MYRDHIN – D’île en île
(BNC Productions / Coop Breizh)
« Un jour, MYRDHIN prit une île, puis une autre, et sa harpe. Et la musique naquit, pour voyager jusqu’à nous. » Ces quelques mots, extraits du texte inscrit sur la jaquette verso de ce CD, résume on ne peut plus clairement le propos de cette histoire sous-titrée Odyssée d’une harpe celtique. Odyssée à la fois maritime et terrestre en l’occurrence, où, aux vagues qui se vautrent sur les rivages îlotiers font écho les vagues de notes et de sons émis par les cordes des harpes celtiques de MYRDHIN. Chez ce dernier, le voyage et la musique se sont toujours nourris mutuellement. Cet acteur de premier plan de la renaissance de la harpe celtique en Bretagne a engendré depuis près de quarante ans une discographie éloquente vantant la mythologie et la rêverie comme sources d’éveil. Dans cet album (on vous laisse le soin de savoir du « combientième » il s’agit, tous supports confondus !), c’est la diversité des musiques, des couleurs et des parfums des îles du monde qu’il a filtrés dans la résonance de ses cordes.
D’île en île était il y a quelques années le titre d’un récital que MYRDHIN donnait en trio avec le flûtiste Pol HUELLOU et le percussionniste David HOPKINS. C’est dorénavant le titre d’un disque crédité seulement à MYRDHIN. HUELLOU et HOPKINS ne jouent pas dessus, mais ce n’est pas pour autant un album complètement soliste. Cela dit, ça fait bien longtemps que MYRDHIN n’avait rien enregistré sous son seul nom. Ces dernières années, il se cachait plutôt sous les projets ARS CELTICA, RUN, MAGIC CHAUDRON, quand on ne le trouvait pas chez AFRO CELT SOUND SYSTEM !
Certains ont chanté les chemins de terre ; d’autres, en bons marins, ont chanté la mer, MYRDHIN chante avec ses harpes les îles, celles qu’il a connues, rencontrées, visitées au cours de plusieurs années. Ce sont bien sûr les îles de Bréhat, de Man, de Skye, Belle-île-en-mer, l’Irlande, Avalon, l’archipel d’Ouessant, des Ebihens, le Golfe du Morbihan, mais aussi plus lointaines, comme les îles de la Madeleine, ou d’autres qui se situent bien au-delà de la carte des celtitudes, comme la Martinique, la Réunion, la Guadeloupe… et l’on voyage ainsi jusqu’en Extrême-Orient.
Tous les thèmes ont été composés par MYRDHIN, sauf un, qui est un traditionnel réarrangé (May Morning Dew). Et quand bien même il s’agit d’un disque solo, MYRDHIN n’y joue pas complètement en solitaire. À ses harpes déjà nombreuses dont il fait entendre les mille timbres enchanteurs, s’ajoutent d’autres, jouées par ZIL ou par Virginie CARDOSO. Sur Madiana, c’est même une clarinette (celle de Kledsy GY) qui a été conviée pour faire danser les clapotis ! Il faut aussi souligner le rôle important que joue STAB, qui a co-écrit certains thèmes et a supervisé les arrangements sur d’autres. C’est à lui que l’on doit l’incrustation, toujours fine et raisonnée, de sons électroniques et de rythmiques programmées, l’insertion de bruitages adéquats ou de certains effets spéciaux.
D’une île à l’autre, les thèmes et les mélodies prennent ainsi des contours distincts, mais savent dans tous les cas faire jaillir cette étincelle de mystère et d’étrangeté dont MYRDHIN a le secret. Ici, c’est une mélodie qui va nous enjôler, nous faire bouger les pieds, là c’est un climat qui va nous envoûter, non parce qu’il est mielleux, mais au contraire parce qu’il possède cette angularité rocheuse propre à certains reliefs. À cet égard, Hersinian Avel est probablement la pièce la plus troublante, la plus expérimentale, puisqu’elle mêle à des sons de harpe très abstraits la voix de (feu) Roger GICQUEL, à laquelle fait discrètement écho celle de ZIL…
C’est en Orient que s’achève le voyage, et c’est l’occasion pour MYRDHIN de révéler d’autres appétences instrumentales que la harpe. Ainsi, pour évoquer l’île de Java (Pengalam), MYRDHIN tâte d’un saron (métallophone) local, dont il entremêle les sons avec ceux de la harpe pour recréer ces grisantes polyrythmies typiques de la musique de gamelan. Et pour illustrer l’île japonaise de Kyushu (Tshushima), il se fend d’une étourdissante performance au koto !
C’est dire s’il n’est pas obligatoire, ni même suffisant, d’être un amateur de culture celtique pour apprécier cet album. Celui-ci s’adresse avant tout aux cœurs et aux esprits pèlerins qui, pour voyager sur ces îles, voudront bien préférer la harpe à la barque.
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS en 2010)