ANIKA – Change
(LP : Invada Records / CD : Sacred Bones Records)
ANIKA (alias Annika HENDERSON), DJ berlinoise, activiste, muse, intellectuelle engagée, féministe toute empreinte d’une coolitude arty et naviguant dans plusieurs sphères européennes branchées (musique, mode, presse, poésie et installations etc.), a enregistré en 2010 un album de petites chansons pop décalées ou contrariées produites par Geoff BARROW, tête pensante de PORTISHEAD. Des reprises de DYLAN, de Yoko ONO et de Ray DAVIS des KINKS et deux compositions personnelles plutôt prometteuses. A suivi un EP avec quelques inédits et une collaboration dans la même veine avec le groupe « néo-cold wave » EXPLODED VIEW vers 2018.
Le premier album à l’ambiance no-wave n’aurait pas déparé le catalogue Crammed Discs pour lequel plusieurs dames excentriques avaient officié avant elle dans les années 1980. On pense d’ailleurs à la chanteuse équilibriste/funambule HERMINE à la voix quelque peu éraillée (euphémisme), à l’accent anglais à couper au couteau (on reste sans voix parfois), et qui chante faux (le sait-elle ?) de bout en bout de ses deux albums devenus cultes (sur la pochette de son premier album, elle est même en train de ranger ses vinyles dans son lave-vaisselle) figure de la branchitude continentale et bruxelloise des années 1980 – 1984. En tous cas les critiques qui veulent prendre des raccourcis sans se fatiguer se sont magistralement trompés en comparant ANIKA bien à tort à NICO (allemande, voix un peu grave, air triste !) car Nico est inimitable à jamais.
Au bout de longues années de silence, parait donc ce second album solo, cette fois-ci avec ses propres compositions et sans Geoff BARROW et sans son (lourd) accent quand elle chante en anglais, car la voix a pris de l’assurance et passe à un phrasé moins caricatural (et moins déroutant). Les morceaux s’enchainent avec fluidité, sans jamais être trop longs et composent un ensemble mélancolique, répétitif et minimaliste (Never Coming Back répété pendant 2 minutes) avec toujours les dissonances de rigueur.
Le fond instrumental est très prenant, louchant parfois vers ce que certains groupes des débuts des années 1980 proposaient pour pousser la new wave au-delà des limites du néo-pop. C’est un retour bienfaisant, car ANIKA n’a pas cherché à succomber aux modes des années récentes. Elle reste fidèle à ses mondes un peu sombres et ne joue pas la carte de la star incomprise qui méprise tout le monde. On pense également à une P.J HARVEY (qu’elle remercie dans les crédits) qui se situe dans le même registre et qui n’essaie pas de singer les (mauvais) goûts du jour.
L’album assez court, est composé de morceaux qui vont tous à l’essentiel tout en prenant le temps d’installer des atmosphères bien définies. Les huit morceaux formant un fil (rouge et argent comme la pochette) jusqu’à Wait for Something, le tout dernier, commençant de façon un peu déjantée à la guitare, et qui passe au bout d’une minute à une structure orchestrée plutôt bancale, les musiciens tentant de suivre tant bien que mal la chanteuse se lâchant vers un retour clin d’œil à ses premières amours.
Réécoutez I Go to Sleep et He Hit Me sur l’EP de 2013 à l’occasion. Et surtout Change de 2021 : Trente-huit minutes pour un retour inattendu, une surprise agréable en rouge et argent et comme la dame a l’air d’avoir de la suite dans les idées, on envisage la suite avec bonheur mais merci à elle de ne pas nous faire attendre dix ans à nouveau.
Xavier Béal
Site : Anika (anika-music.com)
Page : Change | Anika (bandcamp.com)