Philip GLASS – In The Upper Room
THE PHILIP GLASS ENSEMBLE – A Retrospective
(Orange Montain Music)
En guise de petit rappel, Orange Montain Music est un label basé à New York et dédié à l’œuvre de Philip GLASS. Depuis ces dernières années, la production de GLASS (opéras, archives, musiques de films) est des plus prolifiques. Parmi cette floraison de nouveautés, intéressons-nous en particulier à deux documents, à savoir In The Upper Room, musique pour ballet, et A Retrospective, live à Monterey.
Le premier CD marque la collaboration entre le compositeur américain et l’un des grands noms de la danse contemporaine, la chorégraphe, danseuse et écrivaine Twyla THARP. Neuf pièces, intitulées Dance I-IX, datant de 1986, ont été composées pour un ballet de la TWYLA THARP FOUNDATION. In The Upper Room figurait déjà sur le CD DancePieces, mais dans une version raccourcie (cinq mouvements uniquement) couplée avec deux titres de Glassworks et un extrait de l’opéra Akhnaten. Enfin aujourd’hui, il est possible d’entendre la version complète de 38 minutes. La pochette magnifique, montrant deux danseurs du Dutch National Ballet, exprime une grâce et une beauté des mouvements (les treize danseurs étaient habillés en noir et blanc ou en rouge) qui se marient parfaitement avec la musique aérienne de GLASS.
Les envolées féeriques aussi bien que les passages plus intimistes (ce piano en introduction de Dance VIII) rappellent combien sa musique est captivante, toute en légèreté (Dance II et IV) ou au contraire flamboyante et lumineuse (Dance III et VI). La formation orchestrale d’une vingtaine de musiciens, comprenant instruments à cordes, instruments à vent et percussion, interprète avec majesté ces compositions, où la répétition et la mélodie virevoltent avec poésie, à l’instar des danseurs. Parmi les musiciens, il y a des membres du PHILIP GLASS ENSEMBLE : Michael RIESMAN (piano, clavier), Jon GIBSON (soprano saxophone), Richard PECK (ténor saxophone), Jack KRIPL (flûte) et Dora OHRENSTEIN (voix, tel un chant de sirène, sur Dance IX).
Il est regrettable qu’un DVD mettant en images un tel spectacle n’ ait pas été inclus. Cela aurait ajouté un charme certain. Mais même sans les images, cela n’ empêche en rien à la musique de conserver son intensité et sa magie. In The Upper Room reste une œuvre majeure de la deuxième moitié des années 1980, se situant dans la lignée des précédents travaux comme Glassworks, The Photographer ou Koyaanisqatsi.
A Retrospective est un double CD enregistré à Monterey, Mexique, en mars 2004. Ce concert était auparavant disponible en téléchargement via le site officiel (d’ailleurs actuellement un nouveau concert, Live In Soho, de janvier 2010, est disponible sur i Tunes). Tout comme Music In Twelve Parts live à Rovereto, le 8 avril 2006 (Orange Mountain Music- 2008), il permet de découvrir le PHILIP GLASS ENSEMBLE sur scène, un ensemble pour voix, claviers et instruments à vent (flûte, saxophones). A Retrospective est un document de premier ordre, restituant admirablement le son unique de cette formation (soulignons l’excellent travail des ingénieurs du son du groupe, Dan DRYDEN et Steve ERB), mais servant aussi d’ introduction parfaite pour celui qui souhaiterait découvrir le monde intemporel de GLASS.
Le répertoire couvre toutes les périodes qui ont marqué son œuvre : 11 titres résumant plus de trente d’une carrière innovante allant des travaux minimalistes des années 1970 aux opéras portraits en passant par les musiques de films. Plus qu’une simple prestation live, c’est un voyage dans le temps. Le CD 1 commence par le dernier mouvement de In The Upper Room, manière de nous mettre tranquillement dans l’ambiance, avec la voix irréelle de Lisa BIELAWA. C’est tout simplement beau. Nous changeons de registre avec les deux premières parties de Music In Twelve Parts (1974), l’une des œuvres minimalistes les plus imposantes de GLASS. C’est une musique appelant à la contemplation qui n’a rien de symphonique et qui peut effrayer par sa complexité et sa durée. Nous entrons dans une autre dimension, mélange de répétitions et de féerie (Part 1) atteignant un haut niveau de transe (Part 2).
L’ambiance minimaliste se poursuit avec Building. Tiré de l’acte 4 scène 1 de l’opéra Einstein on the Beach (1975-1976), il se caractérise par la présence de claviers hypnotiques à vous donner le vertige.
Puis, le PHILIP GLASS ENSEMBLE fait un bond dans les années 1980 avec le lancinant Façades de Glassworks (1981), album de rupture (son premier sur CBS) avec la décennie précédente. Avec cette pièce, nous laissons de coté les boucles répétitives pour privilégier la mélodie et l’émotion où dominent de somptueux instruments à vent… Un bref instant d’évasion avant l’avalanche finale : The Grid (dans une version de presque 7 minutes alors que l’originale durait 21 minutes) est le seul témoignage des prophéties apocalyptiques Hopi et de Koyaanisqatsi (1982), premier volume de la trilogie Qatsi scellant le début d’une fructueuse collaboration entre GLASS et le réalisateur Godfrey REGGIO.
Le CD 2 commence magnifiquement avec un titre de l’album The Photographer, pièce de théâtre musical conçu par Rob MALASH, metteur en scène et décorateur hollandais, et présentée pour la première fois au public en mai 1982 à Amsterdam. Ici, il s’agit de l’acte III, dans une version approchant les 19 minutes, et révélant toute la splendeur du groupe : une pièce allant crescendo où la voix de BIELAWA livre une sacrée performance, et la musique est d’une grande puissance émotionnelle.
Délaissant le coté exubérant pour une ambiance solennelle et orientalisante, Mosque / Temple, extrait de Powaqqatsi (1987) nous rappelle que le volume 2 de la trilogie Qatsi fait pâle figure par rapport au premier épisode. Loin d’être un mauvais morceau, son seul défaut est d’être tout simplement mal placé dans la set list. Sa musique lancinante, sombre et plutôt pesant coupe net les effets prometteurs annoncés avec The Photographer.
L’ENSEMBLE retrouve de sa vigueur avec l’hommage condensé en neuf minutes à BOWIE-ENO. Avec ce Low Symphony Mouvement III, GLASS et ses musiciens nous donnent envie de jeter à nouveau une oreille sur ce disque de 1993 (disponible aussi sur le double CD Heroes – Low Symphonies, 2003) où il avait arrangé Subterraneans, Some are et Warszawa en version orchestrale pour un résultat final assez convaincant.
Le magistral opéra Akhnaten (1983) est présenté ici avec Funeral Of Amenhotep III (acte 1 scène 1), un très beau morceau qui figurait aussi sur DancePieces à coté de In The Upper Room. Tour à tour tribale (présence de percussions), incantatoire et remplie de mystères, cette cérémonie funéraire vous donne des frissons et vous plonge au cœur des rites millénaires de l’Égypte Ancienne.
La dernière merveille de ce live s’intitule Spaceship, deuxième extrait de Einstein on the Beach (acte 4 scène 3). Même plus de trente ans après sa sortie, cela reste une perle de minimalisme avec ce fascinant son de claviers (comme à l’époque !) en osmose avec le reste de la formation. Idéale pour vos prochaines soirées automnales, ces nouveautés vont vous procurer beaucoup de plaisir… Et sans doute quelques larmes de nostalgie s’ inviteront à la fête (triste ?).
In The Upper Room et A Retrospective sont des valeurs sûres dans le domaine de la musique contemporaine, et confirment à Philip GLASS le statut d’un des derniers grands compositeurs actuels.
Cédrick Pesqué
Label : www.orangemountainmusic.com
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°29 -novembre 2010)