ÉTRON FOU LELOUBLAN
Histoire d’une insurrection scatologique
Figure hirsute d’un certain rock hexagonal marginal et digne pionnier du mouvement européen Rock in Opposition à la fin des années 1970, ÉTRON FOU LELOUBLAN est paradoxalement moins connu en France par les amateurs du genre que dans d’autres parties du monde. Pourtant, on ne saurait faire valoir sur ce coup-ci la différence culturelle ! Là où il est de bon ton de concilier avant-gardisme avec noirceur, ÉTRON FOU LELOUBLAN (E.F.L.) a marié complexité et dérision et réconcilié l’expérimental avec le populaire. Un vrai crime de lèse-culture !
L’authenticité au détriment de l’esthétisme
Il paraît que le nom DADA, qui a donné naissance au mouvement (anti-)littéraire et artistique du même nom en 1916, a été trouvé en ouvrant au hasard une page de dictionnaire. Les paris sont ouverts pour savoir où et comment a été trouvé le nom ÉTRON FOU… LELOUBLAN est arrivé plus tard, dans des conditions tout aussi indéfinissables. Le rapport entre DADA et ÉTRON FOU, que plus de cinquante années séparent ? Assurément une propension prononcée pour la déstructuration, le renversement, la subversion du langage, poétique ou musical. Ridiculiser une certaine idée de l’art devient, dans l’Ardèche des années 1970 naissantes, ridiculiser une certaine idée de la musique.
« Nous choisissons l’authenticité au détriment de l’esthétisme. L’authenticité est une somme d’informations réellement vécues par l’individu. C’est notre explication de la beauté. L’esthétisme est une somme de règles (jugements) arbitraires obéissant à des intérêts de partis ou de classes (la tradition, les marginaux, les catholiques, les abeilles, les ouvre-boîtes). C’est notre explication de la répression. » (1)
DADA fustigeait l’art en vogue, l’art pour l’art. ÉTRON FOU LELOUBLAN lui fait écho au sujet de la musique en déclarant : « (…) nous préférons un groupe de jeunes travailleurs urbains qui jouent mal du ROLLING STONES avec conviction qu’un orchestre de spécialistes qui fait de la Pop symphonique (tout en mineur) ou du jazz-rock chronométré, ou du free-jazz de salon, ou du folk puritain et figé. Et pourtant nous sommes captivés par certains représentants de chacun de ces genres. Le punk nous fait souvent bailler. » (2) Pan dans les dents des « faiseurs » ! Et une entorse de plus pour les étiqueteurs : où ranger l’ÉTRON ?
Pas question non plus de vivre de la musique ou exclusivement par la musique : « La musique n’est pas le sommet de notre existence. Ne vivre que de ça dans une société normalisée aboutirait obligatoirement, à plus ou moins longue échéance, à produire une musique normalisée. » Par voie de conséquence : « La manière d’exister (mode de vie, attitudes, objets environnants, instruments) détermine la musique (on va voir les ROLLING STONES, Michel SARDOU, Von KARAJAN, Jacques CHIRAC). » (3)
Concilier l’expression artistique et le vécu se traduit dans ces mêmes années par le communautarisme en espaces verts non repassés. Ceux de l’Ardèche suffiront à ÉTRON FOU LELOUBLAN. L’auto-gestion sera aussi à l’ordre du jour, avec l’association Dupon et ses fantômes. Comme ça, pas de compte à rendre à qui que ce soit, et rien à cirer du musicbusiness !
Et puis il y a simplement ce « goût » en commun chez l’ÉTRON et chez DADA : « ÉTRON FOU, une soupe qui sent bon » pouvait-on lire sur la Break rouge du groupe. Tandis qu’en 1916, Tristan TZARA déclarait : « DADA (…), c’est tout de même de la merde, mais nous voulons dorénavant chier en couleurs diverses… » (4) Enfin, de TZARA également : « Nous sommes directeurs de cirque et sifflons parmi les vents de foire… » (5) Et le premier disque d’ÉTRON FOU a été baptisé Batelages.
Difficile après cela de vouloir circonvenir la musique de l’ÉTRON dans des grilles de références, de styles. Mais on peut relever cependant des accointances, des croisements avec des attitudes, des langages qui portent la marque de la fronde dadaïste, notamment la pop pataphysique de SOFT MACHINE, la rugosité débraillée de CAPTAIN BEEFHEART, la poésie foutraque d’Albert MARCŒUR, le situationnisme de BARRICADE, l’iconoclastie stylée de Frank ZAPPA, les labyrinthes soniques de HENRY COW, le théâtre fantasque de SAMLA MAMMAS MANNA… Chez ÉTRON FOU LELOUBLAN, la chanson côtoie le free, la comédie populaire tape sur l’épaule de l’avantgarde, et… « Les silences entre les notes peuvent durer plusieurs heures. » (6)
Bateleurs in situ
C’est officiellement en 1973 que l’ÉTRON sort de son trou, grenoblois en l’espèce. Les deux protagonistes, Chris CHANET, un comédien qui souffle, et Guigou CHENEVIER, un lycéen qui tape, s’étaient auparavant connus dans ce qui peut être considéré comme une première mouture de l’ÉTRON qui naquit en 1971 et qui comptait alors l’organiste Jean-Baptiste MOULU et le bassiste MOREY. Suite à la défécation… pardon, à la défection de ces deux derniers, Chris et Guigou errent dans les centres cul(turels) en quête d’un pianiste. Ils trouvent alors Ferdinand RICHARD, bassiste, que Chris avait naguère connu dans un groupe de free-jazz (la seule musique qui comptait à l’époque…). Tripartite, l’ÉTRON FOU part à l’assaut du « chaud-bise » et trouve une première date de scène. C’était le 27 décembre 1973 au Théâtre municipal de Grenoble. Devant un parterre d’affidés kobaïens venus adorer MAGMA, la triade étronique esbaudit son situationnisme scatologique avec peu de rigueur mais beaucoup de vigueur.
Guigou CHENEVIER : « Je me souviens qu’à l’époque je faisais déjà un solo de batterie (Sololobrigida enregistré en 1976 sur Batelages). Nous devions jouer deux fois. Entre les deux concerts, Giorgio GOMELSKI (qui s’occupait alors de MAGMA) vint me trouver pour me demander sur un ton condescendant si j’allais rejouer mon solo le soir. Je lui affirmais que oui ! Bien sûr ! » (7)
Le « squelettisme » instrumental d’ÉTRON FOU LELOUBLAN intrigue, ses syncopes mélodiques également. Il n’y a pas d’instrument harmonique. La basse de Ferdinand RICHARD est accordée avec le saxophone alto de Chris CHANET et est jouée en accords, livrant un son très aigu. C’est en fait la grosse caisse de Guigou qui sert de basse. Avec sa batterie, il cherche à créer des harmonies. Chris, lui, travaille l’aspect rythmique du sax et, bien sûr, théâtralise par le biais de son alter ego, Eulalie RUYNAT. Faut-il préciser que les textes cultivent un surréalisme azymuté ? Pas question de céder à l’étiquetage esthétique et tant qu’à faire autant fuir l’urbanisme et s’auto-manager.
1974, 1975, 1976… les festivals sont alignés et, entre deux, la vie communautaire ardéchoise ardemment éprouvée, position politique oblige. Défrichage, arrachage, bêchage, plantage, veaux, vaches, lapins, poules, chèvres, cochons et LELOUBLAN, enfin admis, sont ponctués de concerts, de rencontres… Avec le groupe chartrois CAMIZOLE, avec lequel ÉTRON FOU se sent plein d’affinités, c’est la constitution du collectif « Dupon et ses fantômes », qui réunit également MOZAIK, GRAND GOUIA, NOUVEL ASILE CULTUREL, HERBE ROUGE, et AU FOND DU COULOIR A GAUCHE, soit autant d’agitateurs pittoresques de l’ »en bas » français, comme on dirait maintenant. Avec les Anglais de HENRY COW, rencontrés à Grenoble et à Paris, c’est des projets d’expatriation scénique. En attendant, c’est la Fête de l’Huma en septembre 1976, devant 5 000 spectateurs… Mais il faut songer à enregistrer un disque illico, puisque Chris/Eulalie a des velléités de départ. Batelages est enregistré sur trois semaines durant le mois de novembre 1976.
Batelages
Ce premier opus d’ÉTRON FOU LELOUBLAN sortira sur un tout jeune label, Gratte-Ciel, créé par Jean-Marc BAILLEUX, connu alors comme l’une des meilleures plumes de Rock n’Folk. (Ce label signera entre autres TREPONEM PAL et FORGAS.) Sur la pochette du disque figure un vélo couvert de bandelettes. Le matou juché sur la selle n’était pas prévu mais il a bien fait de venir, surtout en blanc.
On démarre instantanément avec le plat de résistance, une histoire échevelée du nom de l’Amulette et le Petit Rabbin. Ça commence comme une flânerie champêtre aux cordes parfaitement trompeuse (on se croirait chez Anthony PHILLIPS !) ; puis roulements de tambour et déclamation égorgée pour ameuter les fous du cirque. Hachures rythmiques, syncopes vocales et outrances théâtrales irrévérencieuses plantent le décor. Basse et saxo aiguisent leur chorus. S’ensuivent ainsi plusieurs saynètes potaches et séquences instrumentales obsédantes.
L’Amulette et le Petit Rabbin mettent ainsi en valeur le maniérisme outré d’Eulalie RUYNAT (alias Chris CHANET), qui trouve avec cette pièce l’opportunité de combiner ses deux centres d’intérêt : la musique et le théâtre. On se doute que la pièce doit être autrement pertinente à suivre sur scène que sur disque. Cela dit, c’est finalement un morceau très prog’, au sens classique du terme vu qu’il est constitué de différentes parties et qu’il raconte une histoire. Cependant, vu que les vocaux sont de plus en plus noyés dans un mixage approximatif, on souhaite bon courage à ceux qui auront cherché à suivre le fil narratif ! Bah ! en France, tout finit par des chansons, qu’importe si on les comprend ou non…
Sololobrigida, c’est Guigou, avec sa batterie, ses casseroles, ses ustensiles, ses bouteilles. Un pur moment de puérilité improvisatrice ? Que nenni, tout cela est rigoureusement écrit et structuré et prend même des accents très mélodiques. Guigou détourne le rôle de la batterie avec une jubilation délectable.
Yvett’ Blouse ? C’est déjà passé (22 secondes). De toute façon, on était arrivés en fin de face. Quel curieux son de basse sur Madame Richard / Larika : Jannick TOP serait-il le double de Ferdinand RICHARD ou le contraire ? Le saxophone suinte, pleurniche et se trémousse sur des rythmes alambiqués. Et c’est la seconde pièce épique : Histoire de Graine. Pour les vocaux, c’est Ferdinand qui s’y colle. Mais cette fois, ça n’est pas drôle, ça ne veut pas l’être, et le ton est résolument lugubre. Ça grince, ça vibre, et ça chute libre. Le spectacle est terminé, m’ssieursdames !
En esprit de perdégagner
Chris/Eulalie remballe, on l’attend chez CAMIZOLE, URBAN SAX et dans la compagnie du spectacle de rue Le Pot aux Roses). C’est un membre de GRAND GOUIA, Francis « Pichenette » GRAND, qui remplace Chris CHANET. Ferdinand et Guigou ne cherchaient pas spécialement un nouveau saxophoniste. Ça tombe bien, Francis en est un ! C’est reparti donc pour le trio qui écume alors encore plus les routes du Sud-Ouest de la France et dérape même jusqu’en Espagne.
Puis, la collaboration avec HENRY COW se concrétise : le groupe anglais invite l’ÉTRON à tourner avec lui en Italie à la fin de l’été 1977. 3000 têtes assistent au concert de Rome… Sûr que les Italiens ont dû apprécier la batterie de Guigou ! « De 75 à 79, raconte ce dernier, ma batterie était spéciale : une Asba métallique entièrement peinte en vert, avec une ombrelle bleu-blanc-rouge au-dessus, un tapis d’herbe verte en dessous, un set de boîtes de conserves accordées sur le côté et une reproduction de la Vénus de Botticelli sur la grosse-caisse. » (8) En novembre 1977, ÉTRON FOU LELOUBLAN enregistre son deuxième disque, Les Trois Fou’s perdégagnent (Au pays des…), qui sera commis par Tapioca puis par 9h. 17 Productions.
Les Trois Fou’s perdégagnent (au pays des…)
Globalement, ce nouvel opus s’inscrit dans la lignée de Batelages et véhicule le même esprit, les mêmes idées, avec cependant plus d’assurance et de richesse dans les arrangements. Le premier morceau est un instrumental qui n’a de ronflant que son titre : Face à l’extravagante montée des ascenseurs, nous resterons fidèles à notre calme détermination. Sur une rythmique haletante et des étirements hypnotiques de sax, de nouveaux instruments font leur apparition, comme l’harmonica et la flûte. Tiens, une guitare électrique ? Oui, l’ami Jean-Pierre GRASSET, alias VERTO, du groupe du même nom, est venu se joindre aux réjouissances de l’ÉTRON. Le Fleuve et le Manteau, qui suit, est présenté comme une « tragédie pâtissière » (sic) contée par Ferdinand RICHARD, dont la narration est aussi heurtée et imprévisible que les changements de rythme qui truffent le morceau.
Comme si la crème ne suffisait pas à régaler les distractions du personnage… La tragédie cède la place à un Percutant Reportage au pays des fées à peine moins elliptique que l’était Yvett’Blouse, mais perturbé par un bout de zan.
Sur le morceau aux trois titres « élucubratoires » qui se fait entendre ensuite, la basse de Ferdinand, sombre et saturée, renvoie des échos furieusement zeuhliens tandis que deux saxophones jubilent à l’unisson. URBAN SAX est passé par là…
La tradition de théâtralité burlesque spécifiquement « étronionne » est honorée avec Le Désastreux Voyage du piteux Python, une « cavalcade effreinée » (sic) bourrée de hoquets rythmiques. Ça se termine par un bal de quartier grotesque où la performance saxophonique de Fernand est encouragée par un chauffeur de salle passablement bituré et applaudie par la sympathique assistance. La bouffonnerie de LELOUBLAN a atteint son point culminant.
Comme par hasard, l’ombre d’Eulalie RUYNAT plane sur le Percutant Reportage et le Désastreux Voyage… Ceci doit expliquer cela. Avec P.O.I., on nage en pleine « extra-terrestralité » puisque se font entendre des sons de « boîtes », de « trucs » et de « machins » et que Ferdinand débite des sermons cadavériques exquis… C’était la page mystique de l’ÉTRON.
On s’enfonce en pleine abstraction avec Nave de Bilande, où d’autres OVNIs sonores de Guigou (yoyos, sifflets…) accompagnent le saxo, la flûte ou la cithare dans une farandole fumeuse qui débouche sur le merveilleux pays d’Alice…
Expatriations
1978 : l’activisme du groupe anglais HENRY COW, avec qui ÉTRON FOU LELOUBLAN a tourné en Italie et en Angleterre, prend une tournure à la fois plus radicale et historique avec la constitution du mouvement Rock In Opposition (R.I.O), qui se présente comme une organisation regroupant des groupes de diverses nationalités mais animés par une semblable conscience artistique et politique, soit une sorte de Dupon et ses fantômes à l’échelle européenne. Il s’agit pour tous ces groupes en total désaccord avec le « music business », de développer un réseau parallèle, de faire circuler toutes sortes d’informations relatives à la promotion et distribution des disques, aux circuits de concerts, etc. Un premier festival avec cinq groupes (HENRY COW, UNIVERS ZÉRO, SAMLA MAMMAS MANNA, STORMY SIX et notre ÉTRON hexagonal) se tient le 12 mars 1978 à Londres, puis des tournées sont organisées.
Grâce à SAMLA MAMMAS MANNA, ÉTRON FOU LELOUBLAN joue en Suède et, avec l’aide de STORMY SIX, en Italie. Echange de bons procédés, ÉTRON FOU organise une tournée qui permet à SAMLA de jouer en France. Guigou CHENEVIER participe le temps d’une tournée au groupe belge créé par Marc HOLLANDER et Vincent KENIS, AKSAK MABOUL, qui rejoindra le collectif R.I.O. Il n’y a cependant aucune trace discographique de cette infidélité de Guigou. Petit changement au sein de l’ÉTRON : Francis GRAND cède la place à Gérard BOLE DU CHAUMONT.
1979 : Tourner en Europe, c’est bien ; tourner aux États-Unis, ce serait encore mieux. La folie de l’ÉTRON a atteint un nouveau degré d’extrapolation ! Impossible n’étant pas ardéchois, le projet prend forme. Il est vrai que Fred FRITH, suite au split de HENRY COW, a déménagé là-bas ; ça aide. Mais pas de projets fous sans déboires !
Gérard BOLE DU CHAUMONT annonce son retrait du groupe trois semaines avant le début de la tournée. Qu’à cela ne tienne : un autre saxophoniste, Bernard MATHIEU, est disponible et dit oui au « Tour EFL des États-Unis » ! Fin octobre, le trio débarque à Boston, mais on le menace de le retourner à l’envoyeur pour cause de paperasse non réglée et autres réjouissances frontalières. Le service d’immigration mène la vie dure à l’ÉTRON et, quand bien même l’affaire s’arrange, va jusqu’à le surveiller dans la salle de son premier concert, juste pour s’assurer qu’il va bien jouer de la musique… Car évidemment, l’arsenal rythmique de Guigou, avec ses boîtes et bouteilles vides, n’avait pas contribué à éclaircir la situation !
Pour sa première date, LELOUBLAN, parfaitement et royalement inconnu du public américain, joue en première partie de ce digne représentant de l’école de Canterbury qu’est NATIONAL HEALTH. Ça passe pour le public. La critique, par contre, s’y perd en conjectures. Du rock avant-gardiste de France, c’est difficile à avaler ! Qu’importe, l’ÉTRON a fait son tour et l’a mis en boîte. Au retour, c’est l’ovation. Quelques sceptiques persistent. Mais ÉTRON FOU LELOUBLAN a de quoi témoigner.
En public aux États-Unis d’Amérique
Le disque En public aux États-Unis d’Amérique, sous-titré « nos trois amis débarquèrent à New York », sort en 1980 sur le label Celluloid. Constitué de prises live effectuées au Squat Club de New York City et du Trinity College de Hartford, ce « bootleg officiel » d’excellente qualité sonore a le double mérite d’être un témoin de l’aventure outre-Atlantique de l’ÉTRON en même temps qu’un précieux témoignage sur son répertoire du moment. En effet, quasiment toutes les pièces de ce disque sont gravées pour la première fois, à l’exception de Le Fleuve et le Manteau, qui représente l’unique trace de l’ancien répertoire d’ÉTRON FOU LELOUBLAN. Cette fois, pas d’invités, pas d’instruments supplémentaires (c’était trop lourd à porter ?) : le trio sax-batterie-basse joue à nu et à vif, sans fioritures ni post-production.
Du coup, En public renoue avec l’aspect rugueux de Batelages, l’énergie live en sus. De bousculades saxophoniques en dérapages de cordes et en déviations rythmiques, ÉTRON FOU LELOUBLAN livre son univers « brut de fonte », avec de forts accents free-punk. Ferdinand hurle ses textes et joue à fond de sa voix éraillée. Guigou nous gratifie d’un nouveau solo en forme de feu d’artifice percussif (Un après-midi au zoo). Pour la première fois sur disque, le groupe dévoile ses propensions à la composition spontanée (Binet d’eau chaude, impro) et se complait à détourner militairement BEETHOVEN (Atarte, rappel).
Fait marquant, les longues pièces au caractère théâtral appuyé ont disparu au profit de textes qui puisent leur dose de surréalité dans les faits divers anodins. Ainsi en est-il de l’histoire de Christine, qui troque son potentiel dramatique pour une fin en queue de poisson, de même qu’Ida trop tard (ou le triste combat des rillettes contre la moutarde), narrée par un Ferdinand RICHARD qui n’en finit pas de balbutier et de trouver une chute pas rigolote. Guigou CHENEVIER donne au public américain un bien singulier exemple de « typical french song » avec sa Rose couleur polar et le collage non-sensique préside au déroulement textuel de Et puis. Après tout, autant en profiter puisque le public n’y comprenait de toute façon rien !
Toujours en 1979, Guigou CHENEVIER ne tient plus en place : outre LELOUBLAN, il collabore à l’ENSEMBLE MODERNE du guitariste Cyril LEFEBVRE (ex-MAHJUN) et joue sur le disque de ce dernier, Vibrato. Enfin, après la tournée de LELOUBLAN aux États-Unis, Guigou participe à l’enregistrement du disque Musiques pour garçons et filles du groupe VIDÉO-AVENTURES, de Monique ALBA et Dominique GRIMAUD, ex-CAMIZOLE. L’association Dupon est peut-être devenue aussi immatérielle que ses « fantômes », mais les complicités artistiques restent…
Si vous avez manqué la suite…
À la toute fin des années 1970, alors qu’il commence à connaître une improbable notoriété outre-atlantique ÉTRON FOU LELOUBLAN arrive à mi-parcours de son existence. Le voici désormais aux prises avec l’ingrate décennie des années 1980 : l’ÉTRON troque la toile de fond du communautarisme hippie de la campagne ardéchoise contre celle de la froideur post-wave des cités urbaines, mais continue à aiguiser son indispensable dard dadaïste pour stigmatiser les aléas des petites existences noyées dans la société consommatrice capitaliste et autres visions poétiques aigres-dures.
Une ère nouvelle s’ouvre pour LELOUBLAN, tournant de plus en plus en Europe de l’Est, tandis que ses membres commenceront aussi à courir des aventures musicales parallèles, déployant ainsi les perspectives initiées à travers les collectifs Dupon et ses fantômes et Rock In Opposition, et ouvrant le vaste champ des « musiques nouvelles » à la française, dopées comme il se doit à l’humour grinçant ou grimaçant, indispensable antidote aux penchants avant-gardistes trop prétentieux.
Miniatures sans discours et chansons légères
1980 : Les réseaux d’agitateurs culturels qu’avait insufflé ou infiltré ÉTRON FOU LELOUBLAN s’étiolent, à commencer par Dupon et ses fantômes, littéralement évaporé. Rock in Opposition en tant que collectif n’existe plus officiellement mais continue à faire de la résistance… en Gaule bien évidemment. C’est ainsi qu’un festival Rock in Opposition est organisé à Reims, à la Maison de la culture André-Malraux, par Dominique DIEBOLD et Patrick PLUNIER, de l’association AAA (À l’Automne alité). ÉTRON FOU LELOUBLAN y participe avec deux autres groupes originels du réseau, STORMY SIX et AKSAK MABOUL.
Le reste de la programmation fait la part belle à d’autres inclassables qui, s’ils n’ont pas été officiellement intégrés au mouvement, n’en partagent pas moins la démarche, voire certaines accointances stylistiques: ZNR, PATAPHONIE, THIS HEAT, Ghédalia TAZARTÈS, CATALOGUE… Ce sera le seul festival R.I.O. organisé sous ce nom en France. L’année suivante, le festival change de nom et devient le Festival des Musiques de Traverses, toujours dédié aux acteurs de ces musiques européennes alternatives.
Pour le reste et comme tant d’autres du même acabit alternatif, les apparitions d’ÉTRON FOU LELOUBLAN sur les scènes hexagonales se comptent quasiment sur les doigts des deux mains. Qu’à cela ne tienne, il est convié par Bratko BIBIC, du groupe BEGNAGRAD, à se produire en Slovénie pour trois dates en fin d’année 1980. C’est le début d’une ouverture à l’Est.
Le groupe reste parallèlement très productif en cette année 1980 puisqu’il participe au célèbre disque Miniatures de Morgan FISHER, qui rassemble d’aimables sommités de tous bords comme THE RESIDENTS, Maggie NICHOLS, les Robert WYATT et FRIPP, Michael NYMAN, Joseph RACAILLE, Pete SEEGER, Lol COXHILL, David BEDFORD, THE WORK, Fred FRITH et tant d’autres, auxquels FISHER a demandé de composer un morceau d’une minute au plus ! Celui d’ÉTRON FOU LELOUBLAN s’intitule Hep ! Le groupe se met également à enregistrer avec l’ex-HENRY COW-ART BEARS Fred FRITH, pour son album culte Speechless. ÉTRON FOU LELOUBLAN y partage une face de disque avec la formation new-yorkaise de FRITH, MASSACRE.
C’est l’occasion de signaler que l’ÉTRON a pris de l’embonpoint depuis sa formation en trio sur En public aux États-Unis d’Amérique puisqu’il est devenu quartet avec l’arrivée de Jo THIRION à l’orgue. La musicienne n’est pas une inconnue des autres membres puisqu’elle sévissait déjà dans le cercle communautaire ardéchois lors de la décennie précédente et jouait notamment dans le groupe du saxophoniste Bernard MATHIEU.
Jo THIRION collabore de plus au premier disque solo de Ferdinand RICHARD, En Forme !!, qui paraîtra sur Celluloid. Tiens, un album solo de la part d’un pilier d’ÉTRON FOU ? Et la sacro-sainte règle de la composition en collectif, on en fait quoi ? Dans la réédition CD de ses deux premiers opus solistes (car il en commettra un autre en 1985), Ferdinand explique : « La fin des années soixante-dix semblait sonner le glas du collectivisme artistique forcené. (…) bref, en 1980, j’avais surtout envie de m’amuser à composer (moi tout seul, avec un huit-pistes à bande et à charbon) des petites choses légères (j’adore le concept de musique « légère », pour ne pas dire « de variétés ») sans comptes à rendre aux faces de carême, mais quand même assez lourdes de sens… » (9)
Paroles, musiques, chant, guitares, guitares basses, Ferdinand assure presque tout, mais n’omet pas d’embarquer ses complices de LELOUBLAN dans sa croisade vers la légèreté puisque, outre Jo THIRION, le saxophoniste Bernard « Margot » MATHIEU se fait également entendre sur deux morceaux. À la batterie s’exprime un certain Helmut HARD. Ouais, mon petit nez me dit qu’elle est bien sentie, celle-là…
En Forme !! est marqué par une posture rock et punk à priori plus conventionnelle mais aussi très second degré, Ferdinand RICHARD arborant sur certaines chansons les traits et l’état d’esprit d’un marginal urbain pour nous plonger dans l’univers trouble ou parfois très con d’une certaine jeunesse loubarde très d’époque. D’autres chansons stigmatisent la société de consommation, évoque le troublant désir d’un vétéran pour une femme enrobée ou le parcours chaviré d’un escargot sur une route. En guise d’intermèdes, on a droit à des conversations téléphoniques bidon mais hilarantes. Il y a dans cet album des tubes potentiels joliment décalés ; on se demande pourquoi personne ne s’en est rendu compte…
Ample respiration
1981 : La Gauche socialiste est au pouvoir en France et entretient l’illusion d’un mieux-disant culturel, avec son fameux 1 %… Mais les musiques « autres et inclassables » ne sont pas concernées et, du reste, ne se sentent pas concernées. Si ÉTRON FOU LELOUBLAN peut se targuer d’avoir quand même donné une soixantaine de concerts entre 1980 et 1982, les deux tiers ont lieu dans d’autres pays européens (Suisse, Allemagne, Suède…) ainsi qu’aux États-Unis.
Quoi qu’il en soit, le groupe répond toujours présent et d’untel, se met à enregistrer en novembre un nouvel LP, son troisième en studio et le quatrième de son histoire.
Les Poumons gonflés
Après avoir, le long de l’année 1980, joué les figurants sur les albums d’untel et d’untel, on pouvait se demander si les activistes de l’ÉTRON avaient encore du jus en réserve. La réponse est dans le titre. Ferdinand RICHARD avait auparavant intitulé son premier opus En Forme !!, le nouvel ÉTRON FOU LELOUBLAN a été baptisé Les Poumons gonflés, dont acte. Fort de ses escapades à l’étranger, ÉTRON FOU LELOUBLAN a senti le vent tourner et son environnement changer. Et comme c’est avec les meilleurs amis qu’on fait les bonnes galettes, et vice-versa, on a laissé Fred FRITH prendre entièrement en charge la production artistique du disque. Si le son global de ce dernier a des relents post-punk tendance « downtown scene » new-yorkaise, c’est très probablement à FRITH qu’on le doit.
L’implication de Jo THIRION dans certaines compositions et ses claviers, au son typiquement 80’s, ne sont pas non plus étrangers au ravalement de façade esthétique qui est à l’œuvre dans Les Poumons gonflés. L’ÉTRON des champs s’est métamorphosé en ÉTRON des villes, et LELOUBLAN a assombri son pelage. La transition se faisait déjà sentir sur En public aux États-Unis d’Amérique, qui délaissait les longues plages théâtralisées au profit de pièces plus urgentes et grinçantes.
On retrouve du reste ici l’histoire tragicomique de Christine, qui cherche toujours son fils Jean-Claude dans le train de Marseille. Le train, symbole par excellence de cette vie citadine galopante dans laquelle les uns (et les unes) se perdent et qui redéfinit les destins de chacun. Globalement le morceau a gardé sa structure qu’on lui connaissait en version live, mais il bénéficie d’arrangements plus soignés avec l’entrée en scène des claviers de Jo THIRION et, à titre de « special guest », la guitare aigrie de Fred FRITH.
Outre Christine, les Poumons gonflés font aussi entrer d’autres personnages dans la galerie de portraits étron-foutesques et dont les histoires réfléchissent diverses formes du malaise urbain. On commence par Nicolas, qui « est là (..) très las des aléas de sa vie avec Léa » et qui fait couiner le saxophone de Bernard MATHIEU comme une sirène alarmiste, et Guigou CHENEVIER qui embraye avec une frappe épileptique.
Plus loin, il y a Nicole, qui doit ramener à son mari… « une paire de grolles ». Les paroles de Ferdinand RICHARD suggèrent un érotisme glacé et sombre qui trouve son écho dans les giclées d’orgue plastifiées de Jo THIRION. Enfin, il y a Mimi, qui conduit sa grosse machine et fait des envieux. Là encore, l’industrialisation et la technologie exacerbent les rapports humains… Jo THIRION essaime ça et là des bruitages que l’on jurerait tirés de jeux vidéo, et Ferdinand RICHARD a la rime aussi maline que judicieuse : « C’est l’heure de partir mais je n’ai pas de souliers. C’est l’heure de penser, mais ma tête est court-circuitée. » Détail curieux : « Mimi » deviendra plus tard le nom du festival qu’il dirigera…
Tous ces portraits sont taillés, comme de coutume, dans le lard et avec force tiroirs mélodiques et coqs-à-l’âne rythmiques, mais dans un format plus condensé que par le passé. Inspirations Rock in Opposition, post-punk et new-wave se bousculent en bonne intelligence, le tout étant exécuté avec une précision faramineuse et porté par une énergie saillante. Le socle basse-batterie de Ferdinand RICHARD et Guigou CHENEVIER se révèle plus indéfectible que jamais, les claviers de Jo THIRION s’épanouissent comme des poissons dans l’eau et les cuivres tortueux sont à la fête, Bernard MATHIEU usant des saxophones ténor et soprano, Guigou CHENEVIER le secondant occasionnellement au sax ténor et Jo THIRION à la trompette.
Sur les dix morceaux du disque, deux sont des instrumentaux de Guigou CHENEVIER : il s’en donne à cœur joie dans son Exposition universelle pour batterie et percussions et rend hommage à l’univers des complices suédois de SAMLA MAMMAS MANNA (autre combo ayant participé au Rock in Opposition) avec Uppsalla.
Un autre hommage, moins attendu sans doute, est rendu à… Charles BAUDELAIRE, dont le poème La Musique (l’expression « les poumons gonflés » en est issue) est déclamé d’une voix grave et livide, dans un climat sonore qui ne l’est pas moins. On verse même dans une atmosphère lugubre avec Those Distant Waters, dont le texte est récité par Ferdinand… en anglais ! L’usage de la langue de Shakespeare est une grande première de plus, tout comme l’est celle de la langue italienne par Guigou dans Io Prefero. On n’est pas loin de voir dans les Poumons Gonflés le manifeste d’une « autre musique européenne », le nouveau son de l' »Eurock in Opposition ».
Toujours est-il qu’ÉTRON FOU a franchi avec ce disque un nouveau cap de maturité qui le rend par certains côtés plus accessible qu’auparavant. Et si son univers a des contours plus citadins, on peut être sûr que sa gouaille dadaïste veille toujours au grain. À ce titre, Pas l’sou, avec son refrain mi-amer, mi-sémillant et son teint musette en clin d’œil à Nino ROTA, et qui rendrait jaloux un François HADJI-LAZARO, constitue à la fois un lien avec le passé du groupe en même temps qu’un bon générique de fin à cet opus.
Histoire de robots et valse des saxos
En 1982 sort également sur l’obscur label S.A.P.E.M. un curieux album sans réel nom d’auteur et intitulé Arthur et les robots – Histoire pour petits et grands enfants. Narrant les aventures d’un gamin à la jambe en fer nommé Arthur qui se retrouve aux prises avec des ampoules électriques qui l’obligent à se rendre sur l’île de Fée Électricité, ce conte emprunt de naïveté surréaliste accumule les rebondissements scénaristiques farfelus, avec voix lutines trafiquées, bruitages, percussions paysagères, cuivres éméchés, piano évasif, airs folkloriques.
Alors on jette un œil sur la liste des musiciens, et il s’avère qu’on y retrouve comme par hasard une bonne partie d’actuels et anciens membres d’ÉTRON FOU LELOUBLAN, à commencer par Guigou CHENEVIER, mais aussi Bernard MATHIEU, Ferdinand RICHARD, et – surprise – Eulalie RUYNAT (alias Chris CHANET) dans le rôle d’Arthur ! Dominique GRIMAUD et Monique ALBA, têtes chercheuses de VIDÉO-AVENTURES, sont de la partie, ainsi que Sophie JAUSSERAND au piano, laquelle a de plus réalisé la pochette (et qui avait également contribué à l’écriture de certains textes dans les Poumons gonflés) et quelques autres, dont la fanfare L’ÉTRANGE NAPOLITAINE, groupe d’où provenait Bernard MATHIEU avant d’intégrer l’ÉTRON. Guigou, Ferdinand, Eulalie, Sophie et Albert SUIVRE se partagent les rôles des personnages de l’histoire.
On l’aura compris, Arthur et les robots, c’est un peu un « Young Person’s Guide » de la famille Dupon et ses fantômes. Guigou s’est particulièrement impliqué : auteur des paroles, récitatifs et dialogues, il joue aussi une palanquée d’instruments – percussions, harmoniums, sax ténor, flûte, piano accéléré… – et endosse trois rôles dans l’histoire, dont celui de récitant. Cette fantaisie discographique peut être considérée comme son premier opus solo. Elle a été réédité en CD en 1999 chez Gazul, sous-label de Musea Records.
Pendant ce temps, un énième changement de personnel est intervenu dans la formation de l’ÉTRON, suite au départ de Bernard MATHIEU. Les saxophonistes sont décidément des denrées vite périssables chez ÉTRON FOU LELOUBLAN ! Et encore, MATHIEU peut se targuer d’avoir enregistré avec eux deux albums à la suite ; c’est le seul qui en ait fait autant ! L’ÉTRON recrute donc son cinquième saxophoniste en la personne de Bruno MEILLIER, par ailleurs membre du groupe LES I et déjà auteur d’un premier LP, Solo Saxophone (1982, 52e Rue Est).
« Ferdinand (…) débarqua à Tournon, où nous jouions, je crois, en première partie de HERE & NOW. J’avais déjà vu ÉTRON FOU plusieurs fois – j’étais même allé demander à Chris CHANET s’ils ne cherchaient pas un claviériste à l’époque où je bricolais les synthés – mais c’est de ce moment-là que date la première véritable prise de contact… laquelle nous amena à confier la production artistique de nos albums à Ferdinand. Nos deux groupes sont alors devenus très amis mais, différence d’âge, nous ne jouions pas dans les même réseaux. Bernard MATHIEU quittant ÉTRON FOU peu de temps après, une place de saxophoniste était vacante. Me retrouver à sa place était plutôt excitant, car le tandem Guigou-Ferdinand était une section rythmique de rêve, l’une des plus originales de tout le rock français et qui n’encourageait pas un jeu de sax standard. » (10)
Bruno MEILLIER se fondra sans mal dans l’univers étron-foutesque et en profitera même pour caser, lors des concerts du groupe, des « chansons » pour alto saxophone soliste de son cru, comme Présent de l’indicatif (enregistré pour son LP Solo saxophone) et Larvaire et Latent.
À propos de scène, rien ne va plus en termes de considération dans l’Hexagone pour l’ÉTRON : jugé trop avant-gardiste dans les années 1970, voilà qu’on le trouve subitement « has been », et les concerts se font de plus en plus rares. Trois seulement auront lieu en 1983 sur le sol français, contre une trentaine à l’étranger, notamment une première incursion en Pologne. En fait, toutes ces années, c’est comme si le public français n’avait rien pigé à la musique de l’ÉTRON ! Le phénomène a singulièrement atteint d’autres groupes du réseau Rock in Opposition. Sur sa Terre natale, ÉTRON FOU LELOUBLAN est ignoré, tout comme le public anglais a boudé HENRY COW et la Belgique UNIVERS ZÉRO. Ils ne sont hélas pas les seuls… Paradoxalement, ce n’est donc pas une bonne chose pour un groupe de s’entendre dire qu’il est « connu comme… LELOUBLAN » !
Multilinguisme et saloperie de lavabo
Mais ce n’est pas cette indifférence qui entame la verve créatrice des membres du groupe. Allez savoir s’ils s’affrontent à la course de celui qui sortira le plus d’albums solo que l’autre, mais après le premier essai de Guigou CHENEVIER, Ferdinand RICHARD se lance en 1983 dans un second disque dont le titre, En avant, laisse penser à une suite conceptuelle directe d’En Forme !!. En fait, il se démarque royalement du ton rock alternatif de son prédécesseur, en dépit de son sous-titre, Huit chansons en huit langues, pour s’aventurer gaillardement dans des territoires plus expérimentaux.
Désireux de développer son intérêt pour les langues et les cultures (qui remonte à l’époque où il étudiait la littérature médiévale, au début des années 1970), le compositeur et bassiste a donc composé pour En avant huit chansons (pour une durée totale qui n’atteint même pas la demi-heure), chacune étant interprétée dans une langue différente. On trouve ainsi, par ordre d’apparition, de l’anglais, du vietnamien, de l’arabe, du polonais, du dioula (langue mandingue parlée au Burkina-Faso, en Côte-d’Ivoire et au Mali), de l’espagnol, du français et de l’allemand. Ferdinand chante toutes les chansons, majoritairement sur un mode récitatif, à l’exception de la dernière, interprétée par le poète allemand Urs ENGELER, qui en est aussi l’auteur. Dans le livret, chaque chanson est traduite en français, en anglais et en allemand.
L’enrobage musical est des plus minimaux, souvent âpre et décharné. Les basses Fender de Ferdinand dialoguent principalement avec le violoncelle impérial de Tom CORA (CURLEW, SKELETON CREW). Le batteur Rick BROWN (V-EFFECT) intervient sur un morceau, et Christiane COHADE (LES I) à la Fender jazz basse sur deux autres. Pas un seul des autres membres d’ÉTRON FOU y participe. Nulle fâcherie pour autant puisque la même année LELOUBLAN enregistre son nouvel album durant l’été 1983.
Les Sillons de la Terre
Le titre renvoie-t-il à une réminiscence de l’époque où la communauté ardéchoise de l’ÉTRON cultivait la Terre ou faut-il comprendre que cet album creuse avec opiniâtreté les mêmes « sillons » que son prédécesseur ? La seconde option est la plus plausible et vérifiable, car malgré le changement de personnel intervenu dans les soufflants, la formation a gardé une couleur instrumentale similaire aux Poumons gonflés. La basse piquante et saturée, tout en accords, de Ferdinand RICHARD, la batterie et les percussions imprévisibles de Guigou CHENEVIER, les orgue et piano à la fois cartoonesques et extra-terrestres de Jo THIRION, et enfin les saxophones alto, ténor et baryton de Bruno MEILLIER, quelquefois secondé par le ténor sax de Guigou, comme dans Et qu’cet air-là, l’un des trois instrumentaux de l’album.
Au passage, on notera que Bruno MEILLIER a plus que de coutume imprégné les compositions de l’ÉTRON de ses influences free-jazz à la new-yorkaise, façon DNA, LOUNGE LIZARDS, PUBLIC SERVANT. Cette empreinte jazzistique ne fait que renforcer l’esprit iconoclaste des compositions du groupe.
Avec un allant qui va sans cesse de l’avant et une maîtrise de plus en plus éprouvée, l’ÉTRON se plaît à élaborer des pièces faussement simplistes et éminemment tortueuses, truffées de détours, de spasmes et de rebonds (comme les instrumentaux Le Jeu, l’alcool et les femmes et Les Alsaciennes), mais qui adoptent un format de plus en plus condensé. La plupart des morceaux des Sillons de la Terre durent entre quatre et cinq minutes – quand ils ne sont pas plus courts – et confirment donc le choix esthétique opéré avec les Poumons gonflés. Les sagas théâtralo-burlesques des deux premiers albums d’ÉTRON FOU ont définitivement cédé la place aux vignettes resserrées et bigarrées.
Côté textes, on se délecte de cette fascination constante pour les petits riens de l’existence, les emmerdes de basse classe que l’on a tous connus de près ou de loin mais qu’on n’a jamais osé avouer avoir vécu. Ça démarre du reste assez violemment avec Phare Plafond qui, sous son titre débonnaire mais dont la vue n’est pas si basse (de plafond), narre – cette fois, c’est Jo THIRION qui s’y colle, une première ! – les conséquences nauséeuses peu ragoûtantes d’un repas trop copieux de la Saint-Sylvestre. L’accident aussi fâcheux que risible évoqué dans Lavabo pourrait presque en être la suite – que l’on imagine bien se produire le matin d’un lendemain de fête encore mal décuité – et rappelle à la victime combien le ridicule peut tuer, ce qui l’amène à préférer la mort dans une tirade mémorable. C’est en tout cas le genre de chanson qui ne déparerait pas dans le répertoire d’un Albert MARCŒUR.
Le ridicule est également brocardé dans Nouveau, où fonctionnaire, secrétaire, universitaire et chanteur populaire « nouveaux » se font tirer le portrait à boulets rouges dans une déclamation nonchalante et blasée de Ferdinand. Le couple constitué d’un ex-taulard et d’une gamine décrit dans Les Vitres s’en tire presque mieux… mais alors presque ! Et encore, ce n’est pas sûr…
Et quand la « blasitude » fait place à la colère, ça donne Émoi, qui remporte le prix de la plus belle déclaration de misanthropie boutonneuse ! « Les gens sont cons. Vraiment trop cons. Les Hommes sont sales. Les Femmes, vénales… », et tout le monde y passe ! Les dernières phrases sont évidemment un sommet de mauvaise foi nombriliste. Un must ! C’est pas bien verse pour sa part dans la poésie amère et la formulation abstruse. Dans cet étalage de ronchonnements et d’acariâtreté, on s’étonne de tomber sur une parenthèse nostalgique et sentimentaliste qui raconte l’Enfance de Guigou par le principal intéressé.
Ainsi les Sillons de la Terre marquent-ils leur empreinte en dépeignant un réalisme navrant et risible par des images désabusées, cruelles ou ricanantes. Non, décidément, le monde moderne n’a rien de folichon, mais qu’est-ce qu’on peut se poiler avec !
Plus rien ne nous retient…
1984 : Guigou CHENEVIER tente une nouvelle escapade soliste… ou presque, puisque À l’abri des micro-climats est co-crédité à Guigou et à la fidèle Sophie JAUSSERAND. Dans cet album qui paraît sur RecRec, parent suisse du label anglais Recommended Records, fondé à la suite du mouvement Rock in Opposition, Sophie a écrit les textes et les chante, et Guigou les a mis en musique, touchant du saxophone, de la clarinette, du piano, de la flûte, des percussions, et donnant aussi un peu de voix.
Quelques collègues sont venus prêter main forte : Dominique GRIMAUD au synthétiseur, Guy SAPIN à la guitare et Christiane COHADE à la basse. On navigue dans des eaux évidemment proches d’ÉTRON FOU LELOUBLAN, dont on retrouve le pointillisme d’exécution et la grammaire anguleuse. (Il faudrait quand même qu’un jour quelqu’un se décide à ressortir ce disque en format CD !)
C’est également en 1984 que Ferdinand RICHARD et Guigou CHENEVIER vont s’impliquer dans d’autres formations, puisque la règle édictée aux origines du groupe qui interdisait à ses membres de se commettre dans des projets autres que ceux de l’ÉTRON est définitivement abandonnée.
Ferdinand RICHARD est ainsi membre du groupe ouest-allemand GESTALT AND JIVE, fondé par Alfred HARTH, avec Steve BERESFORD, Anton FIER, Peter HOLLINGER et Uwe SCHMITT, et dont le premier album, Nouvelle Cuisine, sortira en 1985. Ferdinand RICHARD retrouve même Bruno MEILLIER et monte avec lui le duo BRUNIFERD, auteur de trois albums (Bruniferd en 1986, Un putch kitch en 1991, et Pas sages, secrets en 1997).
De son côté, Guigou CHENEVIER, dans un souci de prolonger sa réflexion sur la place du batteur dans un groupe, fonde LES BATTERIES avec les batteurs Rick BROWN (V-EFFECT, FISH & ROSES) et Charles HAYWARD (ex-THIS HEAT). S’abandonnant aux délices de la polyrythmie azymutée mais mélodique et composée, LES BATTERIES laisseront une première trace discographique sur la compilation live Musique Action 1985 avant de publier un premier opus en 1986, Noisy Champs, réédité en CD en 2010.
Toutes ces occupations parallèles donnent de plus en plus l’impression qu’ÉTRON FOU LELOUBLAN n’existe qu’en filigrane, qu’il n’est en tout cas plus la priorité de ses fondateurs. Et le départ de Bruno MEILLIER n’arrange évidemment pas les choses. Néanmoins, L’ÉTRON subsiste et durcit même le ton. Puisque les saxophonistes ont tendance à jouer facilement les filles de l’air, eh bien on s’en passera ! C’est ainsi qu’ÉTRON FOU LELOUBLAN redevient un trio, comme il le fut avant les Poumons gonflés, mais sous la forme claviers-basse-batterie, le saxophone n’étant plus qu’un instrument secondaire joué par Guigou quand il n’est pas derrière ses fûts et qu’il ne chante pas. Un nouveau répertoire est ainsi monté, éprouvé sur scène et finalement enregistré en août 1985.
Face aux éléments déchaînés
Face à la défection successive de ses saxophonistes, face à la désaffection du public gaulois, face au souvenir maintenant lointain de l’extravagante montée des ascenseurs… ÉTRON FOU LELOUBLAN, tel le capitaine sur un Titanic en perdition, persiste à brandir sa banderole « Mort aux mauvais ! ». Et de signer dans la tourmente son ultime opus chez RecRec Music, Face aux éléments déchaînés, ouais…
Pas question pour autant de bâcler, il faut finir en beauté, et de préférence de cette beauté froide initiée avec les Poumons gonflés, mais qui s’était bon an mal an réchauffée, louchées de free-jazz aidant, dans les Sillons de la Terre. Le trio orgue-basse-batterie rend un son encore plus compact. Non que l’on ait complètement abandonné les cuivres ! Guigou CHENEVIER souffle bien encore ça et là dans un sax ténor, il peut le faire. Mais il ne remplace pas les précédents souffleurs. Ici, c’est bel et bien l’orgue de Jo THIRION qui se taille la part du lion. Il ne couine pas comme un saxophone, il ne rage pas comme un saxophone, il ne tonitrue pas comme un saxophone, mais il fagote les chansons de l’ÉTRON de façon idoine, avec cet arrière-goût « lo-fi » ou résolument « out there ». Forcément, ça refroidit l’atmosphère. D’autant que, rebelote, c’est Fred FRITH qui tient les manettes de la production, en plus de glisser ça et là quelques « fritheries » guitaristiques au demeurant assez ponctuelles.
L’aspect quelque peu clinique de la production contraste forcément avec la complexité des tournures rythmiques et harmoniques tricotées par nos trois rescapés. Il en résulte un espace sonore tendu et mécanique à l’équilibre crispé. Face aux éléments déchaînés, l’ÉTRON affiche une hargne contenue, pour ne pas dire une morgue sarcastique. Cela se ressent jusque dans le chant. Sur ce sujet, on remarque que Jo THIRION s’implique aussi davantage, et Lavées à la machine réussit même l’exploit de faire intervenir les voix des trois Étrons fous !
Les textes puisent toujours dans le désolant spectacle de la société moderne occidentale leurs images instantanées dans lesquelles se figent ces paysages lunatiques et ces postures incongrues qui auparavant faisaient rire jaune, rouge ou vert et qui, désormais, font sourire noir. Mais comme à l’époque les photos étaient soumises à la technologie argentique, le noir, sur un film négatif, devient blanc. Et c’est paradoxalement cette couleur qui domine dans ce disque de LELOUBLAN, même que les cent dernières copies de la réimpression en LP opérée par Review Records possèderont une pochette toute blanche, sans la sublime pochette de Sophie JAUSSERAND.
De Lavées à la machine à Blanc (justement), en passant Sous les draps et en se demandant Comment choisir son infirmière, l’humour blanc rôde. Et c’est évidemment un blanc cassant ! Acide aussi, à l’occasion, quand Ferdinand met la dose côté textes (Gifle Hubert, Tous le poussent). Sans parler du Paris 65 de Guigou, qui, avec une aigreur rageuse, évoque en quelques images sèches l’histoire du déclin de l’esprit de révolte chez d’anciens étudiants désormais bien intégrés… Face aux éléments déchaînés enchaîne les douches froides, quand bien même le Binet d’eau froide gicle trop vite…
Les Étrons fous reviennent de loin, sont allés tout aussi loin, et leur sombritude rieuse voit encore plus loin. Pour un peu, on jurerait que certains textes ont été écrits aujourd’hui, après la contemplation du journal télévisé. LELOUBLAN erre dans un paysage glauque qui suinte l’urbanisme glabre. Il y a comme ça quelques phrases qui, si elles ne sont pas à prendre au premier degré, donnent le ton : « Tout est vulgaire ici, tout est laid, tout est brutal, tout est épais, tout est égoïste. » (Gifle Hubert) « Laissez-moi mourir près de la caméra, laissez-moi mourir là. » (Sous les draps) « Mais qui respectera le sens de l’effort, le prix du confort, l’œil de l’ouvrier… » (Mon petit chorus) « Manger fait passer le temps » (Lavées à la machine).
« Prémonitoire, le titre de l’album ? » se demande Guigou CHENEVIER dans les notes de livret de la réédition CD. Prémonitoire sûrement aussi le titre Plus rien ne nous retient en ce pays, pays qui n’a guère apprécié l’ÉTRON à sa juste valeur, lui préférant de piètres merdes. « Au bout, la frontière, la fontera, the border… Les pneus sont chauds, ça sent la cigarette, laisse un peu la portière ouverte. » LELOUBLAN ne claque donc pas la porte, mais va prendre l’air en se barrant à pied-de-nez, Hors de son monde. Il y a tant de choses encore à faire…
Que sont-ils devenus ?
Singulièrement, le dernier tour de piste d’ÉTRON FOU LELOUBLAN a eu lieu lors de la première édition du festival MIMI, organisé par Ferdinand RICHARD. Ce dernier se souvient : « La première édition, en 1986, s’est déroulée dans les arènes de Saint-Rémy-de-Provence : la programmation était fulgurante (Fred FRITH, Ghédalia TAZARTÈS et le dernier concert d’ÉTRON FOU) mais s’est soldée par un échec commercial cuisant. En plus de mon groupe, j’animais alors une émission de radio à Saint-Rémy-de-Provence. Comme le festival de jazz local s’arrêtait, le maire m’avait demandé de reprendre le flambeau. Cette première édition, j’ai perdu 16.000 francs et mon groupe a explosé. Je me suis retrouvé au fond du trou et très endetté. » (11) DRAC et Conseil général aidant, le festival a survécu et poursuit son œuvre aujourd’hui.
L’ÉTRON s’est sacrifié pour que l’histoire de ses membres rebondisse. Ferdinand RICHARD dirige donc le MIMI, Bruno MEILLIER lui a enchaîné le pas en créant le festival Musiques Innovatrices avec son association ToTo n’aime pas la soupe, et Guigou CHENEVIER, avec son Collectif INOUÏ, a plus récemment monté le festival Gare aux oreilles. Tout ça dans le Sud de la France !
Mais c’est aussi par leur production discographique que les ex-ÉTRON FOU LELOUBLAN ont maintenu la flamme de ces musiques « en opposition », inclassables, innovantes, goguenardes, teigneuses, bref différentes.
Avant le split, Ferdinand RICHARD avait rejoint GESTALT & JIVE_; par la suite, il a fondé en 1989 FERDINAND & LES PHILOSOPHES (auteur de deux disques, Enclume et Ensableur de Portugaises), et plus tard FERDINAND ET LES DIPLOMATES (E-Pop). Toujours en 1989, il retrouvera Fred FRITH et enregistrera, sous le nom FRED & FERD, l’album Dropéra. On le retrouve en 1993 à la tête de la création Arminius, avec Helmut BIELER-WENDT, Vladimir VACLAVEK et Takumi FUKUSHIMA (future membre de VOLAPÜK, avec… Guigou CHENEVIER !).
Le parcours de Guigou CHENEVIER est encore plus éloquent. Outre LES BATTERIES (Noisy Champs, Démesure révolutionnaire, Bell System), il s’est impliqué dans ENCORE PLUS GRANDE (Total Bliss), OCTAVO (Des pieds et des mains), LES FIGURES, BODY PARTS (duo avec Nick DIDKOVSKY de DOCTOR NERVE), et bien sûr VOLAPÜK, qui a battu des records de longévité (17 ans) et a enregistré cinq CD (Le Feu du tigre, Slang !, Pükapök, Polyglöt, Where is Tamashii ?).
S’y ajoutent des collaborations (Le Diapason du Père Ubu, avec Denis BERNET-ROLLANDE), des opus solistes (Les Couleurs de la ville, Guigou CHENEVIER à Montigny en Morvan, Le Batteur est le meilleur ami du musicien, Pièces musicales avec vue) et des contributions diverses (Les Mystères des voix vulgaires, Ubu et la Merdre…).
Bruno MEILLIER, outre BRUNIFERD – son duo avec Ferdinand RICHARD – a aussi fondé avec Mark HOWELL (CURLEW) le trio ZÉRO POP (Glows in the Dark, All the Big Mystic), le duo de saxophones NI TRÊVE NI RELÂCHE (avec Daniel BROTHIER), le trio BEST BEFORE (avec Dominique LENTIN et Paed CONCA), a participé au groupe LE VASTE OCÉAN ainsi qu’à des albums de Pierre BASTIEN, et a aussi réalisé d’autres opus solistes (Recueil, Rapt, Onze Bonbons) ou en duo avec Toshimaru NAKAMURA, Dan WARBURTON et Noël AKCHOTÉ.
Jo THIRION s’est faite plus discrète, mais on a fini par la retrouver dans l’album Enclume de FERDINAND ET LES PHILOSOPHES et, surtout, elle a rejoint en 1989 le groupe ART MOULU TRÉFIN, que l’on peut qualifier à bon droit de descendant direct d’ÉTRON FOU LELOUBLAN, tant dans le son que dans l’esprit.
Formé en 1983 par le saxophoniste Olivier MASSON, ART MOULU TRÉFIN a commencé par laisser quelques traces sporadiques dans diverses compilations thématiques Rê Records Quarterly – Volume 1 Number 4 (1986), Douze pour Un – Volume 2 (AYAA, 1987), Festival MIMI 1987 (A.M.I., 1987), All Frontiers (Materiali Sonori, 1991), avant de consentir à livrer enfin un album, enregistré live, sous le nom raccourci ART MOULU (Il Posto Records, 1991). Avec des titres comme Claustrophilie, le Parolier et la Part au lion, Méat coule pas, la filiation ne fait guère de doute, d’autant que Les Reines du porno font un flagrant clin d’œil à « un fol étron » !
La postérité n’a pas totalement oublié le séminal ÉTRON FOU LELOUBLAN puisque dès 1991, le label Musea Records a publié un coffret 3CD, 43 Songs, qui contient tous les morceaux inclus dans les cinq albums studio du groupe et mis bout à bout. Il a fallu attendre 1997 pour que soit publié en CD En Public aux États-Unis d’Amérique, avec deux morceaux bonus. La Java des bombes atomiques – une altière reprise de Boris VIAN – a été enregistrée lors des sessions de l’album Face aux éléments déchaînés mais non incluse dans celui-ci et a figuré dans la compilation A Classic Guide to No Man’s Land. L’autre bonus, une version live de Blanc, provient du LP Festival MIMI 1986.
En 2002, Gazul Records, sous-division de Musea, a entamé la réédition disque par disque de tous les albums studio d’ÉTRON FOU LELOUBLAN. Chaque CD est agrémenté d’une biographie succinte, des paroles des chansons et de photos inédites. Par contre, on ne trouvera aucun morceau bonus inédit. Cette vague de rééditions s’est achevée en 2010 avec la parution – six ans après celle des Sillons de la Terre – de l’ultime opus, Face aux éléments déchaînés. Toute l’œuvre officiellement enregistrée d’ÉTRON FOU LELOUBLAN est donc désormais disponible en CD, ce qui n’est déjà pas si mal. Plus rien ne s’oppose ainsi à ce que la culture de l’ÉTRON soit salutairement consignée dans tous les programmes radiophoniques et toutes les lignes éditoriales médiatiques ! En ces temps de névrose du « tout-propre, tout-lisse », on en a plus que jamais besoin.
Article réalisé par Stéphane Fougère
NOTES :
(1) Propos de Ferdinand RICHARD, in : Un certain rock (?) français (vol.2), de Dominique GRIMAUD (1978)
(2) Idem
(3) Idem
(4) In : La Première Aventure céleste de Mr. Antipyrine, de Tristan TZARA (1916)
(5) Idem
(6) Propos de Ferdinand RICHARD, in : Un certain rock (?) français (vol.2), de Dominique GRIMAUD (1978)
(7) Extrait d’un entretien de Philippe ROBERT avec Guigou CHENEVIER paru dans Revue et Corrigée – n°45 (septembre 2000)
(8) Idem
(9) Livret du CD Ferdinand RICHARD – En avant, En Forme ! (CD, réédition des deux LP, Orkhêstra, 2001)
(10) Bruno MEILLIER, entretien paru dans Peace Warriors n°10, janvier 1999
(11) Ferdinand RICHARD, entretien paru sur le site Poptronics.fr (www.poptronics.fr/Mimi-Echapper-a-la-festivalisation)
DISCOGRAPHIE ÉTRON FOU LELOUBLAN
* Batelages (LP, 1977, Gratte-Ciel – rééditions : CD, 2002, Gazul/Musea ; LP 2013, Replica Records)
* Les Trois Fou’s perdégagnent (au pays des…) (LP, 1978, 9H17 Productions – rééditions : CD, 2002, Gazul/Musea ; LP 2014, Replica Records)
* En public aux États-Unis d’Amérique (LP, 1979, Celluloid – rééditions : CD, 1998, Gazul/Musea ; LP 2014, Replica Records)
* Les Poumons gonflés (LP, 1982, Turbo Music S.A. – rééditions : LP, AYAA, 1985 ; CD 2003, Gazul/Musea)
* Les Sillons de la Terre (LP, 1984, Turbo Music S.A. – rééditions : LP, Le Chant du monde, 1985 ; CD 2004, Gazul/Musea)
* Face aux éléments déchaînés (LP, 1984, RecRec Music/AYAA – réédition : CD, 2010, Gazul/Musea)
* 43 Songs (compilation regroupant les cinq albums studio du groupe) (3CD, Baillemont Productions/Musea)
* À Prague (CD, Gazul/Musea, 2010)
* Live at the Rock in Opposition Festival, 1978 – New London Theatre (LP, Replica Records, 2015 ; CD, Replica Records, 2016)
Quelques Participations :
* Miniatures (A Sequence of Fifty-One Tiny Masterpieces Edited by Morgan FISCHER) (LP, 1980, Pipe – rééditions : CD, Voiceprint, 1994 ; 2CD, 2008, Cherry Red)
* Fred FRITH – Speechless (LP, 1981, Ralph Records – rééditions : CD, Recrec Music, 1991 ; Fred Records/ReR Megacorp, 2001)
* Festival M.I.M.I. 86 (LP, 1987, Disques Inouï / Oblique Musique)
* A Classic Guide To No Man’s Land (CD, 1988, No Man’s Land)
* Les Mystères Des Voix Vulgaires #2 (CD, 1997, Art as Hammer/Divergo)
(Articles originaux publiés dans
TRAVERSES n°14 – décembre 2003,
TRAVERSES n°29 – novembre 2010,
et remis à jour en 2020)
Superbe analyse de ce groupe absolument jouissif.
Merci monsieur Fougère pour votre historique détaillé d’ETRON FOU, pour vous signaler qu’Olivier Masson (saxs) et son compère Welter (batterie) d’ART MOULU ont repris leurs instruments, aidés par Maureen Siegel (claviers, voix), qu’ils ont commis quelques concerts fameux par ci par là et qu’ils vous laissent
un lien pour découvrir leur musique:
http://www.oisiveraie.com/nsdx.html