ÉTAGE 34 + TENKO
(33 REVPERMI)
À l’instar de HACO, la chanteuse TENKO compte parmi les personnalités les plus étranges de la scène « japanoise ». Après s’être rendue célèbre dans son pays natal avec le groupe féminin MIZUTAMA SHOBODAN et le duo d’improvisations vocales THE HONEYMOON, elle s’est produite en solo dans le milieu underground new-yorkais des années 1980 puis a travaillé au sein du groupe de David MOSS puis en duo avec Fred FRITH, ou encore avec René LUSSIER, Joane HETU, Zeena PARKINS, etc.
La publication sur le label suisse RecRec de ses albums Slope (coproduit par FRITH) et At The Top of Mt. Brocken lui a permis de se faire remarquer auprès du public européen amateur de musiques buissonnières. Enfin, son duo avec Ikue MORI et son groupe DRAGON BLUE, dans lequel elle est entourée de pointures comme Yoshida TATSUYA, Kato HIDEKI, Imahari TSUNEO et Otomo YOSHIHIDE l’ont définitivement imposée comme prêtresse des musiques hors normes, aux confins des musiques folkloriques déviantes et du free-rock-impro décomplexé.
On la retrouve aujourd’hui en France, battant campagne avec les trois musiciens libertaires-incendiaires d’ÉTAGE 34 (Olivier PAQUOTTE, Daniel KOSKOWITZ et Dominique RÉPÉCAUD), qu’elle a rencontrés à l’occasion de l’édition 2003 du festival Densités de Fresnes-en-Wöevre. De par le parcours de l’une et des uns, cette collaboration apparaît somme toute rien moins que fatale.
Générateur intarissable de déluges abrasifs à coups de batterie-tronçonneuse, de basse-pilon et de guitare pyromane, ÉTAGE 34 a déjà sculpté de beaux happenings en formes de poèmes saignants avec des voix aussi imposantes que Beňat ACHIARY ou Serge PEY. Celle de TENKO ne pouvait que convenir également.
Enregistré dans le fief usuel de Vandœuvre-lès-Nancy (au Centre culturel André-Malraux), ce disque pourrait passer pour le cousin occidental du disque live non dégrossi que TENKO avait enregistré dans les années 1990 avec DRAGON BLUE.
Sauf qu’ÉTAGE 34 a suffisamment de trempe et de bouteille pour éviter de perdre son temps à faire du remake de free-rock à la japonaise. Il a sa propre approche de ce langage, et il le prouve aisément ici encore, ne cédant rien de sa science du fracas sonique. Idem pour TENKO, dont les effets vocaux sont immédiatement reconnaissables. Bref, chacun reste à 100 % lui-même. C’est à la fois ce qui rend ce CD à la fois opérant et prévisible.
Passé le premier morceau archétypal qui donne l’impression d’arriver en plein milieu d’une déflagration cathartique, ÉTAGE 34 et TENKO explorent ensuite divers espaces de tensions contenues mais bouillonnantes, acérées et exorbitées, confinant à certains endroits à un calme effroyable et malsain.
Il ne faut pas y voir un signe d’apaisement ou de paresse mais de régénération spleenétique et fielleuse qui permet aux musiciens et à la chanteuse de propulser de nouveaux assauts sanguins hors de leurs canaux dans l’avant-dernière ligne droite de l’album, peu avant de se rétracter de nouveau dans une forme de répit évidemment suspecte, comme des cendres qui ne voudraient pas finir de rougir.
Au regard de leur parcours respectifs, il n’y a pas de grand renouvellement à attendre de la part des acteurs en place, mais nous avons confirmation que leur rencontre procède d’une assise indéfectible dans le genre pratiqué. La fébrilité pulsionnelle reste maîtresse du jeu et provoque sur l’auditeur un effet décapant toujours bénéfique.
Stéphane Fougère
Label : http://33revpermi.free.fr
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°17 – avril 2005)