, à sa connaissance comme à la nôtre, du premier disque classable en « musiques du monde » à avoir été enregistré en « 5.1 surround sound », créant de fait un espace tridimensionnel et donnant ainsi l’impression grisante sur l’auditeur d’être littéralement entouré, pour ne pas dire circonscrit, enveloppé par la musique, comme s’il assistait « in situ » à l’enregistrement… cela bien sûr à condition d’avoir le matériel adéquat. Quoi qu’il en soit, on a le choix dans le boîtier entre la version SACD 5.1 ou stéréo et la version Blu-ray 5.1. Mais au fait, quelle musique y donne-t-on à écouter ? Contre toute attente, elle provient de ce qui est considérée comme la commune la plus septentrionale du monde, Hammerfest, située dans le comté de Finnmark, en Norvège. Autrement dit, c’est l’un des carrefours de la culture sami (lapone).

Pour autant, nous n’avons pas affaire à un disque d’enregistrements de terrain. L’inspiration de la culture sami est néanmoins indéniable et centrale, puisque les chants de ce disque sont interprétés dans des dialectes sami rarissimes, comme le kildin, parlé aujourd’hui par environ 600 personnes dans la péninsule russe de Kola, ou encore l’inari, qui mérite de porter la couronne de la minorité linguistique par excellence, puisque n’étant plus parlée que par une centaine de personnes ! L’air de rien, et sous le vernis technologique, cet album est une œuvre de création engagée !

JIENAT n’est pas un groupe au sens strict du terme, plutôt un projet ourdi par le chanteur, bassiste, compositeur et producteur Andreas FLIFLET. Un premier album, Daja, avait déjà fait son apparition en 2000. Dix ans plus tard JIENAT récidive avec Mira, centré comme le premier album sur des voix et des percussions. Les premières sont majoritairement tenues par le maître de cérémonie, Andreas FLIFLET (qui assure aussi quelques parties de guitare basse), et les secondes par Fredrik GILLE. Le chant sami y tient, on l’a dit, la place prépondérante, et quand à ces incantations sorties d’un autre siècle s’ajoutent des percussions hautes en couleurs, on se croit aussi très proche des traditions musicales amérindiennes.

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Outre le chant d’Andreas FLIFLET, on peut aussi entendre (sur Andreas/Andre) celui d’une chanteuse sami qui avait déjà participé au premier disque de JIENAT, Marit Hætta ØVERLI, dont le timbre puissant rappelle quelque peu celui de Mari BOINE. Ailleurs, le chant de FLIFLET s’adjoint celui d’un trio choral féminin, ULVENS DÖTTRAR (Dancehall). L’humour n’est pas non plus absent, en témoigne le morceau éponyme à l’album dans lequel Andreas FLIFLET imite plusieurs voix canines lancées dans une conversation truculente.

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Si la majorité des enregistrements ont été effectués dans ce bout du monde nordique, dans un studio situé à 150 mètres du bord de l’Océan arctique, certaines prises proviennent de contrées situées aux antipodes, comme l’Argentine (un marchand de rue et son cheval dans Radio Belgrano), ou Salvador de Bahian, au Brésil (l’ensemble de percussions SWING DO PELÔ dans Gille), donnant un étonnant cachet latino qui se fond admirablement dans la mixture concoctée par JIENAT, tout comme cette touche africaine imprimée par le xylophone d’Adama CONDE dans… Adama.

Tudeer est un autre curiosité du disque, puisque c’est le seul morceau où la voix humaine fait silence pour laisser place à la complainte d’une scie musicale, en duo avec un kanjira indien.

JIENAT propose ainsi une musique épurée, minimale et acoustique, sans aucune manipulation électronique ni effets spéciaux (hormis un peu de réverbération), à forte odeur tribale et viscérale, à l’effet capiteux garanti et renforcé par le procédé d’enregistrement en 5.1. En bon chamane des chants et du son, Andreas FLIFLET nous balade de surprises en surprises, donnant un nouvel éclairage à ces chants du Grand Nord, ici transmutés dans une approche contemporaine qui en a préservé la saveur rugueuse et hypnotique tout en opérant un habile rapprochement nord-sud.

Après TRANSJOIK, WIMME, ADJÁGAS et d’autres, JIENAT prouve que la scène musicale sami fait montre d’un bel élan de créativité tout azymut. Et Mira compte d’ores et déjà parmi les OVNIs musicaux de 2010 indispensables aux amateurs.

Stéphane Fougère

Site : https://jienat.com/index.html

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