Benjamin LEW & Steven BROWN – Douzième journée : Le verbe, la parure, l’amour
(Made to Measure vol. 15)
(Crammed Discs)
Avec ce document fraîchement remastérisé, le label Crammed Discs poursuit sa politique de rééditions de ses trésors sonores. Il s’agit cette fois-ci de l’album intitulé Douzième Journée : Le verbe, la parure, l’amour, paru en 1982 et intégré finalement en 1988 à la série Made To Measure. Ce disque est complètement instrumental et il est le fruit de la rencontre entre Benjamin LEW, un artiste touche-à-tout (photo, écriture, arts visuels), originaire de Liège, et Steven BROWN, du groupe américain TUXEDOMOON, installé depuis le début des années 1980 à Bruxelles, ville en pleine ébullition sur le plan artistique.
La rencontre entre ces deux personnages singuliers se déroula dans un bar du centre-ville de Bruxelles, La Papaye Tropicale. Benjamin donna à Steven une K7 contenant ses musiques réalisées sur un synthé Korg MS. Steven fut impressionné par ce qu’il entendit et ainsi l’idée d’une collaboration est née.
Au départ, cela ne devait être qu’un 45 tours mais finalement, réunis au studio Little Big One avec Marc HOLLANDER et l’ingé-son de TUXEDOMOON, Gilles MARTIN, l’enthousiasme des intervenants, l’excitation de la découverte et la ville de Bruxelles comme point central pour tout acte créatif oblique permirent la réalisation d’un véritable album. Le titre est une référence à l’anthropologue Marcel GRIAULE (1898-1956), et à ses travaux sur les Dogons du Mali où il effectua de nombreux voyages dans les années 1930.
Le disque contient neuf pièces au minimalisme simple et intemporel, se transformant avec grâce en de superbes paysages sonores et nous transportant en seulement quelques instants en Afrique et en Asie Centrale. C’est un voyage musical d’une grande richesse et d’un humanisme certain, qui entre dans la continuité de la théorie du Quatrième Monde initiée par Jon HASSELL et sa musique. Mais, nous pouvons aussi penser à la musique « ambient » de Brian ENO (un album comme On Land par exemple) ou au groupe allemand CAN avec ses Ethnological Forgery Series.
Benjamin LEW (synthé analogique, boîte à rythmes, bandes), Steven BROWN (saxo, piano, orgue) sont accompagnés de Marc HOLLANDER (percussion, clarinette basse) et de Gilles MARTIN (pour la prise de sons et les effets). Ensemble, ils ont assemblé avec un esthétisme délicat et une poésie irréelle (l’assemblage même des titres forme un poème des plus intrigants) des atmosphères exotiques et mystérieuses, colorées et invisibles, des sonorités à la fois acoustiques et électroniques.
Le résultat aujourd’hui est que ce disque assez visionnaire pour l’époque a conservé toute sa puissance évocatrice en établissant un lien unique entre deux mondes, entre le monde sonore occidental et le non-occidental, mais aussi entre la tradition et le modernisme, entre le passé et l’avenir.
Ce disque, tout comme ceux des artistes précités auparavant, est très important, car il ouvre la voie à une nouvelle ère musicale. En passant du rêve méditatif à de pures hallucinations électroniques futuristes, ces musiques, tel des courts-métrages d’histoires et de souvenirs, font défiler des images diverses, nous propulsant au cœur même de vastes étendues désertiques et arides ou de jungles luxuriantes primitives, où l’air vibre aux sons de percussions interdites et secrètes.
Cédrick Pesqué
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