Antoine PÉRAN – Les Aubes nébuleuses
(Musiques Têtues)
Flûtiste en bonne partie autodidacte, Antoine PÉRAN a tracé son chemin artistique au sein des musiques populaires de Bretagne, et ce n’est donc pas par hasard qu’il réalise son premier EP sur un jeune label installé dans les Côtes-d’Armor, à Rostrenen, Musiques Têtues, lequel fait figure de bastion de résistance face à l’inertie des politiques culturelles dans un contexte rendu encore plus chaotique par le contexte pandémique. Privilégiant la production musicale en circuit court et dans un environnement rural, Musiques Têtues soutient en effet des valeurs et des choix artistiques originaux et singuliers.
Fruit d’un patient travail artisanal, Les Aubes nébuleuses reflètent une vision artistique centrée sur la flûte traversière en bois, un instrument très exploité en musique irlandaise. Mais de musique irlandaise il n’est point ici question, pas plus que de musique bretonne. Néanmoins, celle-ci ayant nourri le cheminement d’Antoine PÉRAN – qui a notamment suivi l’enseignement de Jean-Michel VEILLON – on en retrouve quelques phrasés caractéristiques au sein des dix compositions que renferment ces Aubes nébuleuses, lesquelles sont également imprégnées du souffle jazz d’un Steve LACY et plus généralement des expressions modales partagées par diverses cultures du monde.
Antoine PÉRAN, que l’on a notamment pu déjà entendre dans des créations comme POBL’ B’AR MACHIN[E] de la Kreizh Breizh Akademi#6 et dans le projet transculturel LYRA, initié par l’association Konstelacio, livre sur cet album une musique certes sevrée à la culture populaire mais aucunement attachée à des recettes prémâchées ; une musique qui n’a d’autre cadre que l’évasion à travers les sentiers buissonniers menant de la ruralité à la modalité, explorant des motifs et des grilles harmoniques dont les interstices autorisent quelques improvisations subreptices.
La flûte traversière s’y exprime tantôt en solo, tantôt en duo ou en trio avec quelques sensibilités artistiques attenantes à l’univers d’Antoine PÉRAN. Entre deux monologues en mode musard, la flûte traversière d’Antoine PÉRAN fait donc quelques rencontres, et converse à voix basse avec la contrebasse de Jonathan CASERTA, dialogue avec l’accordéon de Tim LE NET (son collègue du QUATUOR POISSON-CHAT), salue chaleureusement la clarinette basse d’Étienne CABARET et échange à la dérobée (mais pas de Guingamp !) avec la guitare électrique d’Antoine LAHAY.
Si les voix de ces Aubes nébuleuses sont majoritairement instrumentales, elles ne se ferment pas complètement à la présence du verbe, dûment trié et sélectionné pour sa capacité à suggérer les choses plutôt qu’à les expliquer. Ainsi, on peut entendre Gildas LE BUHÉ égrener quelques mots bretons pour détourner un chemin, ou encore Faustine AUDEBERT arrêter les larmes avec quelques mots d’anglais empruntés à un classique de Mal WALDRON.
Écrites dans les Monts d’Arrée durant le confinement strict du printemps 2020, les compositions d’Antoine PÉRAN ont ce goût de la solitude partagée, des têtes-à-têtes distanciés et pourtant substantiels, et des baguenauderies poétiques qui n’ont besoin d’aucune attestation de sortie pour aller respirer, et faire respirer des horizons impalpables.
Les Aubes nébuleuses explorent ainsi une gamme de sensations en prise directe avec la rêverie diurne, ce qui, en ces temps de marche forcée, pourrait passer pour une outrecuidante jacquerie. Mais la liberté d’expression ne s’épanouit-elle pas mieux dans ces instants funambulesques où le point du jour, tout juste naissant et encore timide et gauche, est encore imprégné des saveurs et des parfums des visions nocturnes ? Avançant sur des pistes hors zone où des rêves amphibies dévalent en cascade jusqu’à la façade atlantique, ces Aubes nébuleuses démontrent que les arrêts sur le temps favorisent la découverte d’espaces enchanteurs autrement essentiels.
Stéphane Fougère
Label : www.musiquestetues.com
Page : https://musiquestetues.bandcamp.com/album/les-aubes-n-buleuses