[Le musicien indien Aashish KHAN est mort le 14 novembre 2024 à l’âge de 84 ans. Brillant joueur de sarode rompu aux arcanes de la musique savante indienne, il a écrit un parcours artistique relativement atypique en s’investissant en parallèle dans des créations de type « fusion ». En outre, il a également été professeur adjoint de musique classique indienne au California Institute of the Arts et à l’Université de Californie à Santa Cruz, aux États-Unis et est devenu en 2007 le premier musicien classique indien à devenir membre de la Royal Asiatic Society of Great Britain and Ireland, la plus haute société britannique spécialisée dans les arts et les cultures asiatiques. À titre d’hommage, nous publions ci-dessous une chronique parue jadis dans ETHNOTEMPOS consacrée à son album Golden Strings of the Sarode, qui a été nominé pour un Grammy Award en 2006 dans la catégorie « Meilleur album de musique du monde traditionnelle ».]
Aashish KHAN & Zakir HUSSAIN – Golden Strings of the Sarode
(Moment Records)
La paire d’artistes qui s’exprime dans ce disque n’en est pas à son premier galop, c’est peu de le dire. Aashish KHAN, sarodiste de son état, et Zakir HUSSAIN, tabliste renommé, ont déjà joué ensemble (avec Pranesh KHAN, le frère d’Aashish) dans les années 1960 au sein de l’un des premiers groupes indo-américains, SHANTI (auteur d’un unique album en 1971), avant que Zakir ne rencontre John McLAUGHLIN et devienne avec le groupe de fusion indo-jazz SHAKTI (et plus tard le PLANET DRUMS de Mickey HART) la star indienne que l’on sait…
Curieusement, Aashish KHAN est en comparaison nettement moins connu dans nos contrées, ce qui peut paraître étonnant quand on sait qu’il est le descendant d’une lignée familiale qui s’est imposée dans le monde de la musique savante hindoustanie (Inde du Nord). Son grand-père, Ustad « Baba » Allaudin KHAN, et son père, Ustad Ali Akbar KHAN, étaient en effet de notables virtuoses du sarod (variante indienne du « rebab » afghan), dont ils ont rénové la tradition.
Initié dès l’âge de cinq ans à la musique hindoustanie par Allaudin KHAN – fondateur de l’école de musique (gharana) Senia Maihar – Aashish s’est pour sa part fait remarquer dès ses treize ans, âge auquel il a donné son premier récital de sarode, toujours avec son grand-père. Son père, Ali Akbar KHAN, et sa tante, Annapurna DEVI, ont ensuite poursuivi son éducation musicale.
Depuis, Aashish KHAN a travaillé avec Ravi SHANKAR sur plusieurs musiques de films (Apur Sansar, Parash Pathar et Jalsaghar de Satyajit RAY, Gandhi de Sir Richard ATTENBOROUGH, l’Homme qui voulut être roi de John HUSTON, A Passage to India de David LEAN…), ainsi qu’avec de nombreux artistes occidentaux, tels les « Beatles » Ringo STARR et George HARRISON (il joue dans son album Wonderwall Music), mais aussi Éric CLAPTON, Alice COLTRANE, John HANDY, Charles LLOYD, Jorge STRUNZ, etc.
SHANTI n’a pas été la seule expérience « cross-over » d’Aashish KHAN. En effet, en 1978, le sarodiste s’est impliqué dans un autre groupe de fusion, THE THIRD EYE. Ensuite, au début des années 1980, Aashish KHAN a retrouvé son frère, Pranesh KHAN, pour un singulier projet nommé Disco Jazz (un titre qui ne trompe pas sur la marchandise), avec la chanteuse Rupa BISWAS. Enfin, avec le groupe SHRINGAR, qu’il a co-fondé avec le percussionniste Andrew McLEAN, Aashish KHAN a établi la première rencontre entre la musique indienne et la musique de New Orleans. Au fond, on peut se demander s’il a vraiment quoi que ce soit à envier à Zakir HUSSAIN en matière d’expériences transgenres…
Toujours est-il que c’est dans un contexte musical on ne peut traditionnel que les deux compères se retrouvent pour ce disque, Golden Strings of the Sarode, superbement enregistré dans une église californienne (à Berkeley) et publié sur Moment Records, le label de Zakir HUSSAIN.
Ils jouent donc trois ragas, correspondant chacun à un moment différent de la journée : le plutôt rare Raag Lalita Gouri, dont seule est jouée la partie introductive (« alap »), installe un climat de tranquillité méditative propice au début de soirée.
Le Raag Bhimpalashri, joué l’après-midi, est pour sa part imprégné de pathos mélancolique. Enfin, le Raag Bhairavi, idéal pour les petits matins ou les fins de nuit, délivre une ambiance plus lyrique et romantique, typique du style « thumri ».
Alanguies ou vivaces, les notes qu’extrait Aashish KHAN de son sarod stimulent l’univers émotionnel, d’autant que chaque raga renvoie au sarodiste des souvenirs d’enfance qu’il confie dans le livret. De plus (et pour une fois, diront certains !), Zakir HUSSAIN n’en fait pas des tonnes, mais se contente de servir sobrement et toujours pertinemment le propos avec les savantes compétences rythmiques qu’on lui connaît.
Voilà donc une fort belle production à savourer au bon… « moment ».
Site label : www.momentrecords.com
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°30 – Mars 2007,
et remaniée en 2024)