Miqueù MONTANARO
Le Tambourinaire de traverse
Parfait inconnu des circuits cultivant les effets de mode mais inévitable figure de la scène provençale de ce qu’il est convenu d’appeler les « nouvelles musiques traditionnelles », Miqueù MONTANARO œuvre depuis une trentaine d’années à la dynamisation des échanges entre cultures en même temps qu’à la valorisation de leurs différences, et s’est taillé une réputation de rassembleur en plus de celle de compositeur. Saxophoniste de formation passé au très provençal galoubet-tambourin en plus de l’accordéon et des flûtes, alimenté au folklore provençal, au free jazz (il a joué avec Barre PHILLIPS), aux musiques est-européennes et à la musique médiévale, MONTANARO a tracé discrètement et patiemment son chemin de spectacles solistes comme Raga tambourin en formations dantesques telles que VENTS D’EST, qui regroupaient une bonne vingtaine de musiciens, dont ceux des groupes hongrois GHYMES et VUJICSICS, en passant par les trios atypiques L’ORA DAURADA et IMAGINOGÈNE, étendard de la musique du même nom aux allures de peinture sonore.
En bon tisseur de passerelles, ce globe-trotter occitan prend le temps de s’imprégner des dialectes culturels des pays et des régions qu’il découvre et cultive ardemment le partage révérencieux comme le respect convivial, conditions sine qua non d’une quête artistique résolument tournée vers la création aux rebondissements infinis. Préférant la transculturalité mûrie à la world music de façade, MONTANARO a sans complexes poussé ses expériences de croisements culturels jusqu’en Afrique noire, où un griot burkinabé a dit de lui qu’il « parle aux dieux avec sa flûte et à la Terre avec son tambour » et même jusqu’en Indonésie, où il a élaboré un terrain d’entente commun entre folk occitan et musique de gamelan javanais.
Dans son tranquille village retiré de l’arrière-pays varois, Correns, MONTANARO a donné naissance à une chorale amateur ARTICLE NOU (9), qui comprend une vingtaine de chanteurs et de chanteuses, avant de créer en 1995 le Creuset international des musiques ouvertes et de tradition orale (CIMO ET TO), structure associative unique installée dans le château Fort-Gibron de la commune et regroupant plusieurs activités : c’est d’abord la création du festival Les Joutes Musicales de Printemps, consacré aux musiques traditionnelles ouvertes, qui accueille plus d’une centaine de musiciens de la région et d’ailleurs. En 2001 a été officiellement créée la Compagnie MONTANARO, avec laquelle il a déjà monté plusieurs créations (Opéra Dòna, Mathis…) et qui s’est aussi donné pour tâche de sensibiliser le public à ces musiques transculturelles. En 2002 a suivi l’inauguration du Chantier, qui accueille les artistes en résidence et favorise leurs échanges internationaux.
Remis en lumière par la parution du CD rétrospectif Tambourinaire chez Buda Musique en 2003, le champ musical de Miqueù MONTANARO s’impose de par son ampleur et ses projections comme un phare avisé faisant rayonner la tradition provençale au présent et lui préparant le plus viable des avenirs tout en en propageant la résonance sur le plan universel.
Pour ETHNOTEMPOS / RYTHMES CROISÉS, Miqueù MONTANARO évoque ses diverses activités créatives (Les Joutes Musicales, la Compagnie, le Chantier…) et raconte sa vision artistique. Elle contient incontestablement l’une de ces graines qu’il est judicieux de prendre…
Entretien avec Miqueù MONTANARO
Commençons par retracer l’histoire du festival des Joutes Musicales de Printemps de Correns. Quelle en a été la motivation d’origine ?
Miqueù MONTANARO : En fait, au départ, on n’était pas partis pour faire un festival. Il y a depuis des années de nombreux musiciens qui passent à Correns. D’abord il y a ceux qui travaillaient avec moi. On a eu l’idée de profiter de ces passages pour faire des concerts, ou montrer les travaux en cours. Le fait de pouvoir montrer un travail en cours permettait d’associer un petit public d’ici à cette musique. Ça a plu et on a commencé à organiser, dans le cadre du comité des fêtes, une programmation cohérente sur tout l’été. En même temps, le comité des fêtes devait aussi s’occuper de la fête du village, et ce n’était pas notre histoire à nous. Petit à petit, on a séparé les deux.
Comme j’avais monté une association pour soutenir mon travail dans le groupe, on a utilisé ce sigle de l’association pour développer nos activités. Ça s’appelait le « Creuset international des musiques ouvertes et de tradition orales », CIMO & TO. À partir de là, CIMO & TO est devenu autre chose que simplement une association faite pour la gestion des activités d’un groupe professionnel. Elle a donc été conçue pour gérer les activités de présentation au public de spectacles ouverts. Ensuite, comme la plupart des gens qui s’intéressaient à ça ont aussi réalisé une chorale (ARTICLE NOU), l’association est devenue aussi la structure juridique de la chorale.
Ensuite, ces projets se renforçant, et devant aussi la concurrence en été – parce que les musiques traditionnelles se développent sous les formes world-music, musiques du monde, il y a plein de musiques, par exemple dans le jazz, qui font référence à la tradition -, il est devenu difficile de faire une programmation régulière de petits concerts. Ça s’appelait Les Étés de Correns. On s’est dit qu’il valait mieux trouver un week-end hors de la foule et créer un événement sur lequel on s’investirait une fois par an, mais où on ne serait pas tous les quinze jours à se battre contre des gens qui ont de gros moyens.
Pour éviter l’affrontement, on a choisi une date où il ne se passait rien, très tôt dans l’année. À Correns c’est la première festivité, ainsi que dans le coin. À partir de là, on a développé l’idée de rencontres, de joutes dans le sens moyenâgeux de joutes poétiques. On vient, on dit ce qu’on sait faire et on écoute l’autre.
Et pour le public c’est la même chose. L’idée, c’est que les gens viennent non pas pour voir leur artiste favori comme on fait souvent dans un festival, mais viennent avec l’idée de rester pendant trois jours et de voir beaucoup de choses et se laisser emporter. Ça a commencé à toucher les musiciens d’ici. Finalement, on s’est aperçus qu’il n’y avait pas tellement d’endroits où on pouvait comme ça montrer des choses.
Former le public
Le public d’ici était-il déjà un peu familier de ces musiques ?
MM : À Correns, on avait un public de 100, 120 personnes, membres de l’association. Sur un village de 700 habitants, c’est quand même assez important. Une vingtaine d’entre eux étaient membres actifs de la chorale + les familles. Donc on avait vraiment un fonds de public. À partir du moment où on a commencé à lancer cette idée de joutes, ça s’est fait en deux temps : premières Joutes, ça s’est bien passé ; deuxièmes Joutes, ça s’est passé très bien mais déjà on s’est demandé ce qu’on allait faire après ; on ne voulait pas refaire la même chose tous les ans. La troisième année, en janvier, on a décidé d’arrêter. Il y avait aussi une partie concours, et ça ne nous plaisait pas d’organiser un concours.
Puis il s’est passé quelque chose de très fort : en une dizaine de jours, on a reçu plein d’appels de groupes qui voulaient venir jouer aux Joutes, qui comptaient dessus. Puis le Conseil général a appelé pour dire qu’il ne comprenait pas pourquoi on n’avait pas fait la demande de subventions pour les Joutes Musicales. On lui a expliqué que même avec les sommes qu’il nous donnait on ne pouvait pas faire un festival. Les membres du Conseil ont demandé un budget. J’ai fait un budget de festival. Ils nous ont proposé une somme intéressante pour le faire quand même et de l’aide « sérieuse » pour l’année suivante.
En même temps, l’Arcade avait un groupe à montrer, ils nous ont offert une soirée. La Compagnie MONTANARO a fait aussi une soirée sur son propre compte. Puis on a organisé une soirée qui était payée par le festival, des lauréats des éditions précédentes. C’est comme ça que les troisièmes Joutes ont eu lieu. J’ai pris le téléphone et j’ai appelé les copains pour qu’ils viennent tous gratuitement en promettant que, si le festival marchait, l’année d’après on faisait revenir la moitié de la programmation rémunérée et l’année suivante l’autre moitié. C’est ce qu’on a fait.
Le festival est devenu quelque chose dont on parlait dans le milieu. C’est la première année cette année, la septième, où on fait une affiche, où il y a une communication qui s’est faite en amont. Jusque-là c’était le bouche à oreille, des petits tracts. Ce qui est intéressant, malgré la communication, c’est qu’on a eu beaucoup de monde, mais avec une majorité de gens dans l’esprit d’avant, et pas encore un « tout-public » qui vient sur l’événement sans être intéressé par ce qui s’y fait. C’est en même temps une fête populaire, toutes générations confondues. On voit des enfants de deux/trois ans qui se promènent dans le festival, et ça va jusqu’au personnes âgées qui s’intéressent à ces musiques.
Le public comprend-t-il beaucoup de villageois de Correns ?
MM : Non, maintenant ce sont des gens de la large région, c’est-à-dire de Nice à Marseille, voire Avignon. Aujourd’hui j’ai appris que des gens étaient venus d’Auvergne, ou de Dax. On commence à avoir des gens qui viennent de très loin, qui en ont entendu parler.
Il y a un photographe qui vient sur les Joutes Musicales toutes les années et qui fait tous les festivals de musique traditionnelle, Jeff DANTIN. On voit ses photos, on lui demande ce que c’est que ce festival, où c’est ?, etc. C’est un endroit chouette, un festival tranquille. D’ailleurs on tient à ce que ça reste des rencontres aussi. J’essaie de programmer des gens qui ont une démarche cohérente et de faire en sorte que le public accepte d’entrer dans ces démarches-là.
L’idée c’est de créer, parce que je crois qu’on crée un public aussi, on forme un public. L’idée c’est que les gens acceptent de rentrer dans une logique différente presque à chaque concert. Quand on passe de IALMA à Beñat ACHIARY, ça fait un grand écart. IALMA c’est très beau, il y a une force qui se dégage, mais chez ACHIARY aussi, sous une forme radicalement différente, ou Pedro ALEDO, ou les TURBULENTS à l’Église, où on voit la force du chant, des personnes qui ont un mal fou à se parler et à communiquer et qui en chantant font vibrer tout le monde. C’est un miroir très fort, et on retrouve ça aussi dans la plupart des choses programmées, en essayant de ne pas imposer une seule logique mais de faire cohabiter et dialoguer des logiques différentes.
Des structures distinctes pour des créations ouvertes
Justement, le festival privilégie les créations…
MM : Le développement de la Compagnie MONTANARO après les grands projets type VENTS D’EST a amené les autorités à vraiment s’intéresser à notre travail et à son originalité, donc chorale amateur, festival et Compagnie, qui déjà est aussi un phénomène ouvert. Il y a un peu plus de trois ans, j’ai proposé de réaliser quelque chose qui me tenait à cœur, c’est-à-dire un lieu de rencontres et de créations permanent. Et il y a eu la rencontre avec Françoise DASTREVIGNE de l’ADIAM qui, elle, avait fait une étude très précise et qui avait le projet de structure tout monté mais avec un autre contenu qui ne semblait pas d’actualité. On a remplacé le contenu par celui de cette recherche de dialogue entre diverses musiques, et le projet a été accepté. On a donc créé le Chantier, qui est aussi à Correns.
Tout ça forme quatre entités séparées : il n’y a pas un centime du Chantier qui va à la chorale, pas un centime de la Compagnie MONTANARO qui va aux Joutes Musicales, etc. Financièrement c’est extrêmement séparé, mais du point de vue de l’énergie, ça va ensemble. C’est vrai que la Compagnie bénéficie aussi de l’énergie de la chorale parce que les gens de la chorale demandent souvent de chanter des chansons de la Compagnie, mais une chanson de temps en temps qui leur plait, ils la mettent dans leur répertoire. Ça reste une énergie comme ça, et c’est vrai que tous les ans, pendant les Joutes, la Compagnie joue sa nouvelle création, on la réserve un peu pour ce moment-là, mais aussi le Chantier maintenant présente ses créations ou les coproductions avec d’autres compagnies. En même temps, du point de vue structurel, les budgets sont totalement séparés et étanches.
Depuis le début, y a-t-il eu beaucoup de coproductions ?
MM : Depuis deux ans, depuis l’inauguration du Chantier aux Joutes, il y a eu une meilleure présence des créations, et il y en aura de plus en plus. Les Joutes, ce sera aussi un moment de présentation des travaux qui se font au Chantier. Du point de vue de l’énergie, du point de vue de la logique, tout est cohérent. On passe d’une chose à l’autre, c’est cohérent mais séparé.
Apparemment, le point commun de toutes ces structures est qu’il y a la volonté de présenter un travail qui fait se rencontrer des musiques et des musiciens d’horizons différents travaillant ensemble.
MM : Voilà. Et qui ouvrent sans arrêt les perspectives autour des musiques traditionnelles. On a des exemples. En plus, il y a une partie maintenant qui devient intéressante, c’est la présence de cinéma pendant les Joutes, qu’on n’a pas encore assez développée. On avait collaboré avec une association niçoise qui avait son propre développement sur Nice, et un peu de difficultés à venir s’intégrer ici. Mais cette année on a continué avec une autre association qui a la volonté de venir travailler régulièrement au Chantier pour filmer les groupes et pour préparer une programmation spécifique pour les Joutes à partir d’éléments récupérés sur d’autres régions, sur d’autres parties du monde qu’on ne peut pas forcément inviter aux Joutes, comme des grands groupes africains, pour des questions de moyens.
En revanche on peut présenter des films montrant ce travail qui se fait là-bas et aussi montrer le travail de préparation des créations qu’on va montrer aux Joutes. On a en projet de montrer le travail de préparation qui s’est fait à Correns, c’est-à-dire les étapes de la création. Donc on essaie d’ouvrir encore à d’autres moyens d’expression. Je pense à la danse contemporaine. L’an dernier, on avait travaillé sur le hip-hop et les musiques et instruments traditionnels. C’est quelque chose qu’on aimerait continuer à développer, en rapport avec les autres disciplines, mais avec toujours cette idée de ne pas s’enfermer sur une forme ; ne pas dire qu’il y a des vérités dans cette musique, mais qu’il y a des possibilités.
Il y a aussi une chose, c’est que les Joutes Musicales ne sont pas un festival de programmateurs. C’est un festival de musiciens, à l’écoute des musiciens, à l’écoute des propositions des musiciens, avec acceptation de prises de risques. Il peut y avoir un concert qui rate, c’est comme ça. Mais on s’aperçoit d’année en année que les gens se retrouvent dans chaque aspect de la programmation. Tout le monde n’aime pas tout forcément et heureusement, mais on voit, on s’influence les uns les autres… Pendant qu’une création se monte, les musiciens impliqués dans d’autres créations disent « moi je n’aurai pas travaillé comme ça »… Il y a alors des discussions, c’est ça qui est intéressant.
Est-il déjà arrivé qu’une création soit reprogrammée parce que quelque chose n’allait pas ?
MM : On a fait ça surtout pour une création d’un groupe qui s’appelle TOCOLORO qui n’était pas terminée. On avait présenté un extrait aux Joutes, parce qu’on peut faire des spectacles courts. On avait présenté des choses dans les petites Joutes, dans les villages alentours. Et quand ça a été terminé, l’année d’après on l’a présentée ici, à Correns, en entier. Entre temps, le groupe avait fait aussi une résidence dans un lieu de musiques actuelles qu’il y a ici. Pour nous c’est important aussi, la musique traditionnelle, et les nouvelles musiques traditionnelles font partie de la musique actuelle. C’est une musique vivante, ce n’est pas du musée, c’est quelque chose qui se réinvente chaque jour.
Œuvrer plutôt que produire
Recevez-vous beaucoup de demandes en matière de créations, de résidences ?
MM : De plus en plus, vu que… ça commence à se savoir ! (rires) Le festival peut accueillir des choses en chantier, une création, mais c’est le Chantier qui produit ou coproduit des œuvres. Je tiens à dire que ce sont des œuvres parce qu’on a trop tendance à penser qu’une pièce de musique contemporaine écrite par un compositeur seul est une œuvre, mais qu’une pièce écrite par deux ou trois compositeurs, improvisateurs et interprètes en même temps n’est pas une œuvre. Alors que c’en est une, avec son originalité, sa cohérence, son propre monde dans lequel on propose d’entrer ! Il n’y a pas de différence avec une œuvre de compositeur.
Y a-t-il des créations en cours d’élaboration qui n’ont pas encore été programmées ?
MM : Oui, il y a des choses qui n’ont pas été terminées pour cette année que l’on montrera l’année prochaine.
Combien y a t-il de créations élaborées en une année ?
MM : On peut encore difficilement faire une moyenne en deux ans d’existence. Au tout début on a lancé pas mal d’idées de créations qui se sont faites. Maintenant, je pense qu’on s’arrêtera à quatre par an. Il y a des saisons où ce n’est pas réalisable, pour des raisons géographiques : en été, ci, on ne peut pas loger de musiciens. Il n’y a pas de gîtes ou d’hôtels de disponibles. Il est plus intéressant pour tout le monde de travailler durant les saisons automnale ou hivernale. Au printemps, il y a la préparation des Joutes, c’est donc difficile d’avoir des résidences. Quoique, cette année, la dernière semaine avant les Joutes, il y avait quatre groupes en résidence à Correns qui finissaient de mettre au point leur spectacle pour le présenter, comme les PÊCHEURS DE PERLES et Moneim ADWAN (Motayem), Eric MONTBEL (La Charmeuse de serpents), la COMPAGNIE MONTANARO (Mathis) et L’Homme était nomade et la Terre mobile…
C’était intéressant à la sortie d’une répétition d’aller voir l’autre, d’aller s’écouter les uns les autres pour voir comment on travaillait. Ça l’était aussi pour moi d’entendre de la bouche d’autres musiciens qu’ils avaient compris beaucoup de choses sur ma démarche en me voyant répéter, et non pas de l’entendre une fois le spectacle fini. De la même façon, j’ai été très intéressé par la façon dont Eric MONTBEL a conçu son spectacle, lui-même m’ayant avoué s’être inspiré de l’Opera Dòna que j’avais conçu. (rires) C’est cela qui est intéressant : créer un lieu de confrontation, de recherche, de fabrication… On n’est pas sur l’idée de « produit » ici, on est sur l’idée d' »œuvre », avec du temps, la possibilité de se tromper, de revenir sur les choses, etc.
Vous enregistrez ici, sur place ?
MM : En partie oui, certaines choses. Ça dépend parce que l’an dernier la Compagnie MONTANARO a eu une commande pour une pièce de théâtre et il y a ici un très bon ingénieur du son qui a monté son studio mobile, donc on a enregistré la pièce sur place, à Correns.
Est-il prévu que tout le monde puisse enregistrer ?
MM : Oui, sur l’année prochaine on a déjà au moins un enregistrement de disque qui va se faire ici, parce que le groupe a besoin d’une direction artistique forte, et donc j’assurerai ce travail. C’est le groupe RIVATGE, qui a un très beau travail, très fin, sur le renouvellement de ces musiques en fabriquant de nouveaux instruments notamment, avec de très beaux arrangements, mais qui sur le dernier disque ne sonnaient pas ; on a souhaité les aider à faire vraiment sortir en disque quelque chose de très fort correspondant à ce que donne leur travail quand on les entend en vrai. Ce serait dommage de ne pas aller au bout de ce qu’ils font véritablement pour des raisons de temps, d’écoute, de ne pas avoir le temps d’écouter de l’extérieur.
Une quête en devenir
La création Mathis a été présentée comme une « avant-première ». Qu’est-ce à dire ?
MM : Oui, c’est une avant-première musicale. On a présenté que la partie musique. C’est pour ça qu’on pouvait à certains passages ne pas comprendre pourquoi ça dure si longtemps ! Il y a des parties chorégraphiques, il y a des projections de films, mais en même temps la musique tient aussi d’elle-même. Beaucoup de gens se sont laissés emporter dans ce temps-là qui est différent. Mais c’est quelque chose que je défend aussi par ailleurs : les temps différents et des rythmes différents. Je deviens de plus en plus proche aussi parce que j’écris, par ailleurs je suis aussi compositeur de musique savante écrite, j’ai tendance à privilégier la construction fine et entre le point le plus faible le plus ténu de la musique et le point le plus festif, l’amplitude est énorme dans ma musique. Elle est beaucoup plus grande que la plupart de ce qui se fait en musique traditionnelle.
Les choses qui marchent aujourd’hui sont des choses qui peuvent être écoutées sans être écoutées. Pour moi c’est impossible. Si on ne rentre pas dans la logique de la composition, c’est un peu comme si on allait reprocher à un quatuor à cordes de ne pas avoir de batterie. Il ne faut pas attendre une batterie. Le rythme, il faut le trouver ailleurs. Lorsque j’entends de la musique, avant de la jouer, je l’entends avec des moments très doux et puis des moments très forts, parce que la vie est comme ça.
Dans le projet Mathis, c’est quelqu’un qui s’en va, donc qui est en quête, Mathis veut dire « recherche de connaissance, de savoir », et c’est aussi Martigues, Thessalonique, Istanbul, et on ne peut pas comparer le grand port de Thessalonique qui est vide – il n’y a pas de bateaux dans le port de Thessalonique – alors qu’à Martigues il y en a, et à Istanbul. À Martigues ce sont des bateaux calmes qui dansent sur un canal, et à Istanbul c’est la folie sur le Bosphore. On ne peut pas raconter ces trois choses dans le même volume sonore, dans la même intention. Il y a des moments d’un calme léger et des moments de folie.
La musique elle-même raconte son histoire à l’intérieur de l’histoire et par les chansons, par les images, les danses, et le public doit en fait se faire sa propre histoire. Quand je pense à certaines remarques sur telle ou telle musique, « il faudrait plus de pêche, » etc., je pense toujours au Concerto d’Edgar, c’est une pièce qui n’est que de l’attente. Il ne se passe rien, très peu de choses, et il y a un thème magnifique qui apparaît et qui s’envole à trois reprises, et puis ça retombe chaque fois. Et en fait toute l’écoute de ce concerto, c’est d’attendre ce moment, cette envolée. Personnellement, je ne peux pas écouter ce concerto en conduisant parce que cette envolée me fait pleurer tellement que je suis obligé de m’arrêter. Ça dure très peu de temps dans la pièce, mais tout prépare à ça. S’il n’y avait que des envolées comme ça, elles n’existeraient plus.
Et pour moi, dans l’écriture de Mathis, on passe 1 heure 40 à attendre le moment où les trois voix vont chanter a capella, et tout prépare à ça ; à ce moment-là, les gens qui rentrent dans cette logique sont touchés, émus très profondément. C’est le retour qu’on a eu de la présentation de la seule musique. Mais le fait qu’il y ait du film et aussi de la danse ne fait que conforter cela, c’est-à-dire qu’à un moment on se retrouvera avec ces trois chanteuses a capella après tout ce qui se sera passé, c’est dans cette suspension-là, au moment où le véritable dialogue s’est instauré, entre ces trois cultures ; c’est tout le sens, c’est la clé.
Mais pour ça, c’est une musique qui demande à entrer dès la première seconde et à rester jusqu’à la dernière. Si on sort et si on place son regard ailleurs, ça ne fonctionne plus. La plupart de nos symphonies, et d’une manière générale la musique européenne, qui nous semblent très fortes et très intéressantes, quand elles sont écoutées par des gens qui n’entrent pas dans cette musique, apparaissent totalement ridicules. C’est pour ça que je défends à l’intérieur de la programmation du festival cette idée de « laissez-vous porter, entrez dans la logique de ce que vous entendez ».
Y a-t-il aussi un projet de disque sur Mathis ?
MM : Le problème est que Mathis dure 1 heure 40 ; ça ferait deux disques !
Il ne peut pas y avoir de version « allégée » ?
MM : Justement non, parce que tout le temps de ce travail est important.
Et un DVD ?
MM : Je ne sais pas… c’est du spectacle vivant, donc pour le moment il faut chercher, c’est quelque chose qu’on verra plus tard. Aujourd’hui pour la Compagnie, il y a des projets qui continuent leur vie et qui se jalonnent, notamment la rencontre du trio ORA DAURADA et d’un ensemble marocain, AL MAOUSSILIA, sur une nouba que j’ai composée il y a dix ans et qui est jouée beaucoup au Maghreb, qui a été enregistrée pour la première fois dans son intégralité avec justement ce rapport entre musique arabo-andalouse et notre musique qui est ce nouveau langage. C’est extrêmement riche.
Je travaille beaucoup sur la durée. Ça fait quand même trente ans que je suis musicien professionnel, j’ai toujours réussi à imposer mes choix lentement sans jamais être la personne dont on parle sur le moment. Mais en revanche, dans le temps, dans l’expérience, j’ai quand même la confiance d’énormément de programmateurs dans le monde, de créateurs, de théâtres, de gens qui font des films, etc., et cette confiance est dans le temps. Ce n’est pas…
Ce n’est pas un phénomène de mode ?
MM : Voilà. Par contre j’ai vu beaucoup de gens être à la mode et puis disparaître dans ce temps-là… Et je préfère cette base extrêmement solide. Je préfère la colline au pic montagneux. Je ne fais pas d’éclats. Quand j’en fais, on en parle longtemps. Il y a toujours des gens qui sont encore émus par le souvenir de St-Chartier en 1995, la Ballade pour une mer qui chante, c’est quelque chose, je crois parce qu’on me le dit souvent, qui a marqué beaucoup de musiciens traditionnels en France, et qui souvent s’en rendent compte maintenant.
Quand je suis allé écouter le DUO BERTRAND, j’étais très étonné qu’ils me disent qu’ils étaient toujours à l’affut de mes disques, parce que ça leur donne la liberté. C’est ce que j’essaie de développer, le mot-clé c’est liberté. Mais ça s’organise, la liberté.
Pierres qui roulent…
Vous avez eu l’occasion justement de travailler avec des musiciens hongrois, africains, javanais, donc vous avez voyagé. Savez-vous si vous avez suscité d’autres idées de festivals, de créations dans d’autres pays ?
MM : Par exemple, à Java, j’avais été très touché par la musique du Kraton (palais royal du sultan) de Yogyakarta, et j’ai commencé à réfléchir à ce que je pourrais faire avec. J’ai proposé des choses, et ça a suscité un projet qui s’est réalisé sur quatre disques avec le gamelan de Sapto RAHARJO, dont un avec André JAUME seul, un avec André JAUME et Rémi CHARMASSON, plutôt jazz, un autour des rencontres autour des traditions avec moi et puis un autre… J’avais pensé qu’Alex GRILLO, qui est un jeune vibraphoniste, serait très intéressé par cette musique, et j’ai profité de ma présence en Indonésie pour lancer l’idée. Finalement c’est Alex GRILLO qui a développé une relation régulière en Indonésie avec les musiciens avec lesquels on avait joué et qui a vraiment poussé le travail.
De plus, j’ai le projet d’une autre œuvre avec de même un gamelan. Je revendique le droit de lancer des choses, mais de ne pas forcément les exploiter moi-même, juste de faire en sorte que ce soit possible. C’est vrai que j’ai beaucoup insisté pour qu’il y ait un quatrième disque avec Alex GRILLO. Ce n’était pas prévu au départ, mais j’ai vraiment dit « ça sera le point fort de tout ce qu’on a fait ». Et puis après on a fait une tournée ensemble en Indonésie avec les musiciens indonésiens.
Il y a quelque chose qui me touche vraiment beaucoup, c’est que dans toutes les cultures où je suis passé, avec lesquelles j’ai dialogué, j’ai laissé une petite trace. En Indonésie j’ai laissé une chanson qui est devenue une chanson nouvelle de la musique indonésienne. Elle est maintenant chantée très régulièrement là-bas, c’est devenu un classique de la musique indonésienne. C’est une chanson très simple, le poème a été écrit par Alain BILLY, un poète du village à côté qui était en poste là-bas, et traduit en javanais par un poète javanais et chanté sur une musique à moi, et c’est devenu un classique. Quand, deux ans après avoir enregistré le disque Java, on a fait le concert à Yogyakarta, quand les musiciens ont commencé à jouer le thème, tout le monde s’est mis à chanter. C’était extrêmement touchant de voir ce que peut devenir, par la force des choses, une musique qu’on a faite sur une inspiration personnelle…
C’est Béla BARTOK qui disait qu’une musique populaire c’est en fait toujours quelqu’un qui l’a faite, c’est toujours l’œuvre d’une personne mais on ne se souvient plus qui c’est. Cette personne a décroché un caillou de la montagne des possibles, l’a lancé, l’a jeté dans la rivière ; ce caillou a roulé et est devenu un galet. La musique traditionnelle, c’est ce galet qui a été poli par de nombreuses voix, de nombreuses interprétations. Et c’est pour ça qu’elles se renouvellent toujours. Il y a des chansons qui sont immortelles et il y a des chansons qui se créent et qui entrent petit à petit dans une tradition. Et c’est vrai que, en Indonésie, le « Sumunar bunder abang » (Cangkringan) est devenu un refrain que tout le monde chante et personne ne saura jamais que la musique a été écrite par un Français, Occitan de surcroît, de passage.
Là, on a dépassé le cadre de la fusion !
MM : Il y a aussi cette idée de fusion… C’est vrai que, aujourd’hui, c’est devenu le passage obligatoire, alors que ça a toujours existé : le musette c’est une fusion, le rebetiko c’est une fusion, le fado c’est une fusion, le chaabi c’est une fusion, toutes ces musiques ne remontent pas à la nuit des temps. Ce sont des musiques qui ont 70-80 ans, mais ce sont devenues des traditions qui continuent de se renouveler, et quand j’ai commencé à faire dialoguer la musique provençale avec toutes les musiques du monde, beaucoup de gens m’ont dit « mais ça n’a aucun avenir, ça !». Et pourtant, je crois que s’il y a quelque chose qui a de l’avenir c’est justement de continuer à confronter les musiques en n’ayant pas peur du renouvellement. Parce que très vite, on le voit sur tout ce que j’ai écrit pour le galoubet tambourin, tout ce que je joue, dès que les tambourinaires en groupe s’en emparent, le ponçage démarre. C’est-à-dire que dès que ça a été transmis à un autre, il commence à poncer.
Je pense notamment à un morceau qui s’appelle Orient Express. J’avais écrit ça pour un projet bien précis en République tchèque ; des Hongrois l’ont entendu et l’ont transformé quasiment en un thème hongrois. Quand on a créé VENTS D’EST, ils ont voulu le jouer dans VENTS D’EST ; ça a été entendu par des vielleux, et on sait exactement qui l’a adapté pour la vielle à roue. Aujourd’hui c’est une scottische que tous les vielleux jouent. Sur la vielle, ça sonne très bien, ça fait jouer le chien d’une certaine façon et beaucoup de gens connaissent ce morceau sans savoir que c’est de moi !
C’est beau à suivre, j’adore suivre ces chemins et que ça se fasse. Il y a un groupe qui s’appelle TAQSIM qui a joué deux versions d’un morceau, Gaspard de Villanove, en pensant dans les deux cas que c’était un morceau du Moyen-Age. Les musiciens l’ont enregistré ; et au moment de la déclaration SDRM, quand ils ont donné le titre, on leur a signalé que c’était une œuvre composée par moi. Comme ce sont des copains, ils m’ont appelé et m’ont demandé l’autorisation de le mettre sur le disque. J’ai dit « oui, il n’y a aucun problème ». Et ce qu’ils en ont fait est magnifique ! À la limite c’était « d’après » un thème de MONTANARO.
Et quand vous l’avez composé vous n’avez pas pensé à l’écrire pour un instrument précis ?
MM : Si, je savais que je l’écrivais pour que ce soit chanté, dans le cadre d’une pièce de théâtre, dans un grand son et lumières. Pedro ALEDO, qui l’avait chanté pour le son et lumières, trouvait que c’était un beau morceau, il l’a chanté dans l’Ensemble Méditerranéen, donc avec d’autres modifications, parce qu’on lui incluait des instruments orientaux, et c’est en écoutant le disque de Pedro ALEDO que ces amis ont eu l’idée de reprendre le thème, que moi je n’ai d’ailleurs plus joué depuis. Et ça circule. J’apprends que des groupes en Suède, en Hollande, en Allemagne, reprennent certains thèmes comme ça. La force d’une culture traditionnelle est d’être capable de prendre n’importe quel thème, de le transformer et de l’adapter à la culture en question. Une culture est morte quand elle n’est plus capable de faire ça.
Je pense à des fanfares roumaines qui adaptent des thèmes de n’importe quoi, des BEATLES, de la chanson française, Charles TRENET… Si on ne fait pas attention, on a l’impression d’entendre… Il jouent ça à côté d’un thème ancestral, de pièces écrites au XVIIIe siècle transformées par leur style fanfare. C’est ça, c’est la vie.
Distanciation autiste et pouvoir obscurantiste
Pour le festival, avez-vous toujours des facilités pour obtenir des subventions ?
MM : On ne peut pas dire « facilités ». Chaque année, il faut défendre le projet, il faut expliquer que si on veut avoir une meilleure qualité d’accueil, une meilleure lisibilité, il faut plus de moyens. On essaie d’avoir plus de sécurité aussi. Plus il y a de monde, plus il faut faire attention que le public soit dans des conditions de sécurité optimales. Dans ce festival, il y a quand même énormément d’enfants qui courent de tous les côtés ; il ne faut pas qu’il y ait de câbles électriques qui traînent. Les sonorisateurs et la régie générale sont très pointilleux sur la sécurité.
La sécurité ne concerne pas que l’enceinte du festival c’est aussi tout ce qu’il y a autour. Malheureusement, ce type d’événement crée aussi des événements off qui ne sont pas forcément dans l’esprit de ce qu’on veut faire. Il y en a, j’ai entendu souvent à un coin de rue quatre personnes chantant n’importe quelle musique avec une guitare, et pour moi c’est dans l’esprit. Si ces personnes chantent du ROLLING STONES, il n’y a pas de problème parce que ça devient de la musique populaire quand c’est chanté comme ça, ou du BRASSENS. Quand c’est partagé… Parfois, on sent que c’est un endroit où on vient déverser des frustrations et nous aimerions plus que ce ne soit pas là qu’on vienne faire ça, mais que ce soit plutôt un moment où l’on vient vivre, où l’on vient écouter l’autre.
On est quand même dans une société où l’autisme est beaucoup plus présent qu’on le croit. Les gens vivent de plus en plus dans un monde choisi ; pas dans le moment et pas dans le temps et dans l’espace où ils sont. Par exemple, on peut avoir un portable et avoir quelque chose d’urgent à faire, mais quelqu’un qui est en train de parler à son portable se place dans un autre espace, alors qu’il est dans ce temps-là mais son espace privé rentre dans notre espace public, et il n’est plus là. Ç’est un travail qu’il y a à faire, parce que notre société est en train de mourir de ça. Ça crée des maladies à la longue. Je ne suis pas contre le fait d’être joignable, mais être en permanence en relation avec des personnes qui ne sont pas là finit par créer une distance.
Avez-vous aussi une action sociale sur le village et les alentours, avec la chorale par exemple ?
MM : Oui, et puis il y a aussi tout un aspect d’ouverture aux écoles, d’ouverture aux collèges. On n’a pas encore développé la partie formation. En ce moment, on est en train de mettre en place une collaboration avec les médiathèques, notamment celle de Carces, pour créer un fonds de nouvelles musiques traditionnelles à la médiathèque, afin que les gens puissent emprunter des choses. Parce que, pour découvrir, il est plus facile au départ d’emprunter que d’acheter. C’est quand même une musique extrêmement riche et qui doit être riche. Il faut conserver cette richesse. C’est vrai que les tendances du marché actuel voudraient que, y compris dans ces musiques, on ait quelques grands noms qui commencent à apparaître dont on parle tout le temps et qui feraient un peu disparaître le reste. Mais je crois que la diversité est une nécessité pour la survie.
Donc chaque tentative d’obscurantisme – parce que l’obscurantisme du Moyen-Age c’était ça – c’était la lutte d’un pouvoir contre la diversité, c’était le pouvoir à l’époque de l’église catholique en Europe en tout cas, contre la diversité, mais la diversité a vaincu. La diversité survit toujours aux pouvoirs qui s’usent et qui disparaissent. Le Moyen-Age était une époque extrêmement riche ; il y avait énormément de créations, énormément de voyages, d’échanges, mais tout ça était masqué par une volonté de mainmise de l’Église sur les gens, dont par un type de musique omniprésent, un modèle figé.
Éphémérité commerciale, pérennité biologique
MM : Ce modèle figé tente tous les moyens de résistance possibles. Je pense par exemple aux chanteuses du groupe IALMA que j’ai trouvé fantastique. Quand elles ont voulu faire un deuxième disque, pour sortir du bricolage et être un peu reconnues, elles ont dû passer par un arrangeur officiel d’une maison de disques qui n’a pas été capable, en leur ajoutant des musiciens, de restituer la force qu’elles ont quand elles sont cinq à chanter à l’unisson avec des coquilles St-Jacques ! Si on fait un arrangement, il faut que ce soit plus fort que ça. Sinon, ça n’a aucun sens. Mais en même temps, c’est intéressant pour les commerçants de faire ça, pour les gens qui veulent un produit à vendre. Leurs cinq voix avec des tambourins, c’est indémodable ; la force que ça dégage est indémodable. Elles peuvent aller partout avec ça. Avec les musiciens, dans dix ans, ces arrangements nous sembleront complètement obsolètes. Ça n’empêchera pas de fabriquer un autre produit…
Dans mon propre travail, je cherche à faire en sorte, et c’est un peu ce qui m’arrive, que les gens ne voient pas la différence, qu’ils perçoivent de la diversité, de la variété, le mûrissement d’une pensée, mais qu’il n’y ait pas de différence notable… C’est-à-dire qu’ils puissent découvrir un disque fait en 1978 en pensant qu’il a été fait maintenant. Toutes ces choses qu’on ne peut pas dater sont des choses fortes. Ce qui restera des BEATLES, ce ne sont pas les arrangements, c’est ce moment où ils ont inventé un son, le premier son des BEATLES. Ce qui a été imité… Certes, certains arrangements nous semblent ridicules maintenant. Mais ce son-là touche des jeunes aujourd’hui qui découvrent ça. Il y a des choses qui ne vieillissent pas. Edith PIAF ne vieillit pas, sa voix ne vieillit pas. Il y a des arrangements qui ne passent plus, mais la voix, la simplicité de certaines chansons, ça cloue au mur n’importe qui.
C’est finalement un peu le danger de la world-music de forcer les fusions, de générer parfois des versions, des démarches qui n’aboutissent à rien de très solide…
MM : Quand cela s’inscrit dans une vraie démarche d’auteur, il n’y a pas de problème. Quand ce sont des projets de productions pas mûris, ça reste superficiel.
Et éphémère…
MM : Peut-être. Le temps nous le dira. Je crois qu’en fait il faut prendre le temps et laisser mûrir les choses. On aura de plus en plus besoin de ce temps. Aujourd’hui, on veut le résultat avant d’avoir planté. C’est pour ça aussi que j’aime beaucoup la vie en société rurale, parce que malgré tout, même si tout va plus vite aussi, on sait qu’on ne peut pas tirer sur les plantes ; ça ne pousse pas plus vite. En revanche il y a des choses à faire : biner, arroser, travailler la terre, la nourrir, et au bout, si tout a été bien fait et si on a de la chance (rires), peut-être on a des fruits… ou des légumes. Mais si on cherche des fruits à tout prix sans faire ce travail-là, on fabrique des choses qui n’auront aucun goût, aucune saveur, et aucune valeur nutritive aussi.
À Correns, c’est le dernier élément qui rentre dans cette logique des Joutes Musicales, dans cette logique de travail sur les rencontres des traditions : il y a aussi cette logique de cultiver bio. Mon père, qui était chasseur, disait « ce ne sont pas les chasseurs qui ont fait disparaître les oiseaux, ce sont tous les pesticides qu’on met dans les champs ». Et on s’aperçoit, quand on vit à Correns, qui est un village qui n’a plus de pesticides depuis quelques années, qu’on ne manque pas d’oiseaux. Parce que les oiseaux, c’est comme les hommes, et ils vont aux endroits où il y a à manger, où ils peuvent vivre le plus simplement du monde. Aujourd’hui, comme il n’y a plus de pesticides, il y a des insectes et des oiseaux pour les manger.
Vous avez choisi le village de Correns pour ça aussi ?
MM : Disons que c’était une évolution logique de la pensée de ce village, les choses se sont confortées. Au départ c’était un beau village, des idées ont fleuri, sont entrées en synergie. J’ai toujours trouvé ce village très beau. Il s’est avéré qu’il y a vraiment un esprit, les gens sont capables de faire ensemble des choses. Après il y a des logiques, des façons de penser : ne pas vendre les terres parce que vendre les terres c’est gagner de l’argent vite en une fois et c’est fini, alors que les travailler c’est assurer un avenir aux enfants ici. On voit ce qui se passe. Nos enfants amènent leurs amis ici. Ils viennent aux Joutes Musicales, ils viennent à Correns parce que c’est vivant. Ça se passe là. Ils ont aussi encore un espace de liberté. Les adultes se permettent encore de s’adresser à tous les enfants du village. D’abord, ici, on se tutoie presque tous… Le tutoiement est d’usage… un tutoiement avec beaucoup de respect.
Sites : www.compagnie-montanaro.com
Propos recueillis par Stéphane Fougère et Sylvie Hamon
– Photos : Sylvie Hamon (création Mathis, Joutes Musicales de Correns 2004
+ La Bergère, Théâtre de Verdure de Correns)
Discographie Miqueù MONTANARO
en LP :
* Musica Populara Occitana (1975, Edicions Recaliu)
* Miqueù MONTANAO E LA MACHÒTA – Viatge (1978, Edicion Recaliu)
* Musica Occitana d’Encuei… (1979, Ventadorn)
* Provenca per Escotar E dansar (compilation de pièces extraites de Musica Populara Occitana et Viatge, 1980 ?, Ventadorn)
En CD :
* MONTANARO : Collage (Koláz) (1990, Bonton)
* M. MONTANARO, B. PHILLIPS, S. PESCE, A. VITOUS, G. ÉCSI, G. MURPHY, P. NEVEU, C. ZAGARIA, et la présence de Charles TYLER : Tenson (1993, Bleu regard / La Nef des musiques)
* MONTANARO : Théâtre (1994, 2hp Production/Orkhêstra)
* France : Le Galoubet-tambourin, musique d’hier et d’aujourd’hui (1995, Ocora / Harmonia Mundi)
* MONTANARO SOLO : Polyphonies en solitaire (1997, Fonò)
* Miqueù MONTANARO / Sapto RAHARJO : Java (1997, Stupeur et Trompette ! / Orkhêstra)
* Maurin des Maures, mis en musique par Miqueù MONTANARO (1999, Disques de l’Olivier / Iris Musique / Harmonia Mundi)
* CHEMIRANI, RIZZO, MONTANARO : Alazar (2000, Al Sur / Musisoft / Concord)
* Compagnie MONTANARO : Messatge (2002)
* MONTANARO & KONOMBA : Noir et Blanc (2002, Nord-Sud, Nocturne)
* Compagnie MONTANARO : Chicha (2002, CIMO ET TO, Orkhêstra)
* MONTANARO : Tambourinaire (2003, Buda Musique / Universal)
* MONTANARO et AL MAOUSSILIA : Un pont sur la mer (2005, CIMO ET TO / Nord-Sud)
* Miqueù MONTANARO : Raga Tambourin (2005, CIMO ET TO / Nord-Sud)
* MONTANARO & Laurence BOURDIN & Amanda GARDONNE : L’Ora Daurada (2006, CIMO ET TO / Nord-Sud)
* MONTANARO & Serge PESCE & Fabrice GAUDÉ : Calènda (2006, CIMO ET TO / Nord-Sud)
* MONTANARO & Serge PESCE : Imaginogène (2006, CIMO ET TO / Nord-Sud)
* MONTANARO & Alan VITOUS : Adventures (2006, CIMO ET TO / Nord-Sud)
* MONTANARO & Cie : La Suite Colombiana (2006, CIMO ET TO / Nord-Sud)
* Compagnie MONTANARO : La Polonaise (2006, Le Roseau)
* Compagnie MONTANARO : Otramar (coffret 7 CD, contient Un pont sur la mer, Raga Tambourin, L’Ora Daurada, Calènda, Imaginogène, Adventures, La Suite Colombiana) (2006, CIMO ET TO / Nord-Sud)
* Compagnie MONTANARO : D’Amor de Guerra (2010, Nord-Sud)
* Miqueù MONTANARO : Voyage en soi (Musique méditatives – Flûtes) (2010, ADF Studio SM)
* Compagnie MONTANARO (Dramane DEMBÉLÉ, Miqueù MONTANARO) : Serdu (2013, 52e Rue Est)
* Compagnie MONTANARO (Catherine JAUNIAUX, Niké NAGY, Carlo RIZZO, Miqueù MONTANARO) : .G (2013, 52e Rue Est)
* Miqueù MONTANARO & Móser ÁDÁM – Tangók (2019, Gryllus)
* Sissy ZHOU et Miqueù MONTANARO – Lavande et Jasmin (2021, Arts et Musiques en Provence / IIMM / Tchaï / InOuie Distribution)
* KAVKAZZ – Radio Caucase (Tchaï / InOuïe Distribution)
avec VENTS D’EST :
* Vents d’Est = Keleti Szél (1990, LP, Pekke)
* Migrations (1993, MG / Auvidis)
* Ballade pour une mer qui chante, volume 1 (1996, CIMO ET TO / Orkhêstra)
* Ballade pour une mer qui chante, volume 2 (1997, CIMO ET TO / Orkhêstra)
* Ballade pour une mer qui chante, volume 3 (1999, CIMO ET TO / Orkhêstra)
* Ungaresca (2002, CIMO ET TO / Orkhêstra)
DUO MONTANARO
* Miqueù et Baltazar (Tovabb) (2009, Gryllus)
* Ki (2017, In/Ex)
* Be (2021, In/Ex)
(Article original publié dans
ETHNOTEMPOS n°17 – juin 2005,
discographie mise à jour en 2021)
PS : Aujourd’hui dirigée par Baltazar MONTANARO, la Compagnie MONTANARO fête officiellement ses 20 ans en 2021, avec une série de concerts à Correns les 11 et 12 septembre 2021. Pour en savoir plus : https://compagnie-montanaro.com/20ans/