CURVED AIR – Live Atmosphere
(Curved Air Records)
Inutile d’épiloguer sur le bien ou mal-fondé des reformations de groupes quadragénaires ; la pandémie est telle que tous les secteurs du rock ont été atteints, du plus « mainstream » au plus avant-gardiste, en passant bien entendu par le rock progressif. Et la tentation a touché autant les légendes que les combos obscurs ou négligés.
En la matière, CURVED AIR se pose un peu là. Ce groupe britannique formé en 1969 fait pourtant partie de ces pionniers de l’art-rock et du prog-rock qui ont innové sur plusieurs plans : il fut l’un des premiers groupes à inclure une chanteuse et compositrice (Sonja KRISTINA), à intégrer le violon (Darryl WAY) dans le genre ainsi que des synthés (Francis MONKMAN) et l’un des premiers à… publier un « picture disc » ! Son style ne pouvait naître qu’à cette époque où la scène rock s’autorisait expérimentation et improvisation tout azymut sans contrainte de formatage médiatique.
C’est ainsi que CURVED AIR a conçu des pièces plus ou moins élaborées, de durée courte ou moyenne, ouvertes aux variations et développements instrumentaux. Il a cependant résisté à la tentation de la pièce épique qui couvre une face de LP, ce qui explique qu’il est rarement cité parmi les groupes progressifs de première catégorie. En revanche, il a décroché un « hit » (Back Street Love), ce qui n’a pas dû manquer de paraître suspect aux fans de prog’, qui le considèrent davantage comme un « second couteau ».
À défaut d’avoir pondu le chef-d’œuvre grandiloquent que ces derniers attendaient, CURVED AIR a livré de beaux morceaux épicés d’effluves rock psychédélique, folk, classique, blues, électronique et jazz, bref relevant d’une mixture qui fleure bon l’esprit de l’époque. Il est de coutume de s’attacher aux trois (voire quatre) premiers albums de groupe, puisqu’ils contiennent tous les morceaux qui ont fait son histoire, ce que les diverses compilations et enregistrements live successifs n’ont pas manqué de rappeler.
Au fil des ans, rééditions, anthologies, archives et brèves réunions scéniques ont permis au groupe de se rappeler tant bien que mal au bon souvenir de ceux qui voulaient bien se rappeler, et les choses ont pris un tournant plus sérieux avec la reformation de 2009, comptant trois membres d’origine, Sonja KRISTINA, Darryl WAY et le batteur Florian PILKINGTON-MIKSA, et de nouveaux musiciens (le guitariste Kit MORGAN, le claviériste Robert NORTON et le bassiste Chris HARRIS). Darryl WAY ayant été remplacé depuis par Paul SAX (qui n’en joue pas !), la proportion de membres d’origine est donc minoritaire ; et ce Live Atmosphere a la lourde tâche de nous prouver que ce CURVED AIR « new look » n’a rien à envier aux formations précédentes.
Mettons les choses au clair : il n’y a rien à attendre de neuf – et encore moins de novateur – de la part d’un groupe comme CURVED AIR en 2013. On peut juste lui demander de faire honneur à son passé et à sa légende, et éventuellement de la peaufiner un peu. Cela, Sonja KRISTINA et ses « boys » l’ont bien compris et ont donc mis les petits plats dans les grands pour s’afficher sur scène avec une dignité toute vétérane.
Rôdé par trois ans de concerts dans plusieurs pays d’Europe, au Japon et jusqu’à Malte, le nouveau CURVED AIR maîtrise grandement son sujet. C’est la moindre des choses me direz-vous, mais l’exercice n’a pas été réussi par tout le monde… Il offre dans ce Live Atmosphere, conçu à partir des concerts de la tournée 2010-2011, une relecture de son répertoire en mode à la fois virtuose et contrôlé, ne cherchant pas à singer ni à dépasser les excès instrumentaux d’antan, mais tâchant de préserver le « feeling » d’origine.
Ce n’est pas à un « relookage » tendance que nous avons affaire (comme le proposait le Live 1990), mais plutôt à un revernissage qui touche à la fois le contenu musical (avec une panoplie instrumentale identique aux débuts du groupe) et son enrobage, un soin tout particulier ayant été apporté à la prise de son, au mixage, bref à la production. De fait, les versions présentées ici sont globalement plus affinées que celles couchées sur les disques d’époque, marqués par un mixage « gros sabots ».
Les nouveaux musiciens ont manifestement assimilé le savoir-faire de leur aînés ; quant à Sonja KRISTINA, elle se débrouille pour faire oublier qu’elle ne peut plus autant verser dans les aigus, comme beaucoup d’autres chanteurs et chanteuses de sa génération, et qu’elle mise donc sur la modulation. Si sa voix n’a plus ce filet de grâce faussement innocente qu’elle affichait sur disque, elle a gagné en « raucité » contrôlée, se rapprochant parfois des timbres qu’elle avait sur le Live de 1975, les outrances « janisjopliniennes » en moins…
Sans surprise, le répertoire reste focalisé sur les trois premiers albums, avec une majorité de pièces issues d’Air Conditioning. On notera toutefois l’inclusion des plus rares Hide and Seek, Screw et la première gravure live de Easy (tiré du 4e album, Air Cut) et de Phantasmagoria (de l’album éponyme). Et si on n’échappe pas aux classiques Marie-Antoinette, Back Street Love, Melinda, Everdance et It Happened Today, on remarquera l’absence – étonnante ! – de Vivaldi et de Young Mother (Et on n’osait même pas penser à une revisite du plantureux Piece of Mind du Second Album !). Mais même sans rameuter toute l’artillerie lourde de son répertoire, CURVED AIR se montre ici sous un jour plutôt satisfaisant et convainc dans son ambition de revitaliser son héritage.
Le DVD qui accompagne ce disque a surtout l’allure d’un bonus promotionnel, livrant des instantanés de la tournée (on y entend quelques secondes de Metamorphosis et de Vivaldi, histoire de rassurer !) entrecoupés de bouts d’interviews. On y trouve aussi la captation visuelle intégrale d’un morceau qui ne figure pas sur le CD, l’instrumental Armin (à l’origine sur Air Cut).
Si donc une brise nostalgique vous pousse à prendre des nouvelles de l’un des pionniers du rock progressif, sachez que Live Atmosphere montre un CURVED AIR décidé à marcher la tête aussi haute que possible en dépit de son grand âge. Et vu le soin apporté à l’objet, on le soupçonne de ne pas vouloir s’arrêter en chemin…
Stéphane Fougère
Site : www.curvedair.com
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°33, juin 2013)