BALKAN TAKSIM – Acide balkanique

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BALKAN TAKSIM – Acide balkanique
(Buda Musique)

Du fait de son aspect cloisonné et montagneux, la péninsule balkanique jouit d’une diversité ethnique, linguistique et culturelle qui ne cesse de fasciner les explorateurs artistiques. Parmi ceux-ci, le multi-instrumentiste de Bucarest Sașa-Liviu STOIANOVICI, de formation ethnomusicologique et passionné de musique roumaine traditionnelle et des cultures slaves, a beaucoup sillonné la région afin de travailler avec des chanteurs et des musiciens locaux et d’enregistrer des airs traditionnels. Fort de ce bagage, il aurait pu, comme d’autres, monter un ensemble, ou une fanfare « typique » qui se serait engagée dans une voie musicale syncrétique et fusionnelle destinée à faire résonner « l’âme des Balkans » selon un cahier des charges bien formaté. Mais tout cela a déjà été fait, et c’est une autre direction qu’a prise STOIANOVICI, en s’associant avec un concepteur sonore et producteur tendance électro, Alin ZÃBRÃUŢEANU. Ainsi est né le duo BALKAN TAKSIM dont la vision musicale ne cherche pas tant à restituer ou à reconstituer les musiques balkaniques rurales qu’à les projeter dans un futurisme urbain sans leur faire perdre leur rusticité.

Le premier album du duo, Disko Telegraf, paru chez Buda Musique en 2021, avait déjà fait état d’une étonnante audace créative en hybridant instruments traditionnels régionaux et textures électriques et électroniques. Quatre ans plus tard, BALKAN TAKSIM poursuit sur sa lancée avec le bien nommé Acide balkanique, qui revisite la matière balkanique en lui injectant une bonne dose de couches psychédéliques et de « beats » urbains.

Se portant garant de la caution « ethnique », Sașa-Liviu STOIANOVICI déploie un bel assortiment de luths à manche long que l’on trouve volontiers en Europe centrale et du Sud (voire jusqu’au Moyen-Orient et en Asie, pour certains d’entre eux), comme le tanbur ottoman, le saz, le tamburica et la cobza, auxquels s’ajoute par endroits une guimbarde, sans oublier un timbre de voix bien particulier et chaleureux. À l’autre bout du spectre, Alin ZÃBRÃUŢEANU se charge d’animer une pulsation moderne en usant d’une basse électrique et de synthétiseurs, auxquels il ajoute sa science de l’échantillonnage et son savoir-faire en matière de mixage. Mais les rôles ne sont pas aussi opposés, dans la mesure où Sașa-Liviu STOIANOVICI s’emploie aussi aux synthétiseurs et au theremin, a électrifié son saz et s’affaire de plus au mixage.

Par conséquent, il serait vain de chercher chez BALKAN TAKSIM une « authenticité » balkanique qui confinerait à la muséification, car son objectif est plutôt de tracer un chemin sur une ligne de crête entre la ruralité et l’urbanité, le passé et l’avenir, la réalité et l’imaginaire. Les matériaux sonores engrangés par Sașa-Liviu STOIANOVICI ont ainsi été passés au mixeur de sons électroniques contemporains, de grooves appuyés et de lignes de basse profondes. Sur les huit morceaux sur lesquels BALKAN TAKSIM répand son Acide balkanique, trois sont des instrumentaux (ou presque), et cinq sont des chansons interprétées en roumain et en serbo-croate : deux d’entre elles sont traditionnelles (l’une provenant du Nord-est de la Roumanie, l’autre de Turquie, via un détour par la Bosnie), les autres sont des compositions de Sașa-Liviu STOIANOVICI.

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En guise de mise en bouche, BALKAN TAKSIM nous fait partager son coup de Ludilo (terme bosniaque pour « folie ») aux habits électro-acoustique et électrique et au rythme hypnotique, avant de s’orienter sur un terrain plus sombre avec Norocul, dont le chant mélancolique soutenu au saz se frotte à des nappes brumeuses et des percussions spectrales.

Opérant un contraste saisissant, l’élégiaque Orhideja pousse le curseur du côté dance-floor, avec son chant sans paroles façon mantra, ses sons ethniques échantillonnés, ses cordes électriques et sa basse ronflante. C’est aussi efficace qu’entêtant. Nouveau virage avec Zlataust 13, qui cultive le mystère thématique avec un sens affûté de la griserie mélodique et de la scansion rythmique, qui se prend un petit coup d’accélérateur au beau milieu du parcours tandis que les cordes s’affolent progressivement.

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La ballade sans paroles Kisela Ljubav cultive un air nonchalant avec ses couches synthétiques, sa programmation rythmique et sa tamburica distordue, avant que Mokra Gora ne convoque les clubbers avec sa programmation « upbeat », sa ligne de saz grisante et ses couches lunaires de synthétiseur, garantissant une danse extatique.

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Mastika, le « grand classique des tavernes ottomanes » (sic) invite de même à une griserie incantatoire qui n’est pas que liquide, mais aussi rythmique et climatique, démontrant qu’un chant à boire peut devenir une voie directe vers la stratosphère étoilée.

L’exploration balkanique acidifiée s’achève avec Felinar (seule composition de l’album signée Alin ZÃBRÃUŢEANU), qui permet au tambur classique ottoman et à la guitare basse d’entrelacer leurs lignes toutes en hypnose inquiétante, sur fond de notes synthétiques.

Cet Acide balkanique distille des liqueurs sonores on ne peut plus capiteuses au sein desquelles BALKAN TAKSIM dévoile une cartographie culturelle propre à brouiller les pistes sans pour autant trahir sa provenance. Passées au prisme électro-indus-urbain, les cultures populaires des Balkans, des Carpates et de l’Empire ottoman y forment un puzzle à la géographie sonore aussi déroutante que captivante, proche de l’univers du groupe BaBa ZuLa, l’usage de l’électro-saz saturé et les peintures d’atmosphères psychédéliques obligent… Ces Balkans sous acide tutoient les (tak-)cimes !

Stéphane Fougère

Page : balkantaksim.bandcamp.com

Label : www.budamusique.com

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