COMUS – East of Sweden, Live at Melloboat Festival 2008
(Dirter)
Les années 2000 ont été le théâtre des réunions-reformations musicales les plus improbables, notamment celles des moutons noirs de la sphère progressive, d’orientation rock et folk. Après le périlleux retour de VAN DER GRAAF GENERATOR en 2005, c’est un autre groupe mythique, de renommée certes plus confidentielle mais musicalement aussi sulfureux et chaotique, qui s’est prêté au jeu de la résurrection, à savoir COMUS. Dans les deux cas, cette résurrection a été précédée d’une exhumation discographique à caractère anthologique, The Box pour VDGG, et Song to Comus – The Complete Collection pour COMUS. Et le (relatif) succès commercial de ces anthologies a encouragé une remise du pied à l’étrier, pour l’un comme pour l’autre.
Mais il y a eu aussi d’autres facteurs. Auteur de seulement deux disques dans les années 1970 qui n’avaient résolument rien pour plaire aux grands médias, COMUS était le parfait prototype du groupe obscur et marginal sans lendemain. Mais les diverses rééditions CD et LP de son opus inaugural First Utterance (1971) dans les années 1990 et 2000 a indéniablement réanimé le souvenir de « la Bête » bien au-delà du cercle de ceux qui avaient connu « l’époque ».
En 2005, la parution de l’anthologie citée plus haut (lire notre article) a eu un effet catalyseur de première efficacité, y compris pour les membres du groupe qui, à l’initiative de leur ancien manager Chris YOULE, se sont retrouvés pour fêter l’événement, alors que certains ne s’étaient pas vus depuis une trentaine d’années !
Il a fallu aussi compter sur l’activisme fanatique de Mikael ÅKERFELD, du groupe de death metal progressif OPETH, et de David TIBET, du groupe indus reconverti néo-folk CURRENT 93, qui ont tous deux laissé de judicieuses traces – un titre d’album ou un extrait de texte par-ci, une reprise par-là… – afin d’inciter leurs publics à tendre l’oreille vers celui qui les a inspirés.
Le Web a de même évidemment contribué à répandre le nom et la musique de COMUS dans le monde entier, et cette convergence de flux a permis à First Utterance de gagner de jeunes et nouveaux adeptes, que les étiquettes « acid-folk progressif » et « années 1970 » accollées au groupe n’ont apparemment pas rebuté. Et pour enfoncer le clou de ce rituel de résurrection, Stefan DIMLE, organisateur du festival Melloboat, qui a la particularité de se tenir sur un paquebot au large de la Suède, a proposé aux membres du groupe originel de se réunir pour jouer lors de l’édition 2008. La réponse n’était pas garantie, mais ce fut « oui ».
Vu de loin, ce concert de réunion au Melloboat pouvait être au pire un suicide, au mieux un fiasco. Mais pour ceux qui y étaient, ce fut une apothéose révélatrice, à en juger par les images amateur diffusées sur Youtube, où l’on voit un public compacté, en bonne partie constitué de jeunes, hurlant à tue-tête les paroles des chansons avec un tel enthousiasme que l’on n’entend même pas le groupe lui-même ! Il y a eu heureusement une captation son et image plus professionnelle qui a fait l’objet d’une parution en DVD, en vente sur le site web de COMUS. Et aujourd’hui, la bande audio de ce concert a les honneurs d’une publication en CD, de manière à permettre une audition libre sans être obligé de rester devant un écran. Qui plus est, c’est du live sans édulcorant !
Ainsi, le son confirme ce que l’image affirmait : il y avait une ambiance explosive ce soir-là sur le Melloboat, et COMUS jouait bel et bien devant un parterre de convertis à la chair fraîche. Dès les premières notes de Song to Comus, le public s’enflamme. Dieu des danses nocturnes et des festivités libertines ou satyre forestier accro à la débauche, COMUS est réveillé et se met à jouer… comme si le temps n’avait pas passé. On est en 1634, en 1971, en 2008, qu’importe !
Roger WOOTTON n’a plus exactement la même voix qu’il y a trente ans, mais ses contorsions vocales torturées et libidineuses prouvent qu’il est habité par la même ardeur. Diana n’a rien perdu de sa verve païenne évoquant certaine séquence du film de Robin HARDY The Wicker Man, et le violon de Colin PEARSON se paye des grincements crépusculaires comme autant de bonnes tranches. La basse d’Andy HELLABY hypnotise son monde avec brio, et le groove tribal est assuré par Jon SEAGROTT, seul membre non originel du groupe mais, en bon mari de la chanteuse Bobbie WATSON, il a appris à jouer de la flûte et des percussions afin d’intégrer le groupe en remplacement de Rob YOUNG, qui a déclaré forfait.
Les accordages très bas – aux effluves métalliques – et les sinueux arpèges de Glenn GORING sur The Herald ont gardé leur pouvoir d’enchantement et la voix de fée de Bobbie WATSON est demeurée intacte, au mépris du passage du temps. Il faut l’entendre pour le croire, c’est du live et ça ne triche pas. Au passage, on a raboté le morceau pour ne pas qu’il dépasse les dix minutes (contre douze pour la version album originale).
Idem pour Drip Drip qui, dégraissé d’une séquence originelle manifestement jugée intempestive, retrouve ainsi une structure plus cohérente. Le rythme est un poil plus lent, mais l’interprétation garde cette intensité distillant un climat foutraque et érotomaniaque qui fait de Drip Drip un morceau à nul autre pareil.
The Prisoner dévoile lui aussi une belle frénésie tendue dans cette version live culminant avec ces « insane, insane » répétés à l’envi en une progression dramatique brutalement stoppée net qui fait son petit effet.
Voilà, le répertoire joué a fait le tour presque complet de l’album First Utterance. Ne manquent que The Bite et Bitten. Sans doute le temps a-t-il manqué au groupe pour les répéter. Cependant, le concert n’est pas tout à fait terminé. Alors que jouer ? Un morceau du très controversé deuxième album ? Que nenni ! COMUS revient donc à ses premières amours, qui consistaient à reprendre du VELVET UNDERGROUND.
Ainsi le groupe clôt-il son set avec la légendaire Venus in Furs de Lou REED qui, sans atteindre la force venimeuse de la version originale, trouve ici des relents de « lied » médiéval pervers qui sied fort bien à l’univers de COMUS.
L’exaltation exprimée par le public oblige le groupe à revenir en rappel, et il s’acquitte de cette tâche en jouant pour la seconde fois Song to Comus, dans une version encore différente mais aussi habitée que la première, même si la voix de Roger WOOTTON manque de caler par endroits, ce qui est tout à fait légitime quand on voit tout ce qu’il a donné précédemment.
Le venin contenu dans First Utterance était en sommeil depuis plus de trente ans, mais une fois réactivé, il n’a rien perdu de son pouvoir de contamination. Cet album live n’aurait pu être qu’un post-scriptum à l’histoire de COMUS, il est au contraire le premier chapitre d’une « second part » puisque depuis, le groupe a donné d’autres concerts (dont un – ô miracle !!! – à Paris avec CURRENT 93) durant lesquels, outre celles de First Utterance, de nouvelles pièces ont été jouées en vue d’un nouvel enregistrement !
Voilà des presque soixantenaires qui ne doutent de rien et ont encore le goût du risque ! Planquez vos vierges, « COMUS est réveillé, et il va continuer à jouer, jouer, jouer… »
Stéphane Fougère
Site : www.comusmusic.co.uk
Label : www.dirter.co.uk
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n° 31 – janvier 2012)