DLÙ – Moch
(ARC Music)
Moch… Prononcé à la française, pareil titre de disque se prête facilement aux lazzi ricanantes et ne facilite pas le travail de promotion sur le sol hexagonal. Si au moins la musique qu’il contient prêtait le flanc à un jugement qui se réduirait à un mauvais jeu de mot, mais ce n’est même pas le cas ! En tout cas, ça ne l’est pas si vous êtes amateur de folk-rock celtique et que vous cherchez la petite perle de l’année, car vous risquez fort de la trouver avec ce CD ! De quoi parle-t-on au juste ? Du premier album d’un tout jeune groupe écossais au nom certes très étroit mais facile à retenir, DLÙ (prononcez « Dlou »), qui n’a rien à voir non plus avec une quelconque « Date Limite (d’)Utilisation ». Ce nom est dérivé du terme gaélique « Dluth », qui peut approximativement se traduire par « Proximité ».
Et proches sont en effet les membres du groupe puisqu’ils se connaissent depuis l’école, en l’occurrence la première école gaélique d’Écosse, la « Sgoil Ghàidhlig Ghlaschu » où ils se sont rencontrés et ont suivi les cours du très réputé département de musique. Pleinement immergés dans la culture gaélique, tant au niveau linguistique que musical, Moilidh NicGRIOGAIR (violon, voix), Zach RONAN (accordéon), Aidan SPIERS (guitare électrique) et Andrew GROSSART (batterie) ont donc formé le groupe DLÙ à la fois pour faire valoir leur identité culturelle et pour présenter leur tradition musicale dans une approche évolutive ouverte aux sons d’aujourd’hui.
Bientôt rejoints par Jack DORIAN (guitare basse), nos « Gaëls de Glasgow » se sont mis à écrire des morceaux dans une veine purement instrumentale où leurs racines celtiques se mêlent à des influences modernes, violon et accordéon imprimant leur marque folk acoustique tandis que la guitare, la basse et la batterie les propulsent dans une modernité « trad’ » revigorante et électrisante. C’est donc indubitablement une fusion folk-rock qui se donne à écouter dans leur premier album, Moch, qui au passage signifie « aube », « commencement », ce qui correspond tout à fait à ce dont il est question pour ce jeune groupe attaché à ses racines.
L’aventure DLÙ commence donc avec Moch, et ce sous les meilleurs auspices, tant le quartet fait montre d’un belle maîtrise de son sujet. Leurs pièces sont évidemment inspirées par des thèmes de danses écossaises et se présentent sous la forme de « sets » enchaînant deux ou trois thèmes, par exemple une polka, une jig et un reel dans Am Politician, ou un slow reel, un reel et une jig dans Bàgh Dugh. DLÙ travaille ses « sets » comme s’il s’agissait de compositions à tiroirs, alternant sections calmes, mélancoliques et méditatives avec des sections plus relevées et roboratives sur des rythmes vifs et rapides, nourris de riffs rock et de pulsations funk. Le mélange instrumental acoustique/électrique, l’enchaînement de thèmes et les changements ou cassures de rythmes confèrent aux compositions de DLÙ une allure quasi-épique typique d’un folk-rock progressif que l’on ne croyait plus pouvoir entendre de nos jours.
Le morceau éponyme à l’album, placé en introduction de ce dernier, en est un exemple aussi probant que joliment inspiré, démarrant avec un thème joué au violon (An Lochlannach) qui sert d’introduction envoûtante, ponctué par des notes de basse enrobantes, avant que la batterie ne débarque sans crier gare avec un rythmique galopante qui invite à se lever, tandis que le violon poursuit sa complainte. Un nouvel arrêt brutal, l’accordéon s’éveille sur les élongations du violon, puis la batterie scande un rythme binaire très groove, et c’est là qu’apparaît le second thème, Off the Cut, joué par l’accordéon, bientôt rejoint par le violon, la guitare égrenant des effets funky en diable. La sauce vous prend, vous emporte dans la danse avec une efficacité redoutable, tout en vous faisant voir du pays.
Blue Reef est aussi un modèle du genre, démarrant avec un riff de guitare résolument funk sur lequel s’esbaudit l’accordéon, puis un premier « break » où le violon dessine une mélodie dolente, le tempo s’accélère de nouveau, violon et accordéon conjuguent leurs effets pour créer l’hypnose, puis retour au thème sur un rythme dansant, et débouchant finalement sur une cassure plus atmosphérique avec une basse toute en rondeurs et un son de guitare très planant, tendance « shoegaze », avant que le violon ne remise une mélodie imbibée d’émotion. Et c’est sur une boucle de basse que s’achève cette excursion océanique.
Il arrive aussi que DLÙ enchaîne deux compositions : c’est ainsi que Taobh na Mara, avec son thème de violon plaintif, souligné à l’accordéon, sert d’introduction nostalgique à Kate’s Jig, une pièce plus sautillante qui exploite la même mélodie, mais arrangée différemment et offrant de nouveaux développements.
DLÙ décline ainsi sa fusion folk progressive le long d’une dizaine de pièces instrumentales aux multiples rebondissements, labyrinthiques sans être absconses, entraînantes et sophistiquées, savamment arrangées et bourrées d’énergie juvénile, avec en toile de fond cette culture gaélique omniprésente, avec ses paysages de lacs et de montagnes, ses pubs perdus dans une île perdue, ses flots de vagues déversés sur les rives…
Son enracinement dans la culture gaélique, DLÙ a tenu à le signifier en incluant deux pièces dans lesquelles se fait entendre du chant gaélique. Ce dernier est en l’occurrence tenu par un autre copain d’école, le chanteur Joseph McCLUSKEY, qui nous gratifie d’une performance époustouflante de virtuosité dans Ràcan, où son débit vocal s’inspire du « Puirt à beul », une forme de chant traditionnel écossais dans lequel les mots sont utilisés pour imiter des instruments : d’abord très posé dans un premier temps, son débit vocal se fait plus haché, limite rap mais en plus mélodieux quand la rythmique s’accélère dangereusement et le pousse à des extrémités grisantes.
Sur l’autre morceau chanté qui clôture le disque (Bràighe Loch Iall), Joseph McCLUSKEY duettise superbement au chant avec la violoniste Moilidh NicGRIOGAIR, qui délivre un timbre vocal envoûtant aux relents traditionnels, et le reste du groupe les soutient même aux chœurs le temps de cette ballade très émouvante qui file quelques frissons, agrémentée d’un pont instrumental où Aidan SPIERS tire de sa guitare électrique des notes déchirantes, avant que le couple vocal n’entame sa dernière complainte, et que les chœurs ne referment la marche, laissant l’auditeur ébahi.
Pour un commencement, Moch s’avère d’une belle et fort inspirée consistance artistique que tout gourmand de folk écossais évolutif se doit de goûter. DLÙ mérite indubitablement le coup d’oreille ; et on espère les voir programmés bientôt sur les meilleures scènes des festivals de musiques celtiques.
Stéphane Fougère
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