DuOuD – Wild Serenade
(Label Bleu)
Le oud fait partie de ces instruments qui incarnent le plus les valeurs universelles de la world-music : emblème de la musique arabe, on le trouve dans les traditions d’Afrique du Nord comme celles de Turquie, d’Iran, de Syrie, jusqu’en Asie caucasienne, et même au-delà, et il a trouvé sa place tant dans les musiques classiques et savantes (Munir BASHIR, Adel SALAMEH, Samir & Wissam JOUBRAN…) que dans les musiques populaires.
C’est en tout cas aujourd’hui l’instrument de prédilection de plusieurs artistes métisseurs affranchis des règles stylistiques, d’Anouar BRAHEIM à Thierry ROBIN, de Rabih ABOUH-KALIL à Dhaffer YOUSSEF, qui ont fait se frotter l’ancêtre du luth à des dialectes musicaux plus modernes ou urbains, comme le jazz, l’électronique ou d’autres musiques du monde. On pourrait penser que la concurrence est donc rude et l’horizon passablement bouché pour quiconque souhaiterait encore débroussailler de nouveaux chemins avec le oud. C’est pourtant ce qu’a fait DuOuD qui, comme son nom l’indique sans ambages, est un duo de joueurs de oud.
L’Algérien Mehdi HADDAB n’est pas un inconnu de la scène world puisqu’il fut l’un des piliers du groupe EKOVA. Il a su développer un style qui lui est propre, maniant avec un égal brio le oud acoustique et le oud électrifié (qu’on écoute ses soli incendiaires dans Racailles, Berlin Paris…). D’origine tunisienne, Jean-Pierre SMADJA (alias SMADJ) combine à la fois une carrière de musicien (deux disques solo sur le label MELT 2000), passionné de jazz, d’électro, de dance et de fusions en tous genres, et également une profession d’ingénieur du son.
C’est dire si l’un peut aisément compléter l’autre, et leur rencontre s’est très naturellement inscrite dans une approche de l’instrument respectueuse de ses origines mais aussi ouverte sur les sons actuels, avec toute l’insolente malice que cela sous-entend.
Avec Wild Serenade, qui mêle thèmes traditionnels et compositions originales, HADDAB et SMADJ affichent une inspiration polymorphe qui parvient de bout en bout à respecter l’équilibre entre pulsations, nappes, effets électroniques et résonances acoustiques. Les deux musiciens ne se sont du reste pas cantonnés dans la formule du duo puisque d’autres musiciens ont été conviés à mélanger leurs couleurs aux épices des ouds. À commencer par le violoniste Nedim NALBANTOGLU, à qui SMADJ a fait don d’une pièce qui ratifie les noces étincelantes du oud et du violon (For Nedim) sur fond de programmations rythmiques et des percussions jouées par Thomas OSTROWIESCKI.
Ailleurs, c’est la guitare électrique de Pierre FRUCHARD qui rivalise d’impressions goûteuses avec le oud (Le Retour d’Ulysse, Racine d’Enneade). Deux musiciens de BUMCELLO, le violoncelliste Vincent SEGAL et le batteur Cyril ATEF, contribuent aussi, avec NALBANTOGLU, au dévergondage d’un tube disco de Giorgio MORODER (Chase, tiré de la BO de Midnight Express) qui devrait assurer à DuOuD l’intérêt des night-clubbers, des médias et d’un large public aux oreilles ouvertes en général.
Puisqu’il faut en passer par là, autant se la jouer ludique ! Mais bien d’autres surprises dans Wild Serenade devraient régaler un public plus exigeant mais non effarouché par les unions libres. Rien de tel qu’une « sérénade sauvage » pour abolir encore davantage les frontières !
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°14 – mars 2004)