OEDO SUKEROKU TAIKO, LES TAMBOURS DE TOKYO – Live
(Playasound)
Les musiques des tambours japonais « taiko » sont à la fois d’époustouflantes performances scéniques et de puissants instants de poésie rythmique : elles peuvent évoquer le foudroiement de l’orage, le déferlement des vagues sur les rochers, la cadence lourde des marches impériales, les outrances festives populaires, et tant d’autres choses encore…
Jusqu’à présent, peu de films de spectacles d’ensembles de musiques de taiko ont bénéficié d’une parution sur support DVD, hormis ceux du célèbre groupe KODO, déjà auteur de quelques vidéos. Il n’est désormais plus seul puisque le label Playasound a eu la riche idée de publier l’intégralité d’un spectacle-concert filmé en 2004 à Sarlat, à l’occasion d’un tournée française de l’ensemble OEDO SUKEROKU TAIKO, qui est avec ONDEKOZA l’un des vétérans du genre.
Dirigé par KOBAYASHI Seido, cet ensemble tokyoite est même à l’origine du regain d’intérêt qui s’est exprimé dans les années 1960 pour le tambour taiko dans les musiques populaires et contemporaines du Japon. KOBAYASHI Seido a débuté sa pratique du taiko à treize ans, à l’occasion des traditionnelles fêtes d’été de célébration des morts. Après avoir remporté par deux fois le concours de « bon-dance taiko » du sanctuaire Yushima-Tenjin à Tokyo, il forme avec son frère Seiko le groupe OEDO SUKEROKO TAIKO en 1959 – soit à l’âge de 17 ans – avec le désir d’explorer plus avant les potentialités de l’instrument.
OEDO SUKEROKU TAIKO peut se targuer d’avoir été la première formation musicale professionnelle n’utilisant que des tambours taiko, soit le « okedo », le « shime-daiko » et le « o-daiko » (qui peut atteindre jusqu’à un mètre de diamètre), auxquels sont joints des clochettes « suzu », des plaques de bois « hyôshi-gi » et le gong « atari-gane ». Aujourd’hui encore, ce choix de palette distingue le groupe de KOBAYASHI Seido des autres formations de taiko, qui intègrent parfois d’autres instruments traditionnels japonais comme le shakuhachi ou le shamisen.
Très attaché au patrimoine musical des rites agraires et religieux, OEDO SUKEROKU TAIKO est néanmoins tourné vers la création, l’expérimentation, et s’inspire des formes de la musique classique « hôgaku » ainsi que des formes vocales « kakegoe », qui ressemblent à celles des théâtres nô et kabuki. Le choix du nom SUKEROKU renvoie du reste au personnage du même nom très populaire dans le kabuki, c’est pourquoi le kimono de KOBAYASHI Seido porte son effigie. Enfin, OEDO était le nom de Tokyo du XVIIe au XIXe siècle, période de bouillonnement créatif qui a inspiré OEDO SUKEROKU TAIKO.
Portant kimonos et bandanas, en position debout et jambes légèrement pliées, placés en diagonale par rapport aux tambours sauf quand il s’agit des gros (c’est le style « sukeroku »), les six membres du groupe – quatre hommes et deux femmes – livrent une performance qui pousse très loin l’art rythmique et mélodique au tambour, mais aussi la résistance physique puisqu’il est fait appel à une gestuelle fort élaborée de la frappe, à laquelle s’ajoute une chorégraphie millimétrée, somptueuse et imaginative. Si les pièces jouées nécessitent une grande interaction entre les percussionnistes, elles autorisent aussi dans certains cas l’expression individuelle et l’improvisation.
Une dizaine de caméras ont été utilisées pour filmer cette performance ; il n’en fallait pas moins pour capter toutes les trouvailles scéniques d’OEDO SUKEROKU TAIKO. Plans d’ensemble, plans resserrés sur un ou deux percussionnistes et leurs instruments lorsqu’ils jouent par paire, portraits sur les parties solistes et plans rapprochés sur les frappes sont alternés avec dynamisme et précision, restituant ainsi toute l’expressivité et la vigueur rythmiques du spectacle. Voilà une excellente réalisation (française de surcroît !) que tout amateur du genre se doit de posséder.
Stéphane Fougère
Site : www.oedosukerokutaiko.com
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°17 – juin 2005)