NOVOCIBIRSK – Télévision 1945 Volume 2

76 vues
NOVOCIBIRSK – Télévision 1945 Volume 2
(BOREDOMProduct)

Dans maintes chroniques précédentes, j’ai déjà loué sur tous les tons l’excellence constante des albums de style électro-pop sortis par le label BOREDOMproduct, fondé par Member U-176, par ailleurs également membre fondateur de CELLULOIDE. Citons pêle-mêle quelques uns des groupes concernés, CELLULOIDE bien évidemment, HAPPINESS PROJECT, NEUTRAL LIES ou encore, plus récemment, THE OVERLOOKERS, alliance de deux autres formations liées à BOREDOMproduct, FORETASTE et DEKAD.

En juillet 2019, j’avais ici même chroniqué l’album Télévision 1945 Volume 1 de NOVOCIBIRSK qui était cependant d’une nature un tantinet différente, étant donné qu’il s’agissait là de la première sortie concernant la Production B du label BOREDOMproduct, intéressant donc des musiciens méritants, mais pas aussi chevronnés que ceux des groupes cités plus haut et ne possédant dès lors pas non plus un studio apte à produire des albums quasi-finis qu’il ne reste plus qu’à mastériser pour les rendre parfaits.

Hervé ISAR, alias NOVOCIBIRSK, était donc, avec son album Télévision 1945 Volume 1, le premier à figurer au catalogue Production B du label BOREDOMproduct. Il faut avouer que son opus avait toutes les qualités recherchées. Member U-176 souhaitait sortir des albums un peu plus expérimentaux, hors-pistes. C’est exactement de cela qu’il s’agissait, d’expérimentations très diverses mises en forme par Member U-176 et organisées pour en faire des morceaux.

À l’écoute de ceux-ci, on imaginait aisément le puzzle d’expérimentations livré à BOREDOMproduct et le travail derrière pour créer de tout cela un album qui tienne la route. Et, croyez-moi, Télévision 1945 Volume 1 tenait sacrément la route. Member U-176 connaît parfaitement son affaire en matière d’arrangements et le mastering de Laurent CRISTOFOL avait mené l’album à sa perfection.

Voici donc que paraît maintenant le Volume 2 de Télévision 1945. Avec le Volume 1 des expérimentations d’Hervé ISAR/NOVOCIBIRSK, on était nettement dans le climat des années 1970 et dans des atmosphères évoquant KRAFTWERK, TANGERINE DREAM ou encore KLAUS SCHULZE. Cerise sur le gâteau, nous avions la liste des synthés et des séquenceurs utilisés pour chaque morceau. C’est pareil pour ce Volume 2.

Et il y a vraiment du beau monde. En synthés, Korg MS-10, MS-20 et MS-50, Roland SH5, Synton Syrinx, Moog Polymoog et j’en passe, en séquenceurs, ARP 1601, Roland TB-303, Roland MC-202, pour faire les rythmes le très mythique Roland TR-808, et même le vocodeur désormais infiniment recherché Korg VC-10 pour transmuter les voix. Les connaisseurs apprécieront !

Alors, bien sûr, quand on expérimente des sons, des séquences et des rythmes sur ce style de matériel-là, qui est du genre plus vintage que ça tu meurs, ça donne des résultats qui sont toujours un délice pour peu qu’on ait un peu d’expérience dessus. Et Hervé ISAR/NOVOCIBIRSK en a enregistré des kilomètres ! Sans savoir qu’un jour, le destin aidant, Member U-176 se pencherait dessus et sortirait ça en bon et bel album. Mais qu’il soit bien compris que c’est la matière première qui est expérimentale, pas le résultat après le travail de Member U-176.

Dit d’une manière plus claire, Télévision 1945 Volume 1 était tout à fait du même niveau de facilité d’écoute que celui du célèbre Radio-Activity de KRAFTWERK, auquel il ressemble dans l’esprit et parfois même musicalement. Cependant, ce nouveau Télévision 1945 Volume 2 se penche maintenant moins sur le côté expérimental pour mieux mettre en valeur la nature tout simplement riche, variée et musicale des sons dans cinq morceaux intelligemment construits, et qui vont souvent bien de l’avant.

Si Baïkal Depths et Anfang Als Ende font déjà carrément bien le boulot, comme on dit, et s’écoutent et se ré-écoutent avec plaisir, c’est Nuclear Propagation qui s’impose en pièce maîtresse. Pas moins de 15 minutes de pure musique électronique 100 % analogique comme lancées avec vigueur, rigueur et détermination sur une autoroute russe plate et gelée à l’aube d’une apocalypse atomique. Ce morceau n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’excellent Train to Novocibirsk du Volume 1. Mais ce Nuclear Propagation du Volume 2 est encore plus musclé, radical et pour tout dire hypnotisant.

Merci donc à Hervé ISAR pour toutes ses expérimentations sonores et bravo à Member U-176 pour les avoir mis en musiques. Le Volume 1 de Télévision 1945 faisait déjà référence dans son domaine. Que dire du Volume 2, sinon qu’il va encore plus loin, plus fort et qu’il transforme l’essai avec talent, qualité et créativité.

Dix Questions à Hervé ISAR (NOVOCIBIRSK) :

Pourriez-vous présenter le musicien que vous êtes ? Sûrement êtes-vous aussi, et plus simplement encore, un passionné de musique, non ?

Hervé ISAR : Il serait certainement présomptueux de ma part de me présenter comme musicien. Je n’ai d’ailleurs jamais eu cette prétention dans le sens où ce qui est aujourd’hui devenu le Volume 2 de Télévision 1945 est, comme le premier volume d’ailleurs, le fruit d’enregistrements spontanés de tests techniques visant à garder une trace des résultats d’expérimentations qui relevaient plus de l’ingénierie électrique que de la composition musicale. Je suis donc un musicien à la « Monsieur Jourdain », sachant néanmoins que l’écoute de ce qui a été enregistré il y a maintenant plus de quarante ans, en une seule prise sur la platine K7 de ma chaîne hi-fi est une véritable redécouverte pour moi d’autant que le travail sur le son, qui a été réalisé par ProductionB, est vraiment incroyable.

Concernant ma passion pour la musique, en particulier électronique et non digitale, elle est restée intacte même si je n’ai plus le temps de consacrer les heures qui étaient nécessaires à la réalisation des multiples expérimentations et bidouillages que m’offrait ma collection de synthétiseurs analogiques.

Un Volume 1 de vos expérimentations est donc sorti. Pourriez-vous nous rappeler de quoi il s’agissait pour vous à l’époque, les moyens, les raisons, le but ?

H.I. : Ma démarche ne consistait pas à tenter de composer de la musique, mais à apprendre à utiliser la lutherie électronique que j’avais accumulée dans une logique de collection. Il s’agissait donc pour moi d’apprendre à maîtriser techniquement des machines dont je ne connaissais rien et qui n’avaient plus leur mode d’emploi. Certes, je m’amusais à créer des sons et des séquences qui me plaisaient, mais le résultat n’avait aucunement pour objectif d’être écouté comme de la musique, mais plutôt comme une trace de la maîtrise de telle ou telle difficulté technique rencontrée telles que la synchronisation des trigers générés par plusieurs machines de marques différentes ou la syntonisation de synthés qui fonctionnaient en Hertz par volt avec d’autres qui utilisaient un signal octave par volt par exemple.

La structure des enregistrements est d’ailleurs souvent la même, puisqu’il s’agissait de monter le volume de chaque machine l’une après l’autre en vue de les superposer les unes aux autres afin de pouvoir ensuite commencer les tests en appuyant tantôt sur les touches pour changer les notes ou en modifiant la structure des trigers pilotés par les séquenceurs ou les arpégiateurs.

L’objectif était donc principalement d’associer des sons issus de la gestion maîtrisée d’innombrables VCO et VCF à la production de cycles de trigers et de LFO non moins nombreux, et non de rechercher à créer des structures mélodiques et d’en proposer une organisation dans le temps. Les morceaux qui forment aujourd’hui le Volume 1 de Télévision 1945, tout comme le Volume 2 d’ailleurs, ne sont donc au départ que des tests techniques et ils n’ont jamais été véritablement composés, ni enregistrés pour être réécoutés.

Maintenant que vous avez un peu de recul par rapport à la sortie de ce Volume 1, qu’en pensez-vous en tant qu’album relativement à ce que ces morceaux étaient dans leur forme initiale ?

H.I. : C’est génial ! Et tout à fait incroyable ! Dans le sens où j’ai l’impression de découvrir quelque chose que j’aurai créé sous hypnose. Le titre des morceaux, le choix esthétique de la pochette, le nom du « groupe », le son, tout est parfait ou tout du moins en parfaite cohérence avec ce que j’aurais peut être fait si j’en avais eu l’intention et le talent. L’album est ainsi le fruit de l’excellent travail du label et de son professionnalisme.

Voici maintenant le Volume 2, une aventure qui se continue. Quel sentiment cela vous donne-t-il par rapport au fait qu’il n’y a pas encore si longtemps, vous n’auriez même pas imaginé qu’il y aurait un Volume 1 ?

H. I. : Ce serait mentir si j’affirmais que tout ceci ne me procure aucun sentiment fort et aucune satisfaction, mais il s’agit plus d’une sensation délavée d’instants passés et d’images flash de mes machines que d’autre chose. D’ailleurs, je suis, sauf de rares exceptions, incapable de retrouver les objectifs techniques sous-jacents aux morceaux désormais disponibles et je les découvre en fait. C’est un sentiment très curieux.

Pourriez-vous nous en apprendre plus sur les synthés et autres machines que vous utilisiez à l’époque et nous parler plus particulièrement de celles qui vous ont le plus inspiré pour vos recherches sonores ou tout simplement musicalement ?

H.I : C’est en 1977 lors du concert de Klaus SCHULZE, organisé à Marseille dans la grande église des réformés en haut de la Canebière que j’ai vu pour la première fois à quoi pouvait ressembler un synthétiseur modulaire. J’avais alors 13 ans et absolument pas les moyens d’acquérir ce type de machines. Toutefois, c’est bien durant ce fabuleux concert que je me suis donné comme objectif de m’offrir ce genre d’instruments dès que cela me deviendrait économiquement possible. J’ai ainsi attendu mon premier salaire pour faire l’acquisition d’un MS10 et du séquenceur SQ-10 de chez Korg qu’un ami avait trouvé lors d’un déménagement. Le mois suivant, je faisais le tour des magasins d’occasion de musique de la ville et j’achetais pour quelques centaines de francs un SH-5 de chez Rolland et ainsi de suite pendant trois ou quatre ans.

Il faut dire qu’à l’époque, plus personne ne voulait de synthétiseurs analogiques. Ils étaient généralement monophoniques, sans mémoire, et il fallait vraiment s’intéresser à eux pour consacrer le temps nécessaire à la compréhension de leur fonctionnement. Les ouvrages les concernant étaient rares, et il n’y avait pas internet pour trouver en quelques secondes le mode d’emploi d’un Arp séquencer ou d’un Syrinx. Je suis donc allé voir du côté du conservatoire et du gmem-CNCM-marseille où j’ai rencontré des gens aussi passionnés que moi et qui m’ont initié aux concepts de VCO, LFO, ADSL, etc. C’est comme cela que ma collection s’est constituée.

Alors, pour vous dire laquelle de mes 21 machines est celle qui m’a le plus inspiré !? C’est absolument impossible, même si j’ai gardé un faible pour le son absolument superbe du polymoog.

Au fait, avez-vous totalement abandonné les synthés ou en avez-vous encore et jouez-vous toujours de temps à autre dessus ?

H.I. : Oui effectivement je n’ai hélas plus du tout le temps de jouer sur mes machines. Il faut dire qu’il faut beaucoup de place, des cartons de jacks de connexions et des voisins compréhensifs pour ce genre de violon d’Ingres. Mais je les ai toutes conservées. D’ailleurs la série complète des MS – VC – SQ de chez Korg est exposée dans mon bureau à la fac. Je les salue tous les matins !

L’âge d’or des synthés analogiques, KRAFTWERK et son Radio-Activity, le concert de Klaus SCHULZE à Marseille… Quelle belle époque quand même, non ? Vous arrive-t-il de vous y replonger en pensée et, peut-être même, d’en être nostalgique ?

H.I. : Mieux que cela, je continue les écouter assez régulièrement. En fait mes goûts musicaux n’ont absolument pas évolué depuis mes 15 ans. Je suis resté bloqué dans la période Krautrock et j’assume. Aucune nostalgie donc puisqu’à chaque écoute c’est toujours un plaisir renouvelé.

Quel sentiment est-ce pour vous que vos expérimentations de cette époque aient été « congelées » jusqu’à récemment et que leur « dégel » survienne en un temps où ceci pourrait apparaître comme la réactivation d’un souvenir déjà presque effacé d’une ère déjà lointaine ?

H.I. : Très bonne question ! Mais je vis tout ceci un peu comme « Hibernatus » et vu que les deux seuls nouveaux albums que j’écoute actuellement sont Hyperborée et Planisphère de SIGNAL∼BRUIT, je n’ai pas le sentiment d’avoir changé d’ère.

Vous savez sûrement que des musiciens continuent de pratiquer la musique électronique « à  l’ancienne », celle de KRAFTWERK, de TANGERINE DREAM et de SCHULZE à leur âge d’or. Que cela vous inspire-t-il ? Diriez-vous qu’à travers les volumes 1 et 2 de vos expérimentations sortis récemment, vous faites en vérité partie, plus ou moins, de ces musiciens-là ?

H.I. : Malgré quelques recherches sur le net ou sur Deezer et autres, et mis à part SIGNAL~BRUIT, je n’ai pas vraiment trouvé de nouveaux artistes qui me semblent « continuer à pratiquer la musique électronique à l’ancienne » comme je l’entends (si j’ose m’exprimer ainsi), mais je ne demande qu’à découvrir de nouveaux talents, car je pense que la lutherie électronique n’a pas eu le temps de rencontrer tout le public qu’elle mérite.

Après tous ces souvenirs et ces explorations passéistes, quelle conclusion en tirez-vous concernant notre époque actuelle, musicalement et/ou, peut-être, d’une manière plus générale ? 

H.I. : Je ne suis certainement pas le plus éclairé pour répondre à la question, mais pense néanmoins que le numérique (entendu comme une technologie) par ses extraordinaires capacités de copie, de mémorisation, de stockage, de génération et de traitement du son a ouvert de formidables potentialités, mais elle a aussi peut-être trop souvent « enlisée » la spontanéité et l’instantanéité de la composition sensible qu’autorise les synthétiseurs analogiques. La possibilité offerte par le numérique et l’informatique de revenir sur ce qui a été fait, de réenregistrer, de réorchestrer, de retravailler 10 fois, cent fois, le même morceau m’apparaît potentiellement abrasive de ce qui est pour moi « la création acoustique » à savoir la génération spontanée d’un évènement sonore et rythmique qui n’existe que durant le temps de son émergence.

Mais ce sont là des craintes peut-être infondées, car je n’ai jamais eu le temps de véritablement explorer la création numérique du son. Dans quelques années peut-être ?

Chronique et entretien réalisés par Frédéric Gerchambeau

Pages : www.facebook.com/novocibirsk/

Label : www.boredomproduct.fr/

 

 

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.