Amine & Hamza M’RAIHI – Ila Hounak / Asfar
(Arion)
Ils sont frères et n’ont pas encore vingt ans quand ils réalisent leur premier album. Amine joue du oud (ancêtre du luth européen) et Hamza du kanoun (sorte de dulcimer comprenant 72 cordes), soit deux instruments rarement associés sur scène. Tous deux Tunisiens, ils ont été baignés très tôt dans la musique savante arabe. Diplômés dès l’âge de 12 ans, ils ont été depuis applaudis pour leur exceptionnelle maîtrise instrumentale dans les salles de spectacle les plus renommées du monde arabe (la Médina de Beyrouth, l’opéra du Caire…) et se sont également produits en Europe. Difficile de ne pas les qualifier de petits génies…
Après avoir réalisé un premier album sur le label allemand Laika (Ala Mar Azaman), Amine & Hamza se sont faits connaître en France en signant leur deuxième album chez Arion, Ila Hounak (« Là-bas au loin »). Les huit pièces qui le composent, écrites par l’un ou par l’autre frère ou par les deux, témoignent de leur grande rigueur d’exécution autant que de leur habileté à improviser au sein de pièces résolument ouvertes à divers modes d’expression musicales, débutant dans un maqam arabe pour évoluer vers d’autres styles orientaux (turc, qawwali soufi, samaï, tihaï indien…) ou méditerranéens (flamenco).
L’attrait supplémentaire de cet album réside dans la participation du percussionniste hollandais Heiko DIJKER, dont les rythmes tortueux et sophistiqués au tabla ajoutent une dynamique à multiples variantes aux structures déjà fort élaborées des maqams, qui sont à la musique arabe ce que sont les ragas à la musique indienne. Accessoirement, Hamza se paye même le luxe d’innover en termes d’enregistrement puisqu’il a utilisé les techniques modernes de studio (le « multitracking ») afin de superposer trois pistes de kanoun sur Ishk.
Manifestement très prodigues en termes de créativité, les frères M’ RAIHI n’ont pas tardé à proposer au même label Arion leur nouveau projet baptisé Asfar, soit « Voyages ». Et comme, lorsqu’on dit voyages, on pense rencontres, Amine et Hamza ont convié des artistes de divers horizons pour les soutenir dans leur désir de peindre de nouveaux espaces mélodiques et rythmiques qui intègrent des influences arabes, turques, persanes et indiennes, voire d’occasionnels accents jazzy, et qui alternent plages méditatives et moments plus frénétiques.
Le soutien rythmique est donc une fois encore assuré par le joueur de tablas Heike DIJKER sur certaines pièces, tandis que d’autres font entendre les sons plus diffus et enveloppés du tombak et du def du percussionniste iranien Mustapha AMIDI FARD.
Asfar se distingue surtout par la participation d’un grande voix tunisienne, celle de Mohamed JEBALI, qui trouve dans ce cadre ouvert une opportunité d’exposer de nouveaux aspects de son immense talent, au travers notamment des poèmes mystiques d’Abou NOUAS et du soufi El HALLEJ, qu’il explore avec une profonde et émouvante dévotion.
Signalons enfin la présence du clarinettiste turc Birol GURKAN (LATÇO TAYFA, COMPAGNA), parfaitement à l’aise dans les brèches improvisées qu’Amine et Hamza continuent d’ouvrir dans leurs cadres mélodiques avec une volonté de challenge que tous les participants à cette création prennent plaisir à relever avec une généreuse inspiration.
Tout en continuant à œuvrer dans les hautes sphères des musiques savantes arabes et orientales, Amine et Hamza ont, avec Asfar, accouché d’un opus aux arrangements plus diversifiés et colorés que son prédécesseur et qui, par conséquent, devrait être davantage accessible aux oreilles qui auraient perçu Ila Hounak plus aride du fait de sa configuration en seul trio. Néanmoins, les deux albums sont magnifiques et sont à recommander à tout amateur exigeant et connaisseur de musique classique arabe ouverte et voyageuse.
Stéphane Fougère
Site : https://www.facebook.com/AmineandHamza
Label : www.arion-music.com
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°18 – janvier 2006)