BAND OF DOGS – III

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BAND OF DOGS – III
(Le Triton)

Devant le peu d’intérêt porté par le grand public aux musiques dont on parle dans les colonnes de RYTHMES CROISÉS, on s’était dit un temps dans l’équipe de rédaction qu’il serait peut-être de bon ton d’ouvrir une rubrique des chiens écrasés. Et puis a débarqué cette BAND OF DOGS, et on a finalement pensé qu’il serait plus judicieux de consacrer cette rubrique aux chiens… écraseurs ! Comment faire autrement quand on voit (ou plutôt quand on écoute) combien cette paire de clébards a les crocs ! Depuis deux bonnes décennies et plus, Philippe GLEIZES et Jean-Philippe MOREL ne cessent de mordre la musique à pleines dents constamment aiguisées, et toujours aussi affûtées malgré le passage du temps. Cette section rythmique du tonnerre de dieu a allumé ses mèches incandescentes dans plusieurs projets, et BAND OF DOGS continue à aboyer sévère après une dizaine d’années d’activisme canin, comme le prouve ce troisième album, enregistré comme les deux précédents lors de concerts dans leur niche préférée, la salle lilasienne du Triton.

Le principe n’a pas bougé d’un poil (de chien, of course !) : sur scène, GLEIZES et MOREL fonctionnent en « duo augmenté » et invitent quelques connaissances canines (parmi lesquelles on soupçonne même la présence de loups-garous…) à leur donner la réplique au sein de propositions musicales généralement improvisées. D’un concert à l’autre, les invités fluctuent, permettant à la paire rythmique de renouveler et d’étendre ses horizons sans rien perdre de sa fougue pulsative, et d’accumuler une matière musicale foisonnante et aux couleurs multiples. Vient ensuite le temps de la sélection en studio de toutes ces bandes enregistrées qui sont scrupuleusement montées, démontées et remontées (Teo MACERO avait procédé d’une manière analogue pour confectionner le légendaire Bitches Brew de Miles DAVIS) afin de construire un album qui a non seulement du chien, mais aussi un sens, un développement.

Les treize pistes de ce Band of Dogs III proviennent ainsi de six concerts différents donnés au Triton entre octobre 2020 et février 2021. À la basse incisive et caustique de Jean-Philippe MOREL et à la batterie volcanique et volubile de Philippe GLEIZES se joignent sur plusieurs chapitres les claviers et le Fender Rhodes d’Emmanuel BORGHI, la trompette, le bugle et les « FX » de Fabrice MARTINEZ, la guitare et autres « FX » de Julien DESPREZ, ainsi que les « free style spoken words » du rappeur américain Mike LADD. Par endroits, Claudia SOLAL ajoute ses vocalises d’un autre monde, Thierry ELIEZ supplée aux claviers et au Fender Rhodes sur une pièce épique et Laurent BARDAINNE fait monter la pression sur une autre.

Ce qui prime ici est de raconter une vie de chiens en tranches reliées, sans pour autant respecter la chronologie des événements scéniques. Un album de BAND OF DOGS s’écoute comme on suit un film, en prenant le temps de savourer chaque scène comme elle le mérite. Plutôt que de balancer des concerts complets « brut de fonte » sur support numérique ou en virtuel, notre duo canin de base juxtapose, enchaîne, superpose et recompose des moments privilégiés de ses soirées de débauche sonique entre chiens sous forme de « suite » scénaristique musicale qui alterne chapitres denses, rageurs, flamboyants, ébouriffants et intermèdes plus atmosphériques aux contours faussement apaisés, plutôt doucereux et potentiellement venimeux.

D’un bout à l’autre de l’album, que l’on s’immerge dans des fractions explosives ou que l’on baigne dans des sillages plus immatériels, la tension ne faiblit pas ; qu’elle soit haute ou sourde, elle active des bouillonnements vibratoires toujours inspirés et aventureux, que ce soit à travers les notes, les sons, les voix, les mots, bref tous les jappements bigarrés de ces chiens sans colliers.

On notera du reste la continuité esthétique des pochettes d’albums de BAND OF DOGS : sur chaque disque, on trouve la même illustration en médaillon central d’un squelette de chien à trois têtes, mais la couleur de fond change : le premier disque avait un fond noir, le deuxième un fond blanc, et ce troisième est badigeonné de rouge magmatique. Il y a eu donc l’œuvre au noir, l’œuvre au blanc, voici l’œuvre au rouge ! Ainsi la trilogie discographique de BAND OF DOGS décline-telle les phases essentielles du processus alchimique… à moins qu’elle ne relève que du catalogue de caviste !

Et comme d’habitude, les pièces choisies ont été affublées de titres bourrés de références à travers des jeux de mots substituant ou alternant les termes « dogs » et « gods » (Beyond the Gods, Titanium Dogs, Dog Save the King), avec notamment des effets miroirs (les pièces God among Dogs et Dog among Gods) et des effets de consonances et de résonances symétriques (Hated by Gods, Eaten by Dogs). D’autres titres jouent à fond la carte du décalage culturel en nous projetant dans l’Égypte antique (Cynopolis, qui renvoie à la « ville des chiens » où l’on voue un culte au dieu-chacal Anubis), en Thaïlande (Sarama désigne une musique accompagnant un rituel de pré-combat) ou au Japon (Genji est un titre donné au fils d’un empereur ne pouvant prétendre au trône). C’est dire si on voyage à dos de chien !

Si vous aviez cru que cette « meute de chiens » se serait domestiquée avec le temps, vous avez tout faux, elle mord toujours avec la même vigueur et la même férocité, et garde l’œil vif, la truffe fraîche et le poil luisant ! Si après ça vous ne vous transformez pas à votre tour en chien, la seule chose que vous mordrez, c’est la poussière… Et comme disait l’autre, à la niche les glapisseurs de « god » ! Inutile de crier au loup, l’homme est le meilleur ami du chien !

Stéphane Fougère

Label : www.letriton.org

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