WIR – Vien+ // WIRE – Nine Sevens
(Pink Flag Records)
1) WIR – Vien+ (1993-2025)
Après le départ du batteur Robert GREY en 1990, le quatuor WIRE, plutôt que se saborder définitivement, et laisser chacun de ses membres à continuer en solo des carrières déjà bien remplies, crée de toutes pièces un groupe « alternatif en trio » nommé WIR (trois lettres qui signifient « nous » en allemand) pour partir en beauté et honorer la dernière phase du contrat du groupe avec Mute Records.
Avec un son davantage axé sur les séquences et les longs morceaux, WIR n’a laissé derrière lui qu’un seul album, The First Letter (1991), accompagné de quelques rares concerts (dont un à Londres en avril 1992) et de deux performances artistiques conceptuelles sous le nom de I Saw You, ainsi qu’une session radio enregistrée hors concert, pour la chaîne nationale autrichienne ORF.
Un CD en édition très limitée, sorti en 1996 sur le label Touch (Vien datant d’un concert de février 1993), regroupait deux longues pistes totalisant plus de 25 minutes, et cette édition 2025 enrichit cette archive (Vien+) d’une réinterprétation datée de 2024 du morceau le plus pop de WIR : So and Slow it Grows, un titre à l’atmosphère sombre et envoûtante déjà proposé en remix sur l’album de 1991.
WIR, même si le projet n’a que peu duré, bouscule en profondeur les codes en créant une nouvelle musique électronique épurée, avec Graham LEWIS au chant, et cannibalise même son propre catalogue en samplant parfois ses anciens morceaux. Cet album qui est réapparu en début d’année en version vinyle only pour les Record Store Days (RSD) est désormais disponible en format CD chez Pink Flag (label exclusif de WIRE) et marque une autre borne importante, un peu crépusculaire, dans l’histoire du groupe.
2) WIRE – Nine Sevens (1977-1980)
Sorti initialement en coffret de 9 vinyles 7’’ pour un autre RSD (2018), Nine Sevens revient en 2025 en double vinyle et désormais en CD, même si l’on retrouve l’ensemble des 21 morceaux tirés des 8 singles et du seul EP 4 titres de 154 à la fin des 3 somptueux coffrets « Special Editions » (Chairs Missing, Pink Flag et 154 en versions demo et mix alternatifs bien remplies), parus en 2018.
Cette compilation retrace les débuts fulgurants de WIRE (1977-1980), mêlant leurs premiers singles emblématiques à des titres plus obscurs, montrant toute la richesse et l’évolution du groupe : d’un post-punk radical à des expérimentations pop quasi psychédéliques.
Chaque 7″ peut être considéré comme une capsule sonore, un instant figé en moins de trois minutes. La première partie de la compilation suit une logique “singles collection”, tandis que la seconde s’aventure plus librement avec des morceaux plus obscurs et moins formatés pour être des succès immédiats.
Nine Sevens n’est donc ni un « Best of », ni un « Greatest Hits », ni une compilation de démos des premières années (ça a déjà été fait, et on vous en a déjà parlé : https://rythmes-croises.org/wire-not-about-to-die-studio-demos-1977-1978), mais un manifeste artistique : la preuve que WIRE a toujours su jouer avec les codes de la pop pour en repousser les limites, entre pop art et art pop, mélodies accrocheuses et expérimentations sonores obscures, comme une exploration de la toile vierge de la culture pop et de ses extensions, allant de constructions de trois minutes à des ambiances étirées. Le single 7″ a toujours été l’artefact et l’affirmation ultimes, la face A représentant le groupe momentanément suspendu dans le temps, distillé et figé dans l’éternité avec moins de trois minutes de son électrique.
C’est peut-être pour cela que WIRE est devenu le plus grand groupe pop dont vous n’avez jamais entendu parler, car le groupe l’a compris implicitement très tôt. Ils ont, en effet, su trouver le point d’équilibre idéal entre les changements de forme brefs et percutants du post-punk, l’expérimentation provocante de l’art prog’ et une touche pop disciplinée qui a repoussé les limites de ce que pouvait être une chanson, fabriquée comme une plongée dans un univers parallèle de la pop moderne.
La combinaison des premiers singles avec des titres plus obscurs de la période ultérieure souligne la profondeur et la force du quatuor. WIRE a toujours compris le langage pop et l’art de le manipuler, de le déconstruire et de le réassembler pour lui donner des formes nouvelles et palpitantes. Des décennies plus tard, ces aventures sonores sont comme des tranches de pop/noise délicieuses et parfaites, des tubes venus d’un univers parallèle.
WIRE/WIR/WIRE et son parcours sans faute, sans scories, pratiquement sans compromis, semble donc toujours présent au fil des rééditions et compilations de toutes sortes pas loin de quarante ans après leurs débuts et tout cela avec une flamme bien vive, bien vivace, et terriblement attachante, pour notre plus grand plaisir.
Il ne faudrait pas oublier non plus les carrières solo de plusieurs de ses membres très tôt dans la vie du groupe : celle de Bruce GILBERT chez Mute et surtout celle de Colin NEWMAN et de ses trois magnifiques aventures chez 4AD entre 1980 et 1982 (A-Z, Provisionally Entitled the Singing Fish et Not To, ressorties en versions « expanded » définitives chez Swim/Sentient Sonics en 2016) tous trois explorant des contrées aux frontières de la new wave, ainsi que les deux albums chez les Belges de Crammed Discs avec sa compagne Malka SPIEGEL (Commercial Suicide en 1986 et It Seems en 1988), tous parfaits, tous indispensables.
Xavier Béal
Label : https://www.pinkflag.com/




