MAGMA – K.A.

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MAGMA – K.A.
(Seventh Records)

Nous n’apprendrons rien à personne en annonçant que la publication discographique de cet album en 2004 était attendue au tournant et que le groupe n’avait fondamentalement pas le droit à l’erreur, tant vis-à-vis de ses fidèles, qui ont vu l’œuvre évoluer sur scène depuis 2002 que vis-à-vis de son public potentiel, qu’il fallait reconquérir, vis-à-vis des médias (ça peut toujours servir) et… vis-à-vis de lui-même. Cela explique sans doute pourquoi l’enregistrement fut si long et si méticuleux, au point de craindre un abus de «re-recordings» qui aurait pu être fatal à l’impulsion première de la composition. Cela dit, le choix de graver K.A. après tant d’années de sa mise en sommeil n’est pas anodin non plus. Dans l’entretien qu’il nous avait accordé l’an dernier, Christian VANDER avait déclaré vouloir remettre de l’ordre dans la chronologie du patrimoine discographique de MAGMA. Après avoir enfin publié l’intégrale «live» de la Trilogie Theusz Hamtaahk, quoi de plus naturel que de s’attaquer à l’autre trilogie, celle d’Ëmëhntëtt-Rê, encore plus mythique puisque connue de façon nettement plus fragmentaire ? Ainsi K.A. fut-il déterré, comme le montre l’illustration de pochette. (Gageons cependant que la volonté de faire figurer ce monolithe en couverture du CD répondait à une intention d’un autre ordre et d’un autre niveau dans l’esprit du sieur VANDER…)

Pour mémoire, cette pièce, que le Grand Zebehn aurait écrite en 1972, n’a été jouée sur scène que très sporadiquement en 1973 puis bien vite abandonnée au profit de Könhtarkösz, jugé plus novateur, plus «ouvert». Quelques extraits de K.A. ont cependant survécu, d’abord intégrés aux premières versions de Köhntarkösz (cf. la version du Live BBC 1974), puis joués sur scène indépendamment de leur contexte originel et parés d’une nouvelle identité (les fameux Om Zanka et Gamma Antéria inclus dans l’album Inédits), tandis que d’autres bribes ont été garnir la partition de Wurdah Itah.

Bien plus tard, la volonté et la perspicacité des musiciens du groupe DON’T DIE – qui, dans les années 1980-90, avait voué son destin à la reprise du répertoire magmaïen – a permis la reconstitution quasi spéléologique de ce mythique K.A. et, devant le travail accompli par ces braves séides (dont certains sont depuis devenus membres à part entière de MAGMA, comme par coïncidence), Christian VANDER a reconsidéré l’importance de cette œuvre et l’a réintroduite dans son répertoire scénique, la présentant comme le chaînon manquant entre M.D.K. et Könhtarkösz, d’où le titre K.A. = Kohntarkösz Antéria. (On ignore toutefois si la composition en question portait bien ce titre à l’époque où Köhntarkösz n’existait pas encore. En toute logique, elle ne devait pas.)

Fer de lance des concerts de MAGMA depuis janvier 2002, K.A. s’est imposé au public au point de ravir à M.D.K. sa place et son statut d’opus suprême, et pas seulement en raison de sa durée (près de cinquante minutes). Présenté comme inédit, K.A., de par sa nature et son histoire, avait de quoi se rendre vite familier aux oreilles des amateurs puisque contenant des séquences déjà connues ici ou là, au point de passer pour un florilège de thèmes magmaïens des années 1970. Chacun, et pour cause, y a retrouvé au long de ses trois parties des passages de Wurdah Itah, de Theusz Hamtaahk, voire des ambiances et des inspirations proches d’Attahk ou de Merci. De là à considérer K.A. comme un balayage monoculaire de l’histoire tourmentée de MAGMA, il n’y a qu’un pas…

L’exhumation de cet opus a permis d’annoncer, notamment à qui ne voulait plus l’entendre, que l’inspiration du MAGMA de la grande époque était toujours présente (qui a dit que «MAGMA n’était pas» ?), que sa musique, dans ses choix d’écriture et d’arrangements, restait fondamentalement la même et n’avait aucunement subi l’érosion des phénomènes de modes ou d’époques. Cela dit, les mélomanes assidus et non nostalgiques qui ont suivi par étapes l’évolution de l’écriture de VANDER au sein d’OFFERING ou avec un opus tel que Les Cygnes et les Corbeaux, pourraient percevoir l’exhumation de ce vestige oublié comme une manœuvre commerciale de reconquête d’une gloire passée avec un répertoire passéiste et comme un aveu d’échec dans sa quête ou un constat d’essoufflement de son inspiration. Ce serait faire la regrettable économie de l’écoute de cette œuvre qui n’a cessé d’évoluer sur scène et qui, sur disque, atteste de la nouvelle maturité atteinte par VANDER et son «kommandoh».

Certes, K.A. est une composition du passé ; certes ses structures, aux dires de son auteur, n’ont guère changé depuis 1972, mais l’interprétation qui en est donnée sur CD a tiré parti des expériences accumulées par les natifs de Kobaïa. Si la base rythmique a été enregistrée dans des conditions quasi «live» en seulement quelques jours, les masses vocales ont fait l’objet d’un long travail de «placement» et de mise en relief. Les chants et les contrechants déployés par la descendance «paganottienne» (Antoine et Himiko) et par les gardiennes du temple (Stella VANDER et Isabelle FEUILLEBOIS), démultipliés par la grâce des techniques de studio et royalement mis en avant dans le mixage, resplendissent d’exubérance, de souplesse et de pureté à un point qu’il ne nous a jamais été donné l’occasion d’apprécier auparavant sur un opus studio de MAGMA. Assurément, les assauts martiaux des premières heures ont cédé le terrain à des envolées fluides autrement envoûtantes, alternant emportement et rassérénement avec beaucoup d’à-propos lyrique.

Cela vaut également pour le jeu de batterie de Christian VANDER, toujours plus affiné et imaginatif. Mais là encore, le fait que ce dernier délaisse occasionnellement son instrument de légende au profit du chant et du tambourin (dont l’usage ne fait que croître depuis Les Cygnes et les Corbeaux) est un signe. On pourra de fait regretter que les parties de guitare aient été sous-mixées. Déjà assignées à un retrait quelque peu ingrat quand elles soulignent les lignes de chant, elles sont un brin étouffées quand elles montent au créneau en solo. Idem pour le Fender Rhodes d’Emmanuel BORGHI et de Frédéric D’ŒLSNITZ et la basse de Philippe BUSSONNET, ce qui fait hélas perdre ce groove tant réputé pour conjuguer telluricité et strastophéricité.

L’option d’épure et d’acousticité est indéniable, et confirmée par l’utilisation d’un piano acoustique en lieu et place du Rhodes sur quelques séquences (notamment le solo de claviers de K.A. III, qui, hélas, n’a pas la densité qu’on a pu lui connaître en concert même s’il est indéniablement beau) et par le parti-pris de n’avoir pas cherché à «enluminer» la pièce par divers effets artificieux.

En dépit de la mise en veilleuse (toute relative ; n’exagérons rien non plus !) de l’arsenal rythmique, intensité et vitalité sont les moteurs de ce K.A. qui, dans ses choix esthétiques, se rapproche paradoxalement plus d’un Wurdah itah ou d’un M.D.K. que d’un Köhntarkösz, avec cependant un gain évident de clarté et de limpidité, tant dans la production que dans le propos. On peut de même affirmer que, s’il avait été enregistré à l’époque de ses premières apparitions dans les années 1970, K.A. n’aurait pas été aussi dense, aussi émotionnellement et musicalement «plein». Le «cri» est bel et bien encore là, mais projeté de manière à ouvrir de nouveaux espaces. Au risque d’en choquer certains, on peut même parler, au sujet de ce nouveau cru MAGMA, d’un hymne à la douceur emphatique, à la joie extatique, «to love», enfin, pour paraphraser Zebehn, même si ça et là la colère et les ténèbres rôdent, mais peut-être moins à titre de conquérants que d’adjuvants. Un amour insoumis, en somme…

Ce qui importe est finalement qu’on se laisser encore porter, avec K.A., par ce mouvement d’énergie si propre à MAGMA, régénérateur et hypnotique. Toute grimace intellectuelle sur le positionnement novateur ou régressif, avant-gardiste ou « après-gardiste » de cette œuvre est tout compte fait bien secondaire, et que son succès s’élève au-delà des publics et des sphères musicales « underground » n’est pas à prendre comme un élément douteux. Il prouve que les vibrations diffusées par la musique de MAGMA sont encore suffisamment amples et riches pour toucher un grand nombre d’êtres un tant soi peu disposés à être réceptifs au-delà de toute conviction sectariste.

Pour l’heure, savourons donc ce joyau miraculé. À K.A., «à donf», et (on verra) après !…

Stéphane Fougère

Site : www.seventhrecords.com

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°17 – avril 2005 et remaniée en 2022)

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