Gaby KERDONCUFF TRIO – Jabadao
(Hirustica)
Dans le paysage de la création musicale bretonne, Gaby KERDONCUFF n’avait pas jusqu’à présent cherché à s’imposer comme chef de file, mais il a toutefois participé à nombre d’aventures marquantes. On l’a ainsi entendu chez SKOLVAN, LES PIRES, GWERZ, Roland BECKER QUINTET, BF 15, TERMAJIK, ou encore Erik MARCHAND & LE TARAF DE CARANSEBES.
Sonneur de bombarde réputé, Gaby KERDONCUFF a aussi cultivé un grand intérêt pour le jazz et a appris la trompette en autodidacte. Ses relations avec les « sufflatore » de la région du Banat, en Roumanie, l’ont poussé à mettre au point une technique de jeu à la trompette qui a ainsi introduit et révélé cet instrument dans le champ de la musique bretonne, faisant de Gaby un pionnier.
Après son ambitieux projet LA COOPERATIVE, qui a réuni neuf musiciens traditionnels, classiques et de jazz (et dont on espère avoir un jour une trace en CD), Gaby KERDONCUFF se lance dans une nouvelle aventure en trio qui lui permet de mêler tous ses acquis, ses influences occidentales et orientales, avec l’accordéon, le piano et les claviers de Serge LE CLANCHE et les percussions pluri-ethniques de Jean-François ROGER.
Cette formation, aussi réduite que mobile et homogène, inspirée des trios de sonneurs d’antan (biniou-bombarde-tambour), a ainsi initié en mars 2005 sa première création, Jabadao, nom d’une danse en rond très prisée dans le sud de la Bretagne au XIXe siècle. Cela dit, le jabadao proprement dit n’est pas prédominant dans le répertoire du trio. D’autres danses du XIXe siècle y sont revisitées, avec toutefois le souci de s’affranchir des contraintes du fest-noz. Suivez mon regard, cela signifie que l’improvisation est aussi la bienvenue…
Le jabadao incarne l’esprit de danse, donc de fête, mais selon Gaby KERDONCUFF, « c’est aussi l’avis de tempête » (sic). Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le Gaby KERDONCUFF TRIO ne manque effectivement pas de souffle (normal, me direz-vous, avec les trompette et bugle de Gaby…). Si le duo bombarde-accordéon renvoie une couleur indéniablement bretonne, l’association trompette-piano-batterie impose un son plus jazz qui oblige à percevoir la musique bretonne sous un autre angle.
Ajoutez à cela les daf, bendir, tablas et tambourin de Jean-François ROGER, et vous comprendrez bien vite pourquoi les plinn, ton bale et gavotte du Gaby KERDONCUFF TRIO se transforment volontiers en tapis volant faisant le trajet de Plounevezel au quartier de Harlem (en nocturne bien sûr) en passant par les Dardanelles turques, le Cap-Vert (Horace SILVER en ligne de lire) et les rives du Gange (ça, c’est un nocturne indien).
De « plinn improbable » en « an dro impensable » – sans oublier la « gavotte inadmissible » – Jabadao apporte à l’univers de la danse bretonne de somptueuses et espiègles bouffées d’oxygène à respirer aux aurores comme au crépuscule. Gaby KERDONCUFF s’autorise même à stopper l’exubérance du voyage le temps d’une méditation chantée (Disul Vitin, ou « Dimanche matin dans mon jardin ») qui scotche littéralement en apesanteur. L’esprit a lui aussi le droit de danser, non ?
À l’heure où la création bretonne semblait un peu marquer le pas au profit de productions plus calibrées, le Gaby KERDONCUFF TRIO fait résonner un salutaire appel d’air doublé d’un élan de poésie qui illumine joliment l’horizon.
Quant on sait que Jabadao inaugure de plus le catalogue d’un nouveau label breton (Hirustica), créé justement à l’initiative de Gaby KERDONCUFF et de Jean-Luc THOMAS, on ne peut que souhaiter à cette première bouteille jetée à la mer des musiques du monde de voyager loin.
Label : www.hirustica.com
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°27 – novembre 2006)