COPERNICUS n’existe pas

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COPERNICUS n’existe pas

Il y a eu l’astronome, le cratère, l’astéroïde, la rue tristement célèbre pour son attentat, voici COPERNICUS (COPERNIC en français) le poète-performeur-improvisateur. Ce personnage a déjà roulé sa bosse sur les scènes musicales depuis plus de trois décennies, offrant des performances « tétanisantes » mêlant déclamations vocales possédées et improvisations instrumentales de haut vol.

Avec l’aide de musiciens aux horizons très variés, COPERNICUS a de plus enregistré plusieurs albums dopés au psychédélisme, au punk, à la new wave, à l’avant-garde, etc. Dans chacun d’eux se dévoile par étapes sa pensée « en opposition » mêlant nihilisme existentialiste (« Rien n’existe » est son credo) et physique quantique, pour aboutir à une illumination conceptuelle unique où pointe l’ombre de « Nevermore »…

Si les propos déclamés par COPERNICUS peuvent paraître à l’auditeur néophyte aussi abscons que fantasques derrière une opulence musicale qui ménage tensions planantes et chaos utopiques, c’est qu’ils sont la résultante d’une ébullition intellectuelle et musicale entretenue depuis le début de sa quête artistique. C’est pourquoi ses récents opus, Disappearance et Cipher & Decipher – publiés sur son label Nevermore Inc. et offerts à la face béate et béante du monde par l’entremise du label américain Moonjune Records – n’ont eu aucun mal à décontenancer un auditoire même censé être rompu aux propositions artistiques novatrices.

Grâce aux récentes rééditions des premiers albums de notre apôtre du « Rien », le puzzle de l’évolution de COPERNICUS se reconstitue petit à petit, éclairant avantageusement les contours de sa vision poétique déroutante. Alors que le prédicateur de Nevermore franchit une étape supplémentaire avec son dernier opus, Worthless !, TRAVERSES/RYTHMES CROISÉS vous invite à prendre part à cette nouvelle « révolution copernicusienne ».

Le degré zéro de l’existence

Tout comme son homonyme du XVIe siècle a provoqué une énorme révolution scientifique en déclarant que la Terre tourne autour du soleil, COPERNICUS le poète-performeur-improvisateur (alter ego conceptuel et véhicule artistique de Joseph SMALKOWSKI) bouscule les âmes dubitatives depuis au moins trois décennies avec ses harangues philosophiques nihilistes et ses visions existentielles dopées à la physique quantique qu’il improvise en partie, sur scène ou en studio. Toute sa partition n’est qu’exhortation éructée, péroraison emphatique, sermon impérial, philippique enflammée, invocation passionnée, bref du vocable lourd, du verbe solide, de la sémantique bétonnée mise au service d’une vision existentielle en prise directe avec la dimension nucléaire de l’univers, loin, bien loin de nos médiocres et ridicules comédies humaines.

Vous n’aviez jamais entendu parler de lui ? C’est peut-être parce qu’il n’existe pas. Lui-même vous dirait de toute façon que « Rien n’existe ». Rien n’existe… Nothing Exist… C’était du reste le titre de son premier larcin discographique, enregistré en 1984. Mais COPERNICUS sévissait déjà depuis un bail. Depuis 1978 pour être précis. On dit même qu’il a hanté tous les lieux de référence de cette « downtown scene » de New York City, au Speakeasy, au CBCG, au Max’s Kansas City…

Pendant plusieurs années, COPERNICUS s’est donc produit sur les scènes rock underground new-yorkaises avec son groupe, dirigé par le claviériste Pierce TURNER, l’autre pilier étant le guitariste et claviériste Larry KIRWAN. Derrière eux, il y avait une pléiade de couleurs, de voix, de timbres jouant la partition libre de cette symphonie de la « non-existence » (comme il y a eu un « no future » ou de la « no-wave »).

Rien n’existe… mais heureusement, COPERNICUS a son antidote, et il s’appelle Nevermore. Et Nevermore est à COPERNICUS ce que Kobaïa est à Christian VANDER. Sa vérité, COPERNICUS en entretient le caractère obsessionnel depuis maintenant plus de trois décennies, empruntant volontiers à Tom WAITS son timbre éraillé et sépulcral, à Daevid ALLEN son penchant pour l’anarchie flottante, au Peter HAMMILL de Gog/Magog son goût pour les prophéties démentielles et à la physique quantique sa terminologie et ses implications.

COPERNICUS clame (et réclame) la fin des illusions mentales, intellectuelles, idéologiques, sociales, existentielles. En finir avec les repères identitaires qui ne sont que des bouche-trous sans réelle consistance. Rien n’existe, l’homme est la victime du mirage macrocosmique et n’est au départ qu’une bactérie, et l’atome est une vérité supérieure.

Les racines de Nevermore

Nous, auditeurs européens élevés dans la langue de Voltaire, aurions ignoré quasiment tout de l’existence de COPERNICUS (ou plutôt de sa non-existence) si le label américain Moonjune Records n’avait pris sous son aile en 2008 le propre label de COPERNICUS, Nevermore Inc. Ce partenariat a permis de diffuser internationalement les nouveaux albums de COPERNICUS, mais aussi ses trois premiers LP, qui ont enfin fait l’objet de rééditions en support CD, tandis qu’une ancienne cassette VHS « live » est ressortie en DVD. Tous ces documents permettent d’appréhender avec plus d’acuité l’évolution artistique, intellectuelle et philosophique de COPERNICUS et révèlent en panoramique sa vision aussi intransigeante que faramineuse.

Nothing Exists (1984)

Nothing Exists… Laconique et sans issue, la phrase tombe comme un couperet dans les certitudes mentales du Terrien moyen, semblant faire écho au N’existe pas de Daevid ALLEN… Sauf qu’à New York, on ne fume pas son cannabis dans une théière volante. « Rien n’existe »… Telle fut, en 1984, l’entrée en matière et la carte de visite discographique de COPERNICUS : le monde qui nous entoure et que l’on nomme la réalité n’est qu’un leurre, une foutue illusion qui nous cache la seule vérité qui vaille, et qui est que rien n’existe. Nothing Exists s’écoute comme un long plaidoyer halluciné, hallucinatoire et hallucinogène pour une quête éperdue vers ce Néant dans lequel se niche l’éternité immuable et dans lequel l’humanité trouvera sa révélation ultime.

Tout commence pourtant le plus innocemment du monde, avec ce I Won’t Hurt You en forme de bluette pop aromatisée, mais où déjà COPERNICUS profère ce « Nevermore » qu’il ne lâchera plus, au point d’en faire un leitmotiv récurrent dans plusieurs pièces… et d’en baptiser ainsi son label ! Et puis, chez COPERNICUS, le climat le plus paisible peut insidieusement virer au fracas dissonant, à la béance harmonique, au trou d’air rythmique. Blood et Let me Rest en sont des preuves éblouissantes.

Outre le noyau dur TURNER/KIRWAN, de nombreux autres musiciens-électrons ont été conviés à apposer leurs touches, élargissant ainsi le paysage sonore, qui passe insensiblement de la pop indie au space rock, du classique au contemporain, de l’ambient au free jazz, du psychédélisme au post-punk (le malsain Nagasaki). Ici, c’est un orgue qui installe un climat spectral (Quasimodo), là c’est un violon qui répand une auréole de mélancolie (Let me Rest) ; dans I Know What I Think, c’est un riff de guitare râpeuse qui fait monter l’adrénaline, et dans Blood, c’est une voix angélique qui répond à notre Grand Masturbateur des consciences, avant que les choses tournent vinaigre. Tout est bon pour finalement parvenir à cet ultime Atomic Nevermore, où COPERNICUS livre le fond de son (non-)être et sa vision de l’avenir en se fendant d’un rictus saisissant.

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Loin de se cantonner à un rôle d’accompagnement à fond de cale, la musique sculpte des horizons déconcertants et fascinants avec des arrangements profus et ciselés qui donnent tout son relief à la faconde non-existentialiste de COPERNICUS. Celle-ci semble du reste plus ou moins improvisée sur le tas (une parole automatique, comme il y a eu l’une écriture automatique), et il en est de même pour la musique. Aucune retouche ou quasiment aucune : l’improvisation sert de connexion entre textes et musiques. De fait, chaque pièce transpire un feeling éminemment live propre à toute performance artistique. Après que COPERNICUS a affirmé avec véhémence dans Nagasaki que la Terre, la vie, etc., n’existent pas, on entend des applaudissements de salle auxquels réagit immédiatement notre apôtre du Rien, déclamant alors : « Pensez-vous que vos pauvres applaudissements y changeront quelque chose ? » Le ton est donné et ne changera pas.

Les stances torpides et incantatoires de COPERNICUS agissent dans les esprits comme des traces indélébiles. Nothing Exists fait partie de ces disques qui vous retournent le ciboulot et réduisent vos facultés rationnelles… à néant. Rien n’existe ; on vous l’avait dit, pourtant…

Victim of the Sky (1986)

Nothing Exists dressait la carte thématique qui allait servir de fondement aux futurs travaux de COPERNICUS. Nevermore y était évoqué, et allusion était faite au pouvoir de l’atome. Le monde quantique était à portée de mains, et c’est sans doute par souci de continuité thématique qu’il y est fait référence dès le morceau d’introduction (Lies !) de ce deuxième album. En une minute, COPERNICUS stigmatise les concepts mentaux qui enserrent l’esprit humain : le temps, la race, la génération, les espèces, les pays, les planètes, et se déclare « libre de tous ces mensonges ! ». Va-t-on alors plonger sans retour possible dans l’univers impalpable des quarks et des leptons ? Il n’en est pas encore temps. Plusieurs examens de conscience restent à faire, et c’est en endossant plusieurs rôles que COPERNICUS s’acquittera de cette tâche.

En ce sens, Victim of the Sky est moins imprégné de cette rage emphatique brute qui inondait Nothing Exists. Le ton est ici globalement plus introspectif. Lies ! s’interrompt du reste juste avant l’explosion cardiaque vers laquelle il tendait inéluctablement. Entre alors The Wanderer, qui prend l’allure d’une ballade country spatiale, interprétée par un COPERNICUS à la voix claire et assagie, jouant les ménestrels célestes perclus de réflexions douce-amères sur l’incommensurable solitude. Le morceau éponyme nous prend ensuite de court, avec sa rythmique synthétique tendance disco sur laquelle une guitare et un saxophone déambulent à tour de rôle, puis laissent COPERNICUS halluciner seul sur son état de « victime du ciel ». Encore une histoire d’isolement.

Une leçon d’histoire nous apprend alors qu’il fut un temps où les humains avaient une peau noire qui les protégeaient du soleil, avant que la neige ne métamorphose cette peau et la fasse devenir blanche (White from Black). Isolé et loin de ces origines, l’être humain ne peut qu’être vite agressé par une force cachée ne jurant que par la vastitude quantique. Criblé de beats électro, Not Him again ! rend compte d’un état de possession démentielle, avec cette voix de diablotin persifleur ou de gnome ricanant qui parle l’espagnol et le français, tournant au passage La Marseillaise en dérision, comme symbole d’un patriotisme illusoire. C’est le genre de morceau que Daevid ALLEN aurait sûrement aimé jouer…

Puis, COPERNICUS laisse les commandes à Larry KIRWAN le temps d’un morceau, lui laissant le soin de clamer qu’il est Desperate ! sur fond de reggae bien allumé. D’autres voix, féminines cette fois, se font entendre dans les interstices de In Terms of Money, où COPERNICUS se transforme en derviche à force de faire tourner le mantra « Don’t Let me Measure my Life ». Arrive alors l’ultime moment de vérité philosophique, From Bacteria, où l’on apprend que tout être humain (avec noms à l’appui, de Jésus CHRIST à Bruce SPRINGSTEEN) descend de la bactérie, tandis que vents, piano et percussions jouent les lucioles translucides.

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Contre toute attente, le dernier acte nous fait revenir sur Terre et met en valeur le personnage de Joe Apples (The Lament of Joe Apples), un de ces humains réduit à l’ombre de lui-même qui part en vrille en prenant conscience de la vacuité de sa situation et de son histoire. COPERNICUS y monologue pendant presque dix minutes, jouant les Tom WAITS ou les Screamin’ Jay HAWKINS sous excès de biture. Quelques sons fantomatiques et voix plaintives, comme provenant d’un canal radiophonique lointain, papillonnent alentour, ne semblent guère pouvoir le distraire. Encore une autre victime du ciel plantée là, figée dans le flash révélateur de la non-existence. La comédie humaine a ses limites, et COPERNICUS les a pointées avec une intransigeante détermination.

Deeper (1987)

Troisième pierre jetée sur le chemin de COPERNICUS, cet album, comme son titre l’affirme, fait état d’une plus grande profondeur (et d’élévation) dans l’évolution philosophique de son auteur. Ce dernier cache de moins en moins ses propensions pour une représentation du monde et du cosmos sous l’angle subatomique. L’atome est la réalité première, et l’humanité n’est qu’une vaste illusion inconsistante et tapageuse. On commence à connaître la chanson, et COPERNICUS en affine ici les paroles.

À l’instar de son prédécesseur, Deeper débute par une pièce aussi concise que radicale : Oh God !!!!!!!!!!!!!!!!! tient à la fois du mantra (seuls les mots du titre sont répétés ad vitam eternam) et de la fusée qui, après avoir décollé en trombe, est hors d’atteinte. Était-ce une prière, une imprécation, un cri primal, une perte de conscience extatique ?

COPERNICUS est en tout cas bien décidé à éveiller nos consciences sur le piège global qui menace les foules du monde : They Own Everything distille une paranoïa conceptuelle imparable (« Ils possèdent tout et nous contrôlent ! »), délivrée sur le mode du murmure visqueux qui mue peu à peu en péroraison courroucée, puis contrôlée, avant de s’évaporer brutalement.

Son of a Bitch from the North dénonce pour sa part les lâchers de bombes de l’aviation américaine sur la population mexicaine, un épisode parmi d’autres peu glorieux pour la première puissance du monde. Sur une musique acide structurée en un crescendo crispant, la voix de COPERNICUS traduit efficacement l’effroi et la colère qui ont submergé les victimes de ces « gringos ». Les États-Unis sont du reste une cible privilégiée de Deeper, puisque, plus loin, l’hymne américain y est interprété dans une version quasi funèbre par des cuivres titubants et vacillants, le temps pour COPERNICUS d’affirmer «The U.S. Does Not Exist ! » sans s’attarder davantage tellement ça paraît évident. (« Je savais que j’aurais des problèmes avec celle-là », lâche-t-il au passage.)

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À la critique des forces politiques et militaires obscurantistes s’ajoute celle des êtres humains en général, et de leur complaisance dans leur étroitesse d’esprit. Prenant l’allure d’un « lament » irlandais (marqué par le violon d’Andy LEAHY), Disco Days are Over voit COPERNICUS soliloquer sur la solitude de la comédie humaine, bientôt entouré par diverses voix masculines et féminines (Larry KIRWAN, Roseann PRICE, Pierce TURNER) qu’il invective, leur reprochant de ne pas avoir une vue cosmique du monde. Derrière, les musiciens semblent marcher sur des œufs…

Notre prédicateur cosmique se met également à expliquer le fonctionnement de l’illusion existentielle dans Once, Once, Once, again, où tourbillonnent des bribes de masses orchestrales autour d’un « pattern » de basse et de « beats » programmés. Cet habillage musical, généré par Michael THEODORE (à la base ingénieur du son des albums), est inédit chez COPERNICUS.

Plus que jamais, ce dernier se positionne en avocat de la cause microcosmique et atomique (Hurl Silence), allant jusqu’à évoquer, dans Atom by Atom, sa mort physique et la dissipation de ses atomes au sein de la Terre Mère… « libre de toute humanité ». La pièce prend une coloration curieusement ethnique avec cette flûte andine et ce xylophone surgis d’on ne sait quelle dimension parallèle.

La pièce la plus absconse est sans doute Chichen-Itza Elvis, dans laquelle COPERNICUS évoque des lieux emblématiques de civilisations disparues (aztèque, maya, africaine, indienne, grecque…), avant d’en appeler à… Elvis ! Divers cuivres et autant de voix virevoltent comme des satellites dans les contours de la loquacité copernicusienne.

À la demande générale, le personnage de Joe Apples, célébré dans l’album précédent, refait aussi une ultime apparition (The Death of Joe Apples). Son bien piteux état (cancer en phase terminale) ne fait que remettre l’humain à sa place dans le cosmos : il n’est rien.

L’album se clôt sur une ballade intimiste (Come to It) nimbée de philosophie cosmique, que COPERNICUS débite sur un ton mélancolique, avec des sourires nerveux et des larmes dans les mots.

Il aura fallu beaucoup de luttes pour parvenir à ce stade de compréhension ultime. « Nothing Exists » est la seule vérité qui vaille, encore et toujours. Introduit par un état de possession enragée, Deeper s’achève dans le repli intérieur. Avant cela, beaucoup de hargne s’est manifestée dans les interventions de COPERNICUS, et une trentaine de musiciens d’horizons divers (dont les fidèles Pierce TURNER et Larry KIRWAN) se sont évertués à habiller dans l’instant les circonvolutions verbales du prophète subatomique, à coup de tensions orchestrales, de grooves frémissants, de touches impressionnistes ou de soli escarpés. Et jamais l’album ne donne l’impression d’éparpillement, ni ne fait état d’errements. Tout est à sa place, et chacun ménage ses effets comme il le faut, quand il le faut. Toujours enregistrés live en concert ou en studio, les « actes » musicaux bénéficient d’un son et d’une production plus aiguisés.

Pour COPERNICUS, le doute et la colère punk des débuts se sont métamorphosés, à force de travail sur soi, en révolte éclairée et en certitude philosophique. Et accessoirement, Deeper a été un disque charnière pour son auteur, qui lui a valu d’entamer une tournée en Europe. Nevermore allait trouver de nouveaux adeptes.

Live ! In Prague (1989, DVD)

Nous connaissions sa voix, nous ignorions son visage, ou même s’il en avait un. Mais si c’est sur scène que COPERNICUS s’est d’abord fait connaître, c’est donc qu’il a une enveloppe charnelle. De plus, ses oraisons et les musiques qui leur donnent leur vibration spécifique ont été captées lors de sessions live non retouchées, et certaines sont des prises directes de concerts. C’est dire si la scène est l’espace de prédilection de notre apôtre, le lieu de toutes les révélations poétiques instantanées. Il fallait qu’on en est le cœur net, et que des images témoignent.

On a beau être le partisan du Grand Vide, on n’en est pas moins soucieux de laisser des traces. Ainsi, COPERNICUS a tenu à ce que ses (rares) performances scéniques soient filmées, tant chaque moment de scène est unique et ne peut se reproduire. Ces bandes ont dormi plusieurs années dans une cave, et par miracle l’une d’entre elles a raisonnablement vaincu les outrages du temps et s’est révélée d’une qualité suffisamment bonne pour justifier une exhumation officielle.

Voici donc un concert de COPERNICUS daté du 17 juin 1989, tiré d’une tournée sur le « vieux continent » qui est passée par Berlin, Vilnius, Sopot, Moscou et Prague. C’est dans cette dernière ville qu’a été filmé COPERNICUS, alors qu’il se produisait dans un festival accueillant également les Néerlandais de THE BLECH et des groupes locaux, GARAZ et PULNOC (ce dernier étant formé par Milan HLAVSA, la voix et la plume du légendaire PLASTIC PEOPLE OF THE UNIVERSE).

Ce document est une bénédiction, tant il nous replonge dans une époque déterminante pour les pays dits de l’Est, alors encore sous la tutelle d’un communisme exacerbé aux allures de forteresse dictatoriale. La musique « underground » n’y était pas la bienvenue, comme toute autre forme d’opposition à la seule pensée autorisée. La tenue d’un tel événement musical était déjà le signe que la forteresse souffrait de lézardes et de craquelures. On en pensera ce qu’on voudra, mais c’est quand même quelques semaines après le passage de COPERNICUS à Prague que la Révolution de velours a battu son plein…

Il faut dire que les graines ont été dûment semées. Dans un gymnase aménagé pour la cause et devant quelque 9000 personnes les applaudissant comme de vraies rock stars, COPERNICUS et son groupe ont attisé les esprits dès leur entrée en scène. Les premières paroles du prédicateur ont été « J’ai toujours eu des problèmes avec les autorités… » Il n’en fallait pas moins pour s’aliéner l’attention et l’adhésion du public praguois, qui avait assurément son mot à dire sur la question.

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La suite n’a fait qu’enfoncer le clou, avec des accroches comme « À l’origine, l’homme était Noir », « Ne me laissez pas jauger ma vie en termes d’argent », « L’homme descend de la bactérie », « C’est l’ignorance qui crée tout le sang », « Ils possèdent tout »… Le répertoire provient des trois premiers albums de COPERNICUS, excepté The Authorities, qui était encore inédit à l’époque, et qui sera gravé sur l’album Null.

C’est évidemment dans une formule allégée par rapport à ses disques que COPERNICUS s’est produit sur scène. Il était pour ce concert accompagné du fidèle Larry KIRWAN (guitares, claviers, chant), qui endosse le rôle du sous-lieutenant avec toute la panoplie du musicien new wave très tendance, avec un jeu de scène « rebel » que l’on jugerait aujourd’hui stéréotypé, et une voix rappelant celle de Robert SMITH. Un autre guitariste, Mike FAZIO, le batteur Thomas HAMLIN et le bassiste Dave CONRAD (impressionnant) complétaient la formation, jouant bien plus que les utilités puisqu’on les voit déployer de généreux espaces instrumentaux tandis que le Maître ménage ses apparitions.

Car à chaque morceau, COPERNICUS apparaît dans un accoutrement différent, tel un Daevid ALLEN passant de la banane au camembert. COPERNICUS se révèle lui aussi très électrique dans ses attitudes. Durant toute l’heure de sa prestation, il déploie une énergie toute juvénile, combinant emphase textuelle et gestuelle dynamique. Son jeu de scène dévoile un lion pressé de ronger les barreaux de sa cage. Il bondit, court d’un bout à l’autre de la scène, donne plusieurs poignées de main, prend le public à témoin, s’agenouille au beau milieu de la scène, se fait ramené en coulisses comme un junkie explosé, bouscule les instruments, tombe raide mort, sonne l’hallali à la trompe (tibétaine ?). Le tout est filmé par deux caméras, et monté en double écran : côté scène, côté public. De l’audace et de l’expérimentation.

Nous sommes en 1989, en Tchécoslovaquie, et COPERNICUS joue le funambule sur le fil de tensions sociales et existentielles. Bingo ! Live ! In Prague est le document ultime, indispensable, impensable, mais au fort substrat révélateur.

De zéro à l’éternité

(Null, 1990 – No Borderline, 1993 – Immediate Eternity, 2001)

La tournée européenne de 1989 a été un tel succès qu’une autre est programmée en 1990. Entre-temps, les gouvernement tchèque et polonais et le mur de Berlin sont tombés, la Lithuanie est devenue indépendante et des émeutes se sont produites à Moscou. Est-ce l’Effet COPERNICUS ? Toujours est-il qu’un citoyen hollandais aurait supplié ce dernier de ne pas venir dans son pays, au cas où… !

Entre-temps également, COPERNICUS a sorti un quatrième album. Trois ans après Deeper paraît donc Null, qui inaugure une nouvelle ère pour COPERNICUS, ne serait-ce que dans la constitution du contenu de l’album. Pour la première fois en effet, les morceaux proviennent de sessions différentes échelonnées de 1986 à 1988, avec une formation variable. Null porte aussi les stigmates de la tournée européenne de 1989 puisqu’il contient deux pièces enregistrées live à Berlin. On remarque également que COPERNICUS poursuit sa collaboration, entamée dans Deeper, avec l’ingénieur du son Michael THEODORE, qui signe la musique d’une pièce entièrement jouée au synthétiseur. On découvre de même une pièce-fleuve (Touch !, qui dépasse le quart d’heure) montée à partir de deux sessions.

Sur le plan philosophique, COPERNICUS, s’il s’en prend toujours à ceux qui tirent les ficelles de la structure sociale et maintiennent les gens dans l’illusion, se détache encore plus de toute agitation humaine, convoque les protons, les quarks et autres neutrinos, vante le pouvoir du « son » de l’esprit, et hurle des incantations à Amon Râ et à Toutankhamon.

Il faudra attendre 1993 pour que COPERNICUS daigne donner une suite discographique à Null, baptisée No Borderline. Ce nouvel opus traduit l’isolation toujours plus affirmée de COPERNICUS vis-à-vis de la comédie sociétale humaine. Cela ne l’empêche pas de porter attention aux êtres humains, mais avec une rage beaucoup plus canalisée. Au passage, il s’entretient même avec son « double humain », Joseph SMALKOWSKI. Et bien sûr, COPERNICUS conduit ses pas vers toujours plus de conscience atomique.

Comme Null, No Borderline a été monté à partir de plusieurs sessions, avec un effet « puzzle » plus accru. Cette fois, Michael THEODORE a créé la musique de quatre morceaux : ses nappes extra-terrestres, percussions outre-tombales et voix trafiquées ou dédoublées renouvellent le son de COPERNICUS. Un morceau a été mis en boîte avec un groupe lithuanien, BIX, tandis qu’un autre a été emprunté à un groupe mexicain, sur lequel COPERNICUS a ajouté des paroles. On trouve également deux autres morceaux extraits de ce fameux concert à Berlin en 1989.

Pour le coup, ce cinquième album a du mal à cacher son aspect « compilation d’archives inédites », son contenu s’étalant de 1985 à 1992. Et pourtant, No Borderline reste un album consistant et puissant, musicalement sans doute plus accessible, mais philosophiquement un poil plus abstrus.

Mais c’est un fait : COPERNICUS a été globalement moins actif sur le front musical dans ces années 1990. Un long silence discographique a suivi No Borderline, accréditant l’impression que COPERNICUS est arrivé à un stade délicat de sa quête intellectuelle. Mais ce silence ne doit pas être interprété comme un tarissement d’inspiration ou de réflexion.

Au contraire, pendant plusieurs années, le Guide de Nevermore travaille en fait sur un ouvrage qu’il publie – comme par hasard – à l’aube du siècle nouveau, soit en 2001. Intitulé Immediate Eternity, il inspire un disque du même titre, enregistré avec THE NOMADS, un groupe de musiciens de l’Équateur, où COPERNICUS est allé jouer et enregistrer. L’entente avec ces musiciens équatoriens est telle que l’album est même enregistré avec des paroles en espagnol, puis réenregistré (sous le titre Immediate Eternity II) en quatre versions : une en anglais, une en espagnol, une autre en allemand et encore une autre en français ! Être polyglotte est la meilleure façon de se faire entendre et comprendre. Et si l’on métamorphose les outrances punk, free ou psychédélique dans une forme de jazz-rock au lyrisme volontiers emphatique et aux respirations panoramiques, on peut éventuellement faire mieux passer la pilule amère du Rien n’existe.

Inspirées par les thèmes du livre, les deux versions (et quatre langues) d’Immediate Eternity livre un COPERNICUS moins enragé mais définitivement plus habité par sa Vérité quantique, qu’il expose sur un ton en apparence plus doux et amène, mais sans rien perdre de sa radicalité. S’il dit que l’humanité est belle, c’est pour se montrer d’autant plus impitoyable face à la complaisance dans l’ignorance que manifeste celle-ci, et très critique envers ses errements et manquements à travers l’Histoire. Il en vient même à prédire sa destruction pour qu’une autre conscience plus bienveillante envers la Réalité atomique et la Non-Existence puisse prendre sa succession.

La vérité absolue n’est possible qu’au prix d’un retour à la poussière (d’étoile), et en se libérant des chaînes égotistes et des rêves de ballons. « Chaque moment est une apocalypse et chaque moment est une génèse. » Et si l’humanité n’était au fond qu’une étape dans l’émergence de la Conscience quantique ?

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Les cantiques du quantique

(Disappearance, 2009 – Cipher and Decipher, 2011)

Après la charge multilingue Immediate Eternity, COPERNICUS est resté encore quelques années sans donner de voix. Alors qu’on croyait qu’il avait définitivement rejoint son Nevermore, il a en fait repris la route du studio d’enregistrement le 2 novembre 2008. Ce jour fut décidément faste pour COPERNICUS puisqu’il lui a fourni la matière de deux CD.

Le premier, Disappearance, est paru en 2009. Réapparaître avec une disparition… on n’en attendait pas moins de la Conscience atomique de Nevermore ! Le second, nanti d’une pochette dont le dessin tendance art brut semble avoir été griffonné sur le coin d’une serviette en papier entre deux stations de métro, a suivi en 2011, baptisé Cipher and Decipher.

Ces deux CD manifestent une certaine folie des grandeurs à différents niveaux : d’abord, ils sont de taille gargantuesque, atteignant chacun les 70 minutes. De plus, ils ont été enregistrés avec de nouveau un grand ensemble formé d’une quinzaine de musiciens, sous la direction du pilier de toujours Pierce TURNER (claviers, orgue, percussions). On y trouve des musiciens du groupe de rock celtique BLACK 47, notamment le fidèle Larry KIRWAN (guitare électrique, voix) et toutes une pléiade de cordes (guitares électriques, acoustiques, steel, basse, violon, viole, contrebasse), de cuivres (trombone, sax ténor, tuba) et de percussions.

Cet atypique et plantureux orchestre tisse en toute spontanéité de solides et vertigineux « soundscapes » en constante mutation, jonglant avec des éléments de rock planant, de jazz-rock, de fusion exotique, de musique avant-gardiste et expérimentale, ménageant des séquences furieusement « borderline », chauffées à blanc, et des instants plus apaisés, contemplatifs, qui servent à recharger les batteries avant qu’un nouveau spasme pousse au chaos collectif.

Dans Disappearance, COPERNICUS étale allègrement ses vaticinations sur 10, 15, voire 21 minutes, pour un total qui atteint 73 minutes, nous assurant que l’humanité a créé l’illusion de sa propre existence, que l’Homo Sapiens est décidément misérable, mais aussi pour nous exhorter à nous prosterner devant douze particules subatomiques, nous faire rencontrer des zombies aveugles, nous faire visiter une Nouvelle-Orléans atomisée, nous faire baigner dans le « quark gluon plasma » (!) et, en guise d’ultime plat de résistance, en appeler à la suprême Révolution, crénom d’un proton !!!

En fait de « disappearance », COPERNICUS manifeste plutôt une imposante présence dans ce disque long et dense qui fut le premier à bénéficier d’une promotion au niveau international grâce à Moonjune Records.

Plus remonté que jamais, COPERNICUS continue sur Cipher and Decipher à arroser les neurones de l’auditeur de considérations existentialistes baignées de physique quantique, assénant avec une véhémence volontiers irritée ses convictions apocalyptiques selon lesquelles le monde n’est qu’illusion et que le seul univers qui vaille est celui du « subatomique », des particules élémentaires, des quarks, des gluons, et des laptons… Amateurs de potée plasmatique, régalez-vous !

La matière n’est qu’énergie et peut devenir esprit puisque la force de gravité s’étend dans tout l’univers, lequel peut devenir compréhensible. Se libérer du « fake » identitaire, ne croire en rien, le corps humain n’est que néant, il faut lui préférer le corps atomique sorti tout droit du Chaudron d’énergie qui ne fut découvert qu’au XXe siècle… Voilà pour l’essentiel du programme développé dans Cipher and Decipher, qui entérine le retour en forme et en force d’un COPERNICUS qui creuse plus que jamais dans les tréfonds galactiques de sa philosophie non-existentielle. Il ne fallait certes plus s’attendre à ce qu’il s’arrête en si bon chemin…

Du rien à l’inutile

(Worthless !, 2013)

Le chemin vers le Grand Rien réserve décidément des surprises, et la conviction que rien n’existe peut elle-même mettre en doute sa propre réalité, dès lors que l’on découvre que tout est inutile, y compris le Rien. C’est grossièrement le stade où en est arrivé COPERNICUS avec ce quatorzième album. L’Inutilité aura-t-elle raison de la Vacuité ? Mais la raison est dépassée depuis longtemps, alors…

Pour ce nouveau trekking sidéral et sidérant, COPERNICUS s’est entouré à nouveau d’une formation dantesque de seize musiciens, dirigés une fois encore par Pierce TURNER, et parmi lesquels on trouve le guitariste blues du Bronx Poppa CHUBBY, qui ne passe évidemment pas inaperçu. Par contre, Larry KIRWAN n’est pas de la partie. Une vocaliste fraîchement débarquée, Sari SCHORR, s’impose en lieu et place.

Tout commence dans une transe dynamique, avec Quantum Mechanics. COPERNICUS y pose sa première pierre philosophique, prévisible : « La réalité est dans ce qui ne se voit pas, ne se touche pas, ne se sent pas, ne se goûte pas, ne s’entend pas. La réalité est dans le quantique. » Ce faisant, il appelle à entrer dans le trou noir. Musicalement, c’est la surprise : percussions galopantes, flûte de pan et cuivres dominent un terrain empruntant à SANTANA comme à SUN RA. Et la voix de Sari SCHORR exhorte sans relâche à écouter (« LISTEN ! » « ESCUCHAME ! »). L’appel ne concerne pas seulement l’auditeur.

Car pendant l’enregistrement de ce disque, COPERNICUS s’est retiré dans une pièce en solitaire, ne laissant aux musiciens que ses mots et le son de sa voix pour tout guide. Il ne veut plus être le centre de l’attention collective, rien qu’une voix parmi les autres. Cette innovation « technique » a en l’occurrence complètement redéfini le paysage musical. Car après la mise en jambes de Quantum Mechanics, le tempo se ralentit drastiquement avec You are not Your Body (« Tu n’es pas ton corps. »). Avec une guitare languide, un accordéon léthargique et les vocaux fébriles de Sari SCHORR en miroir, demandant s’il y a quelqu’un, le climat général est rien moins que torpide, comme un mirage cramé en plein soleil.

Puis COPERNICUS entre dans le vif de son sujet de prédilection : You are the Subatomic. Cuivres, guitare, orgue et onomatopées évanescentes produisent une sorte de free-funk au ralenti. Et à nouveau le rythme s’évanouit avec What is Existence ?. Une steel guitar et un orgue dépeignent un horizon indolent aux parfums hawaïens, avant qu’une guitare électrique et un piano hasardeux ne transforme le tout en un blues en proie à la déconstruction.

Des guitares, des percussions, des vocalises, des cuivres, des vents se lancent ensuite tour à tour ou simultanément. COPERNICUS est à fleur de peau ; il murmure, comme s’il était perdu ou en proie au doute, à moins qu’il ne contemple humblement sa conviction. You are the Illusion that I Perceive (« Tu es l’illusion que je perçois ») brinquebale entre blues et prière, montant en puissance puis retombant progressivement avec une coulée de piano.

Sur le bluesy Everlasting Freedom !, les guitares se font plus aiguisées, tandis qu’un tuba résonne en arrière-plan. Sur un rythme médium, COPERNICUS invite à passer le pont, de l’autre côté duquel le quantique attend la disparition de notre moi physique. « Step by Step », pas à pas. Il n’y a rien à craindre puisque rien n’existe.

A Hundred Trillion Years évolue avec cette même sensation de déconstruction, de décomposition progressive, consentie, illuminée, vigilante. On est plongés dans un tournoiement engourdi qui salue les étoiles sombres et les trous noirs. Bienvenue dans le ciel de la nuit ! La voix de COPERNICUS fond dans le cosmos, se confond dans les quarks et les protons ; son cri implose dans un espace-temps infini…

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Puis c’est l’ultime étape : Worthless !. Sur un ton agonisant qu’il ne quittera plus pendant les douze minutes du morceau, COPERNICUS affirme : « Je dois vivre avec la conscience que tout comportement humain est probablement inutile », tandis qu’un violon déambule en apesanteur… Les voix de Pierce TURNER et de Sari SCHORR supplient à tour de rôle (« He Never Let Go ! », « Go to Sleep ! »), s’abîment dans une immensité où présent, passé, futur, vie et mort ont été annihilés, et qui ne semble plus qu’une béance hallucinée, une contemplation calcinée, un trou noir lumineux. Même COPERNICUS se tait deux minutes avant la fin, laissant un saxophone, une contrebasse, une guitare et la batterie rendre leurs derniers souffles. C’est l’atonie suprême. Sommes-nous passés de l’autre côté de la Vacuité, derrière son double « inutile » ?

Worthless ! dévoile un COPERNICUS emprunt à la fois de fragilité et de sobriété, tandis que ses musiciens esquissent des tableaux grouillant de vibrations en clairs-obscurs. Sari SCHORR est une révélation. Et l’ébullition, tant intellectuelle que musicale, est bel et bien là, plus mesurée pour mieux décontenancer et, au final, pour mieux fasciner.

Entretien avec COPERNICUS

Bien qu’il vous arrive de jouer des claviers et que vous soyez l’auteur de plusieurs disques, vous ne vous définissez pas comme musicien. Pourquoi ?

COPERNICUS : Je ne suis pas un musicien si par musicien vous entendez quelqu’un qui essaie de s’exprimer principalement à travers la musique. Mon expression se trouve dans l’évolution d’une pensée philosophique en ce qu’elle concerne l’humanité. Je n’ai jamais été un auditeur dévoué de musique et je ne peux jouer d’un instrument de musique de manière compétente. N’importe qui peut appuyer sur les touches d’un clavier. Non seulement je n’ai jamais vraiment été un amateur de musique, mais je n’ai même jamais écouté la musique des gens avec lesquels les critiques m’ont comparé.

S’il doit y avoir de la musique chez COPERNICUS, ça doit venir de l’esprit du chant, de la voix, et non des oreilles de l’ingénieur du son. Pierce TURNER m’a demandé une fois si je serais effrayé de descendre dans la rue à l’idée d’avoir peut-être à entendre un oiseau gazouiller et ensuite de copier l’oiseau. Je lui ai répondu par l’affirmative. Le métier d’un artiste original est d’être original, et mon ignorance de la musique me rend pleinement apte à combiner la musique de COPERNICUS de façon originale. Mon but n’est pas de régurgiter musicalement ce que j’ai digéré de quelqu’un d’autre.

Il semble du reste que votre parcours artistique n’ait pas commencé dans la musique…

C : J’ai démarré dans les cercles de poésie aux alentours des années 1960 en réalisant par moi-même des performances spontanées de poésie philosophique. Je me suis développé à travers l’expression. J’ai réalisé assez tôt l’importance et la valeur de l’expression en apprenant ce qui était caché dans mon subconscient. Quelquefois je trouvais spontanément des sujets importants que j’ai mis parfois longtemps à comprendre.

Et puis un jour, dans les années 1960, Melody PEACH, un saxophoniste qui jouait solo dans les cercles de poésie, m’a demandé s’il pouvait faire une pièce spontanée avec moi. Nous l’avons fait ; j’ai bien aimé l’échange d’énergies, et les sons du saxophone m’ont inspiré pour m’engager dans des directions intellectuelles où je ne serais pas allé s’il n’y avait pas eu de saxophone. La musique m’a donné l’énergie et m’a aidé à ouvrir une route pour voir ce que je ne pouvais voir ou trouver par moi-même. Jouer avec la musique était mieux pour moi que de juste jouer seul, parce que j’ai joué seul pendant un bon moment. J’ai même fait un show télévisé de poésie spontanée tout seul. L’échange d’énergies pures entre de vrais artistes qui jouent, chacun se nourrissant de l’autre, c’est grandiose quand ça marche.

Pouvez-nous nous raconter quand et comment vous avez commencé en tant qu’artiste ?

C : En 1978, j’ai vu Pierce TURNER et Larry KIRWAN qui jouaient dans un club sous le nom TURNER et KIRWAN de WEXORD. Je leur ai demandé si je pouvais faire une pièce avec eux sur scène. Ils ont dit oui. Nous avons fait cette pièce ensemble lors de ce concert devant le public, et ça a été excitant et intéressant.

Ce fut le début de la musique de COPERNICUS qui perdure encore aujourd’hui avec seize musiciens en studio créant une musique spontanément sur la voix de COPERNICUS. En conséquence, je suis un chanteur philosophique jouant avec des musiciens et qui, soit en public, soit en studio, joue parfois des claviers ou frappe un gong et qui mélange le résultat.

Je n’ai jamais vraiment été impliqué dans le commerce musical bien que j’ai donné mes disques à des distributeurs, que j’ai posé des pubs dans des magazines, que j’ai posé des affiches pour des concerts et que j’ai envoyé mes albums à des stations de radio universitaires. Il y a quelque chose au fond de moi qui est contre le fait de faire de l’argent avec mon art. Un véritable artiste ne doit pas faire prendre à son art la responsabilité de gagner de l’argent.

L’art véritable n’a pas à prendre la responsabilité de gagner sa place dans la société. L’art véritable est l’expression pure de la Vérité de l’artiste et n’a pas à réclamer ou à demander à être payé. On partage l’art avec un public pour partager, non pour réclamer ou quémander de l’argent. Exiger de l’argent en échange de l’art ne peut que diluer l’art.

Quand l’argent est en jeu dans l’art, très vite l’artiste commence à s’inquiéter de savoir si le public va aimer ou non son art et, au lieu d’exprimer sa vérité à travers l’art, il fera plier son art pour contenter le public qui en voudra pour son argent. Le public ne devrait pas entrer en considération dans la création artistique. Quand le public est impliqué dans la création artistique, ce travail relève du divertissement, non de l’art.

Cette vision de l’art pour moi remonte à 1961, alors que je revenais d’Europe en bateau. C’est sur ce bateau que j’ai décidé de devenir un artiste et, comme je l’ai dit auparavant, ma définition de l’artiste était et est toujours une personne qui exprime sa vérité pure telle qu’il la voit sans absolument aucune considération du public. L’existence d’un public n’a absolument rien à voir avec la création d’un art grand. Un autre commentaire de Pierce TURNER, vrai ou faux, est : « COPERNICUS est une agression sur le public. »

Alors, comment donc un artiste vit-il en société si son art ne lui fait pas gagner de l’argent ?

C : Ma tendance à devenir un artiste a évolué au Queens College, Flushing, à New York, où je me suis spécialisé en Histoire. J’ai vu qu’il y avait deux genres d’artistes. D’abord, il y a les artistes affamés comme VAN GOGH, qui étaient en avance sur leur temps, qui ont souffert pour leur art, qui ont vécu dans la pauvreté, et qui créaient ce que le monde en cours ne pouvait ou ne voulait pas comprendre. Un artiste véritable, dans la mesure où il se concentre sur sa Vérité et l’exprime, sera toujours en avance sur son temps parce que le commun des mortels de son temps n’a pas le temps de s’affranchir des exigences de survie.

En fait, être accepté du public quand on est encore vivant révèle un possible vice ou une trahison dans votre art. L’Art avec un grand A sort de son temps pour atteindre l’éternité. Être connecté à la Vérité permet d’être transporté très loin dans le futur. La plupart des gens vivent intellectuellement dans la bulle illusoire de leur propre temps. Au bout du compte, j’ai rejeté cette voie de la pauvreté ; c’était stupide et destructeur, et pas pour moi.

La seconde voie possible pour l’artiste est d’avoir un mécène. MICHEL-ANGE avait un mécène en la famille des MÉDICIS. Elle a subvenu à ses besoins et il a exécuté leurs ordres. En aucune façon je ne me vois exécuter les ordres de quelqu’un d’autre. Par conséquent, avoir un riche mécène qui donne des ordres n’était pas non plus pour moi.

Ayant donc rejeté les deux voies connues de l’artiste dans l’Histoire, j’ai inventé une troisième voie. Étant né pauvre dans l’une des plus riches nations de la planète – les États-Unis d’Amérique – et vivant dans un système économique de type capitaliste, le choix le plus simple serait de gagner mon propre argent et d’utiliser celui-ci pour créer mon art propre. Cette troisième voie est celle que j’ai suivie et que je continue à suivre. Je suis payé pour avoir l’énergie et l’intelligence d’avoir simplement le droit de faire ce travail excitant et de recevoir un salaire pour évoluer dans le champ philosophique qui m’intéresse. On ne sait pas ce que l’on sait tant qu’on ne l’a pas fait sortir de soi. À travers l’art, je découvre ce que je sais et ce qui est caché au fond de moi. C’est mon salaire.

Ma voie en tant qu’artiste a donc commencé sur ce bateau en provenance d’Europe en 1961 et j’y suis resté fidèle sans me trahir. Je n’ai pas eu à me trahir parce que j’ai réussi à gagner mon propre argent. Gagner de l’argent dans un système capitaliste rend accroc. On en veut toujours plus. On en a jamais vraiment assez. Bien que j’ai cette envie cupide en forte dose, je l’ai contrôlée et j’ai toujours dit à cette créature capitaliste à l’intérieur de moi de se tenir à l’écart et de laisser s’avancer le chercheur et le diseur de vérité.

À partir de quand se sont révélées vos positions philosophiques ?

C : Mes impressions philosophiques ont commencé à se révéler – à en croire ce qui est incroyablement consigné dans un journal intime que j’avais à 19 ans, en 1958 – quand j’ai écrit dans ce journal : « Jésus, je commence à douter de toi. » À partir de ce moment et après avoir abandonné ma religion catholique romaine et au bout de quinze ans de recherche pour combler ce vide, j’ai commencé à établir ma propre vision philosophique. Cette quête m’a mené vers l’atome et la conclusion que rien n’existe. Puisque cette conclusion est établie, je cherche maintenant les implications de ce « rien n’existe ».

Grâce au travail conjoint de votre label Nevermore et Moonjune Records, vos premiers disques ont été réédités en format CD. Nous savons ainsi que votre première production, Nothing Exists, date de 1984. Néanmoins, vous vous produisiez sur les scènes musicales bien avant cette année-là. Pourquoi avez-vous attendu plusieurs années avant de sortir votre premier disque ?

C : J’ai fait des performances solistes dans des cercles de poésie à partir de 1962 sans jamais penser à enregistrer. C’est après avoir rencontré Larry KIRWAN et Pierce TURNER et leur association de musiciens, dont le batteur Tom HAMLIN, et après avoir donné des spectacles spontanés dans tout Manhattan pendant cinq ans, que j’ai dit un jour à Pierce : « Bon allez, on enregistre. » Il m’a répondu : « OK, mais je ne veux pas aller dans un studio de merde. » J’ai donc loué le Studio C du bâtiment de RCA de Manhattan, un énorme studio où Elvis PRESLEY avait enregistré. En 1983, ça coûtait 250 dollars de l’heure ; chaque rouleau de cassette de 2 » coûtait environ 300 dollars et dessus, on ne pouvait enregistrer que pour une trentaine de minutes. La première session d’enregistrement a duré environ 5 heures et on a enregistré 45 morceaux distincts de poésie et musique, l’un après l’autre sans interruption. J’ai une vidéo de cette session d’enregistrement. L’album Nothing Exists provient de cette session.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ce premier album, tant sur le plan musical que sur le plan de la réflexion philosophique qui le sous-tend ?

C : Le sujet de chaque morceau était dans ma tête ; il ne demandait qu’à sortir et exigeait d’être exprimé. Je pouvais continuer à trouver des sujets les uns après les autres, et les treize musiciens à peu près ont continué à créer un nouveau monde avec chaque morceau. Un morceau en entraînait un autre. Ça nous a pris cinq minutes pour écrire les textes, créer la musique et enregistrer quelques-uns des plus grands morceaux du catalogue de COPERNICUS. Je me suis marré quand j’ai appris que les BEATLES avaient mis trois mois à travailler dans le studio sur une seule chanson !

Il n’y avait pas de liste de morceaux à faire ni de partitions. J’exprimais ma vision à travers ces morceaux. J’avais déjà intellectualisé l’idée que rien n’existe, que tout est fait d’atomes en mouvement et que rien ne peut rester pareil à un moment et au suivant. J’étais en colère contre le monde dès lors que j’avais compris ce qu’il m’avait fait sous la forme d’un viol mental, et j’étais résolu à mettre les choses au clair.

On avait déjà réalisé un single avec Pink Lips et Quasimodo. Des vidéos de ces morceaux sont sur YouTube, mais ce n’est pas moi qui les ai faites. (Imaginez un peu : le public fait des vidéos de morceaux de COPERNICUS et les met sur YouTube !) Ce single a fait comprendre au monde que tout ce qui nous importait était de dire NOTRE Vérité. On était gonflés à bloc !

Vos trois premiers LP sont à présent disponibles en CD. Comptez-vous également rééditer vos disques suivants (Null, No Borderline, Immediate Eternity) en partenariat avec Moonjune ?

C : Nevermore Inc. est la maison de disques qui paye toutes les factures, et Moonjune est le distributeur et le vendeur qui, depuis 2008, a été une importante force spirituelle, guidant et inspirant la majeure partie du travail de cette très petite maison de disques que nous réalisons.

Après l’album No Borderline, les cupides « major companies » ont pris le contrôle des passages à l’antenne des radios universitaires, et les universités ne diffusaient plus d’albums de COPERNICUS. Or, nous avions une bonne diffusion radio dans les universités de tous les États-Unis avant cette horrible mainmise des majors. Il n’y avait plus aucun débouché pour tout ce qui n’était pas « Top 40 ». Je me souviens d’un organisateur d’un concert de Prague qui était venu en Amérique pour apprendre comment devenir un manager de radio. C’était un ami et il a même séjourné chez moi le temps qu’il était en Amérique. Il m’a dit qu’il ne pourrait même pas diffuser ma musique à Prague parce que ce n’était pas du « Top 40 » et qu’il ne pouvait pas diffuser autre chose ! Les majors avaient pris le contrôle du monde. Et elles en voulaient plus. Et encore plus. Et encore plus. Cette prise de contrôle illégale des radios est un scandale majeur que personne en Amérique n’est disposé à révéler. Ce scandale a trompé l’Amérique et le monde sur ses authentiques artistes originaux.

Cela dit, il est prévu que la totalité du catalogue de COPERNICUS soit réédité avec Moonjune. Avec un peu de chance, ça se fera. Mais pour le moment, nous réalisons un nouvel album, Worthless !, et en fait, nous avons même déjà enregistré un autre album studio qui provient de la même session d’enregistrement à Water Music en 2012, et qui sera réalisé après Worthless !.

Tous vos albums ou presque ont été réalisés en collaboration avec Pierce TURNER et Larry KIRWAN. Peut-on dire qu’ils sont en quelque sorte vos « alter ego » musicaux ?

C : Pierce TURNER et Larry KIRWAN sont très différents de COPERNICUS. Ils ont chacun leurs carrières, et elles sont plus importantes pour eux que COPERNICUS. Cela dit, je mentionne Larry KIRWAN comme la « mère » de la musique de COPERNICUS non parce qu’il est gay (parce qu’il ne l’est pas) mais parce qu’il porte une jupe bleue lors de la plupart des concerts. Et Pierce TURNER est le père de la musique de COPERNICUS, et je suis le fils. On continue à s’appeler ainsi les uns les autres. J’appelle Pierce « Papa » et il m’appelle « Fils ». Larry est « Maman ».

La réalité est que l’expérience COPERNICUS pour Larry et Pierce leur ont donné l’opportunité d’évoluer au-delà de ce petit monde limité d’espaces libres et ouverts fournis par le studio et la scène COPERNICUS d’où ils proviennent. Ils étaient libres de faire tout ce qu’ils voulaient et dans cette liberté ils ont musicalement évolué. Ils ont fait du beau boulot en réunissant des musiciens, en les dirigeant, et en les inspirant, même si COPERNICUS a beaucoup inspiré aussi. Il ne faut pas oublier que COPERNICUS a fait le mixage final de tous ses disques. Larry n’a jamais contribué à une session de mixage, Pierce a dû en faire une et n’a vraiment participé qu’à la première version de la pièce In Terms of Money. À cette époque, mon principal ingénieur de mixage était Michael THEODORE. Lui et moi avons fait tout le travail de mixage jusqu’en 2001.

Le DVD Live ! In Prague est le premier (et pour l’instant unique) document visuel de l’une de vos performances scéniques, et il est exceptionnel à plus d’un titre, compte tenu notamment du contexte politique en Tchécoslovaquie (et dans d’autres pays européens) à cette époque. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans cette tournée ?

C : Nous (Larry KIRWAN et Mike FAZIO aux guitares, Tom HAMLIN à la batterie, Dave CONRAD à la basse et COPERNICUS à la voix) avons fait ce que nous devions faire. Nous avons voyagé de Hanovre en Allemagne à Prague, en Tchécoslovaquie, de Berlin, en Allemagne à Sopot, en Pologne et de Kaunas en Lithuanie à Moscou, jouant sur scène dans chaque ville. Ce qui m’a frappé sont les différences de comportement des gens dans chaque pays. Les Allemands sont agressifs et les Tchèques sont gentils. Les Polonais sont plus agressifs que les Tchèques mais moins que les Allemands, tandis que les Lithuaniens sont un peu plus agressifs que les Polonais et les Russes sont dépeints, de manière appropriée, comme des ours, agressifs et sauvages.

Comptez-vous publier d’autres documents visuels de vos performances live ?

C : Nevermore Inc. possède environ 350 vidéos de performances de COPERNICUS qui, malheureusement, tombent en poussière. Larry KIRWAN a dit un jour en 1979 : « Si tu ne fais pas de captations vidéo, ça voudra dire que tu n’as jamais été là. » J’ai enregistré en vidéo toutes les performances de COPERNICUS du premier jour en solo sur une chaîne câblée aux concerts au Max Kansas City avec Larry, Pierce et Tom HAMLIN jusqu’aux innombrables concerts au CBCG, aux tournées en solo sur la côte Ouest, aux tournées européennes, aux concerts dans l’Équateur. Elles devraient être réalisées en tant que chapitres dans l’histoire de COPERNICUS, mais elles restent là puisque moi, seul, je suis surtout intéressé par la prochaine nouvelle idée.

No Borderline est un album un peu différent des autres, dans la mesure où tous les morceaux ne proviennent pas d’une même session et que les musiciens qui vous accompagnent diffèrent d’un morceau à l’autre. Pourquoi tous ces changements ?

C : Votre observation est un fait que je n’avais même pas remarqué moi-même. La méthode de création de No Borderline a été très différente des disques qui ont été faits avant. Maintenant que j’y prête attention, pratiquement chaque pièce de ce disque a été créée séparément des autres, au lieu de provenir de la même session d’enregistrement, en effet.

Voyons un peu ça… Joe Meets COPERNICUS est une création musicale de Michael THEODORE soutenant une intervention vocale spontanée de COPERNICUS. Break from the Senses provient d’une petite session d’enregistrement organisée par Matty FILLOU. The Voice était une pièce musicale que j’ai achetée à un grand compositeur mexicain, Zeferino NANDAYAPA, et pour laquelle j’ai écrit un texte que j’ai déclamé par-dessus la musique. Je n’avais jamais procédé ainsi auparavant et ne le referai certainement jamais plus. Ça m’a pris trois mois pour écrire le texte. The Optimist provient d’une petite session d’enregistrement avec seulement Matty FILLOU, Marvin WRIGHT et moi. Nous l’aimions bien et l’avons enregistrée.

Nightwatch est une autre création de Michael THEODORE avec une improvisation vocale de COPERNICUS. C’est le genre de choses que j’aurais pu et que je peux toujours sortir d’un coup. In Terms of Money II est issu d’un concert au Quasimodo Club à Berlin en 1989. Ils avaient en fait un studio d’enregistrement 16 pistes dans un camion à la sortie du club et ils nous ont fourni gratuitement la bande. Pierce a dit que j’aurais dû réalisé le concert entier sous le titre « COPERNICUS in Berlin », mais je voulais seulement réaliser des chefs-d’œuvre, alors j’ai pris le meilleur de ce que j’avais et j’ai inclus cette version dans No Borderline. C’était peut-être une erreur. Le reste du concert prend la poussière quelque part dans mon placard.

There was No provient d’une session d’enregistrement réalisée avec le célèbre groupe lithuanien BIX, dans le studio A, le plus petit des RCA Studios, à Manhattan. BIX donnait alors un concert à New York. Comment aurais-je pu laisser passer ça ? BIX était très bon. You’re not There est issu de la même session que The Optimist, avec Matty et Marvin. Blood II est un autre extrait du concert au Quasimodo Club de Berlin en 1989, neuf jours avant la chute du mur… Quant au morceau éponyme de l’album, c’est une autre création de Michael THEODORE avec des vocaux de COPERNICUS.

Donc, pour la première et probablement dernière fois, COPERNICUS a laissé tomber son ancienne méthode de création d’album et a tiré ses morceaux de différentes prises. Merci de me l’avoir fait remarquer ! Je ne referai sans doute jamais un album de cette façon.

À partir des années 1990, vous avez arrêté de vous produire sur scène avec un groupe, et vous avez choisi de vous produire davantage en solo. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

C : Tourner avec un groupe et être en charge de lui est une tâche assez difficile à faire. Je suis là pour dire ma vérité, pas pour garder et ranger des chats dans leurs caisses. Cela dit, le groupe que j’avais en Équateur, THE NOMADS (Juan Carlos ZUNIGA, César ARAGUNDI, Newton VELASQUEZ et Freddy AUX) était grandiose. Nous avons enregistré ensemble Immediate Eternity en 4 langues et avons donné 25 concerts dans l’Équateur devant un grand public. Mais maintenant, je préfère jouer seul. Je tiens à ce que le public entende le sens de mes mots et qu’il ne soit pas distrait par un musicien. C’est pourquoi je joue dorénavant accompagné par des bandes musicales tirées de mes albums.

Après No Borderline, vous n’avez plus rien enregistré pendant plusieurs années. Est-ce parce que la musique ne vous semblait plus un bon véhicule pour transmettre vos idées ?

C : Je n’ai pas enregistré après 1993 pendant quelques années parce que j’avais commencé à écrire un livre, Immediate Eternity. Ce qui s’est passé, c’est que, après No Borderline, je suis retourné en studio et j’ai essayé de balancer de nouvelles idées spontanément, mais j’ai senti que rien de neuf ne sortait vraiment. Toute la spontanéité de COPERNICUS s’était déversée. Tout ce qui flottait dans ma tête avait déjà été exprimé, et chaque fois que j’essayais de créer un texte spontanément, j’avais l’impression que c’était une redite de quelque chose qui avait déjà été fait. Face à cet épineux et déroutant problème, j’ai dû creuser encore plus loin dans ma psyché et écrire un livre.

Il m’a fallu au moins quatre ans pour écrire Immediate Eternity. Ça n’a pas été facile. J’y ai travaillé chaque jour. J’ai dû développer ma capacité de pensée et étaler toute l’étendue de l’idée que Rien n’existe sur le papier. En fait, en 2000, je suis allé en Équateur avec mon manuscrit pour terminer le livre, et c’est là que j’ai rencontré THE NOMADS et que j’ai enregistré à Guayaquil le merveilleux album auquel j’ai donné le même titre que mon livre, Immediate Eternity.

Le livre Immediate Eternity est-il directement lié aux thèmes du disque ? De même, pourquoi avez-vous réenregistré le disque Immediate Eternity en plusieurs langues ?

C : Si vous lisez le livre Immediate Eternity, vous verrez qu’il y a des extraits de ce livre qui se retrouvent tels quels dans le disque Immediate Eternity. J’ai enregistré directement à partir du manuscrit la plupart du temps. Si mon génie spontané voulait me faire marcher, tout ce que j’avais à faire était d’aller chercher plus loin dans mon cerveau une autorité plus profonde, mettre par écrit ce qui venait et le sortir en étant entouré par quatre des meilleurs musiciens improvisateurs d’Amérique du Sud.

Nous avons d’abord enregistré en anglais. Puis le groupe a voulu un album en espagnol, alors j’ai enregistré mes textes en espagnol par-dessus la musique. Nous avons ensuite fait 25 concerts dans tout l’Équateur et nous avons trouvé un grand studio à Guayaquil, et j’ai eu l’idée après 25 concerts de réenregistrer l’album dans un meilleur studio digital. L’enregistrement original avait été fait dans un studio délabré sur une cassette VHS. Je savais juste comment faire le concert en espagnol parce que je ne l’avais jamais fait en anglais.

Après avoir enregistré pour la seconde fois en espagnol, j’ai trouvé quelqu’un qui m’a traduit les mots en allemand et en français. Et en trois jours – un jour par langue – en une seule prise, j’ai accouché d’Immediate Eternity II en anglais, en français, en allemand et en espagnol. J’avais étudié le français lors de mes études supérieures et à l’université, j’ai habité un temps à Paris et j’ai vendu des magazines à Québec. J’avais aussi étudié un peu l’Allemand à l’Université, j’avais voyagé en Allemagne et j’y avais écrit mon premier roman sur ce pays. J’ai également appris l’espagnol au Mexique et en parlant avec ma femme, Marcela, qui est Mexicaine. Le studio d’enregistrement me coûtait 17 dollars de l’heure. À quoi bon résister ? C’était du gâteau ! Je dois dire que j’ai un lien assez profond et respectueux pour toutes ces cultures.

L’improvisation et la spontanéité sont les bases de votre démarche musicale et poétique. Or, vos disques ont surtout été enregistrés « live » en studio, et non directement en concert, à l’exception de quelques pièces. Pourquoi ce choix ? Est-il vraiment possible de reproduire en studio, même dans les conditions du live, les « actes instantanés » du concert ?

C : Je me fiche de là où je suis. Je peux faire un poème tout seul dans une pièce ou faire un concert improvisé dans un stade, mais nous devons reconnaître que la première tournée en Europe n’était pas improvisée et impliquait plusieurs répétitions. Toutes mes tournées ont impliqué des répétitions, à l’exception de tous les concerts qui ont précédé la première tournée européenne. Nous avons en fait dû faire face à ce problème lors de cette tournée. Allions-nous improviser un concert différent dans chaque ville ? On a finalement pris la décision de « fixer » un concert ; mais à vrai dire je crois que la seconde tournée européenne a été plus spontanée.

Vos deux précédents albums, Disappearance et Cipher & Decipher, proviennent en fait d’une même session d’enregistrement qui a apparemment été très prolifique. Qu’est-ce qui vous a décidé à enregistrer à nouveau avec une grande formation ?

C : Enregistrer spontanément avec un grand ensemble est ma façon de travailler. Mais Disappearance et Cipher and Decipher contiennent chacun une part de morceaux qui sont improvisés tandis que l’autre part est constituée de thèmes écrits à l’avance.

Vous continuez de temps en temps à vous produire sur scène, strictement en solo, comme au dernier FIMAV de Victoriaville. Comptez-vous un jour rejouer sur scène avec des musiciens ?

C : Avec COPERNICUS, il n’y a pas de règles. Je fais ce que j’ai envie de faire et ce que je sens être la meilleure chose à faire. COPERNICUS n’a pas de carrière à assurer et ne devrait pas avoir à assurer une carrière.

Votre nouvel album, Worthless !, baigne dans un climat musical plus méditatif, mais apparemment le discours philosophique reflète une sorte de conflit (entre la non-existence, la vacuité, et l’inutilité), ce qui paraît paradoxal. Worthless ! est-il l’expression d’un doute ou d’une nouvelle conviction ?

C : Je n’ai pas de doute sur la vision que Rien n’existe. La question que vous soulevez est traitée dans le livret de Worthless ! ; je peux en citer un extrait : « Je pense que l’Inutilité du titre de cet album est seulement une tentative de COPERNICUS, avec son pied pris dans l’illusion, d’ajouter un autre aspect à la Vacuité, même s’il semble y avoir un conflit plus profond entre les termes. »

Le sentiment d’Inutilité est quelque chose de nouveau pour COPERNICUS, et c’est un sentiment plus qu’un fait scientifique intellectuel. Rien n’existe est un fait scientifique intellectuel. L’Inutilité est un sentiment qui dérive du fait scientifique intellectuel que Rien n’existe. L’un est un fait, l’autre est un sentiment. Il n’y a pas de doute là-dedans, bien que personne ne devrait être absolument sûr de quoi que ce soit.

Dans Worthless !, on découvre également une nouvelle vocaliste, Sari SCHORR, qui impressionne. Comment l’avez-vous rencontrée ?

C : Sari SCHORR m’était inconnue et a été invitée sur l’enregistrement par Pierce TURNER. Je l’ai rencontré pour la première fois au studio d’enregistrement. Je l’ai saluée et on a commencé à enregistrer. Son travail est complètement improvisé sur des morceaux dont elle ne savait pas qu’elle aurait à intervenir dessus. C’est un génie, et elle a considérablement contribué au succès de l’album Worthless !.

D’après vous, l’époque actuelle offre-t-elle plus ou moins de facilités aux penseurs et aux artistes pour s’exprimer qu’à vos débuts ? De même, pensez-vous que vos idées soient devenues plus accessibles aujourd’hui qu’hier ?

C : Aujourd’hui, comparé aux années 1960, les gens du monde occidental sont davantage sujets au lavage de cerveau et se conforment plus à ce qui est considéré comme la normalité. Ma génération s’est battue contre la structure organisationnelle sociale qui nous transformait en robots, mais pour le moment elle a gagné. La structure sociale a besoin de robots qui exécutent les ordres ; ainsi elle peut accroître sa domination du monde. Elle veut plus. Et encore plus. Et encore plus. Elle a des caméras partout, des forces de police immenses. Elle contrôle chacun de nos gestes, que ce soit sur le trottoir ou sur l’ordinateur. Elle vous protège des ennemis qu’elle a créés en essayant de leur voler leurs biens. Elle a MTV et contrôle toutes les communications publiques qui vous préservent de gens comme COPERNICUS.

Il n’y a aucune place pour la réalité selon laquelle toutes choses sont faites de l’atome et pour toutes les implications révolutionnaires du monde quantique. La structure sociale veut seulement des scientifiques qui travaillent avec l’atome et connaissent ses implications scientifiques pour son propre bénéfice. Elle n’est pas intéressée par ses implications philosophiques, parce qu’elles provoqueraient une révolution dans tous les aspects de la vie humaine sur la planète. Je crois que la structure organisationnelle sociale veut des scientifiques qui ont subi eux aussi un lavage de cerveau. Un scientifique n’est pas un philosophe.

La structure organisationnelle veut toujours plus. Et plus. Et encore plus. Et toujours plus. Si vous êtes sur sa voie, on vous tuera comme on a brûlé Giordano BRUNO à Rome au XVIe siècle pour avoir révélé la découverte de COPERNIC selon laquelle le soleil était le centre du système solaire. Si vous êtes sur leur voie et que vous avez un certain pouvoir, on vous tuera.

L’atome est quelque chose que l’on ne peut personnellement expérimenter autrement qu’intellectuellement, dans son esprit. Mais pour le moment, on doit savoir que l’atome est là qui tourne, niant votre existence. L’humanité a vécu toute son histoire depuis le premier jour sans savoir quoi que ce soit de ce qui était réel. Ses mythes ont emporté les hommes à travers dix millions d’années de lutte. Tout le XXe siècle s’est dévoué à la découverte du quantique. Nous savons maintenant que le monde quantique contrôle la réalité. Il est temps maintenant de mettre du quantique dans notre esprit et permettre à celui-ci, une fois qu’il a maîtrisé la compréhension du monde quantique, de nous mener là où il doit nous mener. Si nous ne faisons pas face au monde quantique, nous condamnons nos esprits à se faire dominer par des mythes vieux d’un bon milliers d’années.

Qu’est-ce qu’une jeune personne courageuse et très intelligente aurait à faire de la prise de conscience que Rien n’existe ? La plupart des gens veulent se marier et cherchent un bon boulot, c’est tout.

Article et entretien réalisés par Stéphane Fougère

Photos : Fernando Natalici et pochettes

Site : www.copernicusonline.net

(Article original publié dans
TRAVERSES n°33 – juin 2013)

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