Damo SUZUKI ne connaîtra plus de « jours futurs »

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Damo SUZUKI ne connaîtra plus de « jours futurs »

Le chanteur japonais Damo SUZUKI est mort le 9 février 2024 à l’âge de 74 ans. Il était surtout connu pour avoir été le chanteur du groupe allemand CAN de 1970 à 1973, autrement dit ce qu’il est convenu d’appeler son âge d’or. Mais sa carrière artistique est loin de s’arrêter là, comme en témoigne sa prolifique carrière et sa discographie soliste depuis les années 1980.

Né en 1950 sous le nom Kenji SUZUKI dans la préfecture de Kanagawa (sud de Tokyo), Damo SUZUKI quitte son Japon natal pour se rendre en Europe dans les années 1960, vivant dans des communautés hippies. C’est en 1970 à Munich, alors qu’il chante dans la rue, qu’il rencontre Jaki Liebezeit et Holger Czukay, deux musiciens d’un groupe formé deux ans auparavant, CAN, que le chanteur Malcom Mooney venait juste de quitter. Czukay et Liebezeit ont demandé à Damo SUZUKI de prendre sa place pour un concert le soir même de leur rencontre, avec pour seule instruction de venir sur scène et de faire quelque chose…

Sa performance, dûment improvisée, a convaincu les membres de CAN de l’embaucher comme chanteur, et c’est ainsi que Damo SUZUKI fut le « frontman » de CAN pour les trois ans à venir, durant lesquels CAN a enregistré ses albums demeurés les plus mythiques et appréciés, à savoir Tago Mago, Ege Bamyasi et Future Days. Toutefois, la voix rêveuse et nonchalante de Damo SUZUKI se fait entendre pour la première fois dans l’album Soundtracks, dans lequel on trouve le premier morceau enregistré par Damo avec CAN, « Don’t Turn The Light on », Leave me Alone, pour la bande orinale du film Cream – Schwabing Report de Leon Capetanos. Le chanteur japonais se fait également entendre sur d’autres morceaux, Dealock et Tango Whiskyman, du film Deadlock  de Roland Klick, et Mother Sky du film Deep End de Jerzy Skolimowski.

C’est peu dire que Damo SUZUKI a laissé sa singulière empreinte dans la musique psychédélique et expérimentale du groupe allemand avec son style de chant improvisé qui mêle mots allemands, mots japonais et mots de langues imaginaires inventées au gré des improvisations. Aux trois disques référentiels cités plus haut sont venus s’ajouter des parutions d’archives inédites et des captations de concerts (Unlimited Edition, The Peel Sessions, Can Box, The Lost Tapes…) qui témoignent non seulement de la créativité débridée déployée par le groupe durant la première moitié des années 1970, mais aussi de la présence scénique de Damo SUZUKI et de sa propension et de son talent à verser dans la composition « instantanée ».

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Il fera de cette création spontanée son cheval de bataille dans son parcours artistique soliste ultérieur, qu’il a débuté après un hiatus d’une dizaine d’années. Après avoir quitté CAN, Damo SUZUKI a en effet complètement renoncé à s’investir dans la musique en 1974, année où il a décidé de suivre sa femme dans la secte des Témoins de Jehovah. Il ne reviendra à la musique qu’une décennie plus tard.

On le retrouve alors dans DUNKELZIFFER, groupe à la croisée du krautrock et de la new-wave expérimentale, avec lequel il enregistre les album In the Night et III (plus un Live de 1985 publié en 1997).

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Mais surtout, c’est à cette époque que le chanteur-improvisateur lance son Damo SUZUKI’s NETWORK, un projet de musique live avec lequel il voyage à travers le monde, s’épanouissant dans des performances scéniques totalement improvisées avec ceux qu’il appelle des « Sound Carriers », soit de jeunes musiciens peu connus issus de diverses scènes locales de musiques psychédéliques et marginales, avec lesquels il forme un réseau (« network ») de collaborations variées.

Parmi les musiciens qui forment ce réseau, on retrouve notamment Jaki Liebezeit et Michael Karoli de CAN, mais aussi Mani Neumeier de Guru Guru, Steve Dinsdale, Mark Jenkins, mais aussi des formations comme Cul-de-Sac, Do Make Say Think, Acid Mothers Temple, Omar Rodriguez-Lopez Quintet, The Whole, Radio Massacre International, Mugstar, Jelly Planet, The Dream Machine All-Stars, Aquaserge, The Elysian Quartet, Yeti Lane, Metal Network, Black Midi, et bien d’autres… Plusieurs disques témoignent de certaines de ces performances.

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Damo SUZUKI avait été dès 1983 diagnostiqué d’un cancer. Plus tard, ses chances de survie avaient été estimées à 10 % quand il fut de nouveau diagnostiqué d’un cancer du colon en 2014. Dans un documentaire qui lui est consacré, Energy: A Film About Damo Suzuki, réalisé par Michelle Heighway et paru en 2022, le chanteur, qui a dû subir une quarantaine d’interventions chirurgicales en trois ans, affirme que c’est sa foi qui l’a sauvé, que la musique était son moyen de guérison qui l’a poussé à entreprendre une tournée mondiale infinie durant ces années, s’évertuant à cultiver des pensées positives afin de rester « dans le moment présent ». L’improvisation était pour Damo SUZUKI l’unique moyen d’éviter la stagnation et la répétition, ce qui l’a rendu peu enclin à se retourner sur son passé, notamment avec CAN, préférant garder une totale liberté d’être et d’agir.

Outre dans le documentaire Energy, Damo SUZUKI s’est également raconté dans un ouvrage autobiographique publié en 2019 et sobrement intitulé I am Damo Suzuki, dans lequel il évoque sa vie au Japon, ses années hippies, ses années avec CAN, sa carrière soliste ainsi que sa vision de la musique.

Singulièrement, Damo SUZUKI nous a quittés quelques jours avant la sortie, prévue le 23 février prochain, d’un double album retraçant un concert du groupe CAN à Paris en 1973, quelques mois après la sortie du disque Ege Bamyasi. Damo SUZUKI était alors encore membre du groupe, c’est l’une de ses dernières apparitions scéniques avec CAN (il avait déjà quitté le groupe quand ce dernier est revenu à Paris, à l’Olympia, en novembre). Live in Paris 1973 sera le quatrième album à paraître dans la collection Can’s Live, et sortira chez Mute Records en vinyle, en CD et en digital.

En avril 2023 sortira également un enregistrement live inédit de Damo SUZUKI avec le groupe viennois Half Baked Cheese, augmenté des « sound carriers » Lorenz Kainz et Matthias Kampf. Captée en 2019, cette performance complètement improvisée (comme il se doit…) sortira en vinyle 12’’ Inches chez Klangschutz Schallplatten.

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Voilà donc deux occasions discographiques de redécouvrir Damo SUZUKI dans son élément de prédilection, la scène. Salut, l’artiste, et merci pour tous tes « instants vécus ».

Stéphane Fougère

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