Alain GENTY – Instant Space
(Autoproduction)
Après nous avoir fait voguer au large des « marées éternelles » en compagnie de Joanne McIVER (Eternal Tides, en 2017), le compositeur et multi-instrumentiste Alain GENTY nous invite désormais à savourer pleinement « l’espace d’un instant » (Instant Space), que lui-même présente sous la forme d’un haiku de haute portée poétique et ésotérique : « L’Espace d’un instant, être tout à fait là. Un loriot jaune et un chat noir. La Totalité et le Détail. »
La pochette de l’album, illustrée par la photo d’une steppe plate et aride inondée de soleil et surmontée d’un ciel bleu intense tout juste tâché de trois petits nuages blancs de passage, en dit long sur l’atmosphère générale du disque : il s’agit bel et bien d’une méditation musicale dont l’horizon mental englobe tant les mers d’Écosse que les monts du Japon. L’écart paysager peut paraître ambitieux (et même périlleux, d’un point de vue strictement culturiste !), mais n’allez pas vous imaginer avoir affaire à une « fusion world » tordue et disparate. On se situe ici au-delà des facades conceptuelles.
C’est donc en toute humilité qu’Alain GENTY a cherché à dépeindre cet Instant Space, bardé de son usuelle panoplie instrumentale faite de basse fretless, de guitares, de claviers, de batterie, de voix et de traitements électroniques. Mais le compositeur n’a pas cherché pour autant à s’isoler dans une quelconque tour d’ivoire artistique, et a convié quelques connaissances pour dialoguer dans cet « espace instantané ».
C’est ainsi que Nicolas GIRAUD lui donne la réplique dans une majorité de morceaux, approfondissant les ambiances avec sa trompette ou occasionnellement son berimbau. Christophe SAUNIÈRE est également de la partie, avec son immanquable harpe qui s’immisce parfaitement dans certains paysages (Daňs Derou, Ajari #3), et Annouck EUDELINE fait également résonner son cor… Sous les citronniers.
Luxe, calme et volupté sont donc au programme, sans pour autant confiner à de la new age statique et lymphatique. Il y a de la vie frémissante et du mouvement subreptice dans ces « instants », les amples rondeurs de la basse d’Alain GENTY et les expansives inflexions de la trompette de Nicolas GIRAUD garantissant à elles seules d’épicer juste ce qu’il faut ces toiles bucoliques à vocation certes contemplatives, mais jamais définitivement figées.
Outre qu’il évolue à travers des climats imprégnés de suave mystère, Instant Space est à plusieurs endroits traversé de petits imprévus (ces fameux « espaces d’un instant » ?) qui rendent la partition moins rectiligne qu’on aurait pu le penser : ici un piqué de basse, là un écoulement jubilatoire de harpe, ici encore une complainte aigüe de trompette, quelques manifestations électroniques sournoises, un arrêt sur image, une percussion qui tinte subitement, un éboulement de batterie, une griserie atmosphérique qui danse sur un fil…
Mais en définitive, il n’y a rien qui puisse véritablement perturber l’auditeur dans la méditation qui lui est offerte, laquelle se pare à plusieurs moments de références culturelles extrême-orientales, qu’elles soient japonaises (Ajari Wuji, Ikigai) ou chinoises (Le Loriot jaune, Two Yin-Yan Colours), de flashs poétiques singuliers (Entre le chat et la mer, Sous les citronniers), ainsi que d’échos à de précédentes compositions d’Alain GENTY (Entremer #4, Ajari #3, A us d’al lenn #2), revisitées pour l’occasion.
L’ensemble forme une peinture délicatement printanière, ensoleillée sans être caniculaire, animée de vibrations impressionnistes aptes à recadrer perpétuellement l’écoute sur l’instant présent, à l’immobiliser sur le moment adéquat et la laisser s’envoler ensuite sur l’instant suivant, entre une herbe sèche et un souffle de nuage.
Instant Space, ou la détente active et vigilante…
Stéphane Fougère
Cet album est commandable, écoutable et téléchargeable sur le site : www.alaingenty.com