Festival Interceltique de Lorient 2024 – Seconde Partie : Entretien avec Jean-Philippe MAURAS

37 vues

Festival Interceltique de Lorient 2024

Seconde partie : Entretien avec Jean-Philippe MAURAS

Édition 2024

2024 est une année particulière pour le FIL qui démarre plus tard !

Jean-Philippe MAURRAS : On le sait depuis déjà dix-huit mois. Les grands évènements sportifs et culturels au niveau national ont été déplacés et nous également. On aurait du avoir lieu normalement du 2 au 11 août et compte-tenu des Jeux Olympiques, nous avons donc lieu du 12 au 18 août.

Il y a une date officielle, le 12, et aussi une date officieuse puisque dès le 10 août, il y a déjà des spectacles.

JPM : Les 10 et 11 août, on a juste quelques spectacles et principalement un des grand rendez-vous du Festival qui est le Championnat national des Bagadou. On n’avait pas d’autres possibilités que de le laisser sur le samedi 10. Cela a été autorisé par la Préfecture et par le Ministère de l’Intérieur parce que le concours a lieu dans ce qu’on appelle un ERP (Établissement Recevant du Public), dans le Stade du Moustoir où on peut filtrer le public pour des raisons de sécurité.

On en profite également pour distiller quelques spectacles comme Cécile CORBEL au Palais des Congrès ou l’Asturien Rodrigo CUEVAS au Théâtre. Il y aura le marché Interceltique et le Quai du livre, mais il n’y aura pas d’animations telles qu’on les connaît. Le Festival plein et entier tel qu’on le connaît démarre bien le lundi 12.

Avant de fixer ces dates, tes collaborateurs et toi aviez envisagé une année blanche ?

JPM : On l’a évoqué très brièvement. On n’a pas trouvé les dates du 12 au 18, et on n’a pas eu l’acceptation du Ministère aussitôt. On aurait peut-être pu faire une année blanche si l’État nous avait accompagnés, mais ce n’était absolument pas au programme. Il pouvait peut-être nous conseiller de faire le Festival au mois de juin ou de septembre. On s’est vite rendu compte qu’il fallait qu’on maintienne le Festival malgré tout au mois d’août et qu’on l’adapte. Ce n’est pas une édition réduite ou plus petite que les autres. Elle est juste adaptée.

Traditionnellement, le Festival débute avec un grand premier week-end. Là on va commencer un lundi. La grosse journée avec la Grande Parade, qui est connue et que les gens attendent, se déroulera exceptionnellement un jeudi. Cela tombait bien puisque c’est le jeudi 15 août qui est un jour férié et un « dimanche » en plein milieu de semaine.

Ce sera donc un rythme un peu différent mais, en tout cas, tous les fondamentaux et tous les incontournables du Festival sont bien présents cette année.

Ce décalage a eu une incidence sur la disponibilité des délégations étrangères ?

JPM : Sur quelques nations ! Je pense notamment à l’Écosse puisque qu’il y a un Festival qui suit le FIL qui s’appelle le Piping Live qui est dédié à la cornemuse et qui donne lieu au championnat du monde des Pipe-bands. Là, on tombe en plein dessus. On a quand même des Écossais cette année, il y a des pipes-bands qui vont venir, mais ils vont repartir un tout peu plus tôt pour pouvoir participer à ces championnats du monde.

Pour l’Irlande, la rentrée scolaire aura lieu dès le 19 août. Il y a beaucoup de jeunes avec les délégations. Ils repartiront une journée plus tôt qu’habituellement.

Depuis 1994, chaque édition est dédiée à une nation ou un ensemble de nations. L’an 2000 avait fait exception à la règle en mettant les Celtes à l’honneur. Cette année, c’est une thématique bien différente.

JPM : À travers l’édition particulière et adaptée de 2024, il était un peu compliqué de se dire qu’on allait se focaliser sur une nation avec moins de jours. Le schéma n’était pas du tout le même. C’était aussi une occasion pour mettre en avant un thème beaucoup plus transversale qui peut concerner toutes les nations Celtes.

J’ai proposé qu’on travaille sur la jeunesse et donc sur cette jeunesse des pays Celtes qui est un thème vraiment porteur et qui a provoqué l’engouement de chaque nation. C’est donc une occasion de célébrer cette jeunesse, de célébrer tout ce qu’il y a au niveau de la transmission. On sait que dans nos cultures celtiques, la transmission a énormément d’importance.

Construire une programmation autour de cette thématique a été facile ?

JPM : Très facile ! Je le dis souvent, je le disais déjà l’année dernière avec l’Irlande, je pourrais faire deux programmations. Il y a vraiment de quoi !

J’essaie toujours de faire en sorte que ce soit assez équilibré par rapport aux lieux, que les spectacles soient adaptés aux différentes scènes. On a des scènes très différentes, des petites, des grandes, des endroits où on est assis, où on est debout.

Dans la culture bretonne, on a énormément de jeunes groupes, de jeunes artistes. C’est une occasion de les mettre en avant. Les délégations ont vraiment joué le jeu.

Je prends juste l’exemple de la Grande Parade. On est autour de 2700 participants. Il y a largement autour de 1500 jeunes. Ce sera vraiment une démonstration de ce que peut être cette jeunesse des Pays Celtes.

Il n’y a pas de ségrégation. Il y aussi des jeunes plus âgés puisqu’on retrouve des artistes qui sont des habitués.

JPM : Bien sûr ! Ce n’est pas parce qu’on travaillait sur ce focus de la jeunesse des pays Celtes qu’on allait faire un festival interdit au plus de trente ans (rires). J’aime avoir une programmation qui est plurielle, qui est intergénérationnelle et qui est surtout Interceltique.

On retrouve évidemment quelques fondamentaux, des groupes qui passent de manière assez récurrente, qui sont aussi des locomotives.

Je pense par exemple à Carlos NUÑEZ qui est programmé trois fois !

JPM : En réalité, il est programmé une fois ; mais il y a une telle demande qu’on fait trois spectacles.

Ce nouveau spectacle, Celtic Sea, qui est lié à l’album qu’il a sorti l’hiver dernier, Carlos souhaitait vraiment le jouer au Théâtre. Habituellement, il joue sur la grosse scène du Festival qui fait trois ou quatre mille places. Le Théâtre ne fait que mille places, donc on s’est dit qu’on allait être très vite complet et faire beaucoup de déçus. En accord avec Carlos, on a programmé trois représentations pour essayer de satisfaire le plus grand nombre.

Il y avait aussi THE BOTHY BAND, qui a été contraint d’annuler.

JPM : C’est un groupe irlandais mythique qui a existé entre 1975 et 1979, qui était déjà venu à Lorient en 1976 et qui aurait donc joué pour la seconde fois. Il se trouve que l’un des musiciens a eu des problèmes de santé. Ils ont annulé toute la tournée de l’été pour les différentes dates qu’ils avaient en Europe. On croise les doigts, déjà pour le musicien qui est malade et qui est en traitement, et on a pris date pour l’année prochaine. J’espère qu’on pourra accueillir THE BOTHY BAND sur l’édition 2025.

SOLDAT LOUIS, c’est une valeur sure !

JPM : Ce sont aussi les locaux de l’étape ! Ils sont passés régulièrement au cours des dernières décennies. C’était vraiment l’occasion cette année de les accueillir à travers leur nouveau spectacle. J’espère qu’ils repasseront au cours des prochaines années. En tout cas, ça fait toujours plaisir aux festivaliers de pouvoir assister à un concert de SOLDAT LOUIS.

Même si le Festival se trouve bousculer, les différentes scènes retrouvent leur place. On pense au Kleub, initié il y a deux ans, ou à la Place des Pays Celtes et sa scène commune montée l’an dernier derrière le Palais des Congrès. On pourra néanmoins trouver de nouveaux aménagements sur ces lieux ?

JPM : On est comme sur l’organisation 2023. Il n’y a pas de changements au niveau du Kleub qu’on avait déjà amélioré entre 2022 et 2023. C’est un lieu qui a vraiment trouvé sa place très rapidement. Cela ne sera que sa troisième année. Certains me disaient qu’on n‘imaginerait pas aujourd’hui le Festival sans le Kleub. C’est un beau signe de réussite.

La Place des pays Celtes, c’est la seconde année. Effectivement, on a arrangé des petites choses ; mais on garde le même principe d’avoir les huit nations Celtes Européennes qui soient présentes sur cette place et cette scène commune qui permet de faire des animations de 11h le matin jusqu’à 2 ou 3h le lendemain matin. Il n’y a pas de temps mort. À chaque fois qu’on y vient, le lieu est toujours en vie. C’est le cœur de l’Interceltisme.

En nouveauté, on a les Terrasses du Festival, au niveau du bassin à flot, une nouvelle petite scène avec une programmation essentiellement sur les périodes de déjeuners et le soir à partir de 17h. Ce sera aussi l’occasion de se restaurer puisque l’on va proposer un plat signature tout en écoutant des artistes.

Le chapiteau de l’Espace Jean-Pierre PICHARD est maintenu mais seulement pour trois soirées.

JPM : Lié à cette édition particulière, on a décidé de n’y faire que trois concerts. On n’a aucune place assise, pas de gradins, pas de chaises. Ce sont uniquement des concerts debout. C’est comme un grand préau avec juste la garantie d’une protection au-dessus si jamais il y avait un peu de pluie.

On accueille quasiment 6000 personnes sur le site. C’est un autre dispositif. Avant, les gros concerts, on les retrouvait au Slipway. On se déplaçait au niveau du port. Ma volonté était de faire qu’une fois qu’on est garé, on peut faire tout le Festival à pieds sans l’obligation d’être tributaire de sa voiture ou de tout autre moyen de locomotion. On garde une cohérence.

Lorsque j’ai disséqué la programmation, j’ai constaté une forte présence d’artistes écossais. Il y a aussi deux soirées consacrées à cette nation : la Grande Nuit de l’Écosse et un autre spectacle, Sur les routes d’Écosse. Ce sont des indices pour deviner le pays mis à l’honneur en 2025 ?

JPM : Pas forcément (rires) ! L’Écosse est très riche et très prolixe en propositions artistiques depuis ces dernières années. Je me dis à chaque fois qu’il ne faut pas que je mette forcément trop d’Écossais et, en même temps, les propositions sont tellement intéressantes.

Il y a un lien avec la création du Festival qui s’appelle Celtic Odyssée dans laquelle il y a des artistes des différentes nations et notamment des artistes écossais.

Le principe de Celtic Odyssée fait que chaque artiste qui participe à cette création joue également sur le Festival. Les différents noms, Duncan, Julie, Calum, Ryan, sont des gens que l’on va retrouver à plusieurs moments, sur Celtic Odyssée, sur les Master Class. C’est une démarche que j’ai initiée depuis trois ans : faire en sorte que, lorsqu’un artiste vient, il ne le fait pas pour une journée. On va faire en sorte qu’il passe au moins trois ou quatre jours sur le Festival, qu’il joue dans différentes formules, ce qui permet déjà de justifier son transport et ce qui provoque des rencontres.

Comme les artistes restent plusieurs jours sur Lorient, on a la surprise sur des concerts de voir que l’un a invité l’autre et ainsi de suite. Il y a des croisements, des rencontres et pour moi, c’est important !

On est un festival celtique mais aussi Inter-celtique. Cette notion de rencontre est pour moi primordiale, et elle fait partie de l’ADN de cette manifestation.

Tu parlais de Celtic Odyssée, qui est joué pour la troisième année. Ce sera un spectacle différent des deux précédentes.

JPM : C’est à chaque fois un spectacle différent. C’est toujours le même directeur artistique, Ronan LE BARS, que je remercie pour tout l’investissement et le travail qu’il fait depuis trois ans. C’est sa dernière année. La distribution des artistes a été à chaque fois différente pour ce grand spectacle qu’on arrive aussi à jouer à l’extérieur puisqu’on le présente au Celtic Connexion à Glasgow chaque mois de janvier et on a aussi des pistes pour le jouer à Oviédo en Asturies, à Belfast en Irlande ou à Cardiff au Pays de Galles. C’est une odyssée qui va se déplacer pour le plus grand bonheur de tous.

Elle pourrait être gravée un jour sur un support ? Je te pose la question tous les ans (rires) !

JPM : C’est un autre travail. On est dans un contexte de création. Il faudrait qu’on rentre dans une logique d’enregistrement. On aime aussi garder un contexte qualitatif. Ce n’est pas un spectacle qui tourne cinquante ou cent fois. Dès lors qu’on grave sur un CD, il faut quand même qu’il y ait un travail plus important. Il y a tellement d’intervenants issus des différentes nations que la difficulté est de pouvoir réunir tout le monde suffisamment de jours pour pouvoir travailler et enregistrer.

Il faut aussi des autorisations entre maisons de disques.

JPM : Exactement !

Autour du FIL

La jeunesse Celte est à l’honneur cette année. Tu as l’occasion de parcourir chaque année nos Nations Celtes. Elle se porte comment cette jeunesse Celte ?

JPM : Elle se porte plutôt bien ! C’est vrai que la moyenne d’âge que l’on observe dans le domaine culturel, aussi bien au niveau de la musique que de la danse, ça fait du bien. Il suffit de regarder ce qui se passe en Bretagne, on voit bien qu’au niveau des cercles celtiques et des bagadou, il y a toujours énormément de jeunes et une même appétence à pouvoir participer à ces collectifs. C’est effectivement porteur.

On ressent la même chose sur les différentes nations. C’est plutôt positif et c’est quand même toute cette jeunesse qui fera demain et qui fera le Festival Interceltique de demain.

C’était important cette année de les mettre en avant et de mettre en avant toute cette transmission pour ne jamais oublier qu’il faut toujours passer le relai. C’est comme cela que la culture est arrivée jusqu’à nous, et c’est à nous de pouvoir continuer à transmettre et à donner les clés aux plus jeunes pour qu’ils fassent l’Interceltisme de demain.

Il y a une conscience Celte ? Cette jeunesse se dit qu’elle partage une culture, des langues avec d’autres celtes ?

JPM : Oui, il y a une conscience Celte ! On parle souvent de mondialisation. On pourrait dire qu’un jeune Galicien, un jeune Irlandais ou un jeune Écossais peuvent écouter la même chose. J’aime bien cette phrase qui dit : On sait qui on est quand on sait d’où on vient !

Je pense aux jeunes Écossais ou Gallois qui ont vécu le Brexit, cette séparation décidée par Londres. Ce n’est pas Glasgow, ni Belfast, ni Cardiff qui ont voté en masse pour la séparation et pour que l’Angleterre quitte l’Union Européenne. Ҫa a raffermi les relations avec ces nations et les jeunes ont pris conscience de cette notion de « cousins ». On revient à des envies pour des Écossais de venir en Bretagne plutôt que simplement en France, pour des Galiciens de la même manière, et pour des Bretons d’aller en Galice. Il y a des ponts qui sont assez faciles.

Depuis plus de cinquante ans, à travers l’Interceltisme, Lorient a formé ces ponts, a formé ces rencontres. Quand on parle de Lorient comme « Capitale Interceltique », ce n’est pas simplement une annonce entre loriento-lorientais, c’est aussi une réalité. Et moi qui ai la chance, tu le disais, d’aller sur les différentes nations, sur différents festivals, je vois bien qu’à l’international, on ne parle pas de l’Interceltisme, on parle de Lorient. Lorient sous-entendu le Festival Interceltique ! Comme d’autres pourraient parler de Cannes, sous-entendu, le festival de cinéma.

C’est assez étonnant et ça montre bien la notoriété et l’importance qu’à Lorient aujourd’hui dans ce paysage culturel celtique européen.

Toi-même, tu as été musicien très jeune. Vous aviez la même approche, la même conception à l’époque ?

JPM : On était beaucoup plus dans l’imaginaire. Je suis né dans la culture bretonne, la culture bretonne vannetaise puisque je suis originaire de Vannes. Je dis ça parce que lorsqu’on était sur un terroir, on travaillait les chants et les musiques de son terroir. Je n’étais pas du pays gavotte, j’ai appris à jouer la gavotte plus tard, et encore moins du pays Plinn. Il y avait vraiment cette notion de pays, on était spécialisé là-dessus.

On était dans les années 1970 et il y avait déjà cette envie de musique irlandaise. Cela faisait rêver. C’était le contexte de l’imaginaire. Il y avait des 33T qui passaient. J’ai découvert la musique irlandaise à travers un album des CHIEFTAINS que j’ai eu par hasard. Je suis tombé en amour de la musique irlandaise à l’écoute de cet album, le septième, et je le suis toujours autant cinquante ans plus tard.

Longtemps ça a été l’imaginaire, car il n’y avait pas de cours, pas de stage, pas internet. Le seul moyen, c’était de venir à Lorient où on pouvait rencontrer de vrais Irlandais en chair et en os, voir à quoi ressemblait ce son d’uileann pipe que l’on entendait que l’on ne voyait pas ou que sur des photos. Lorient était cette espèce de plateforme pour apprendre, pour connaître.

Il n’y avait pas les mêmes moyens, c’était plus dans l’imaginaire et je sais que c’est la même chose pour les Galiciens ou les Asturiens. Lisardo, mon prédécesseur, quand il parle de sa découverte des musiques celtiques, sa découverte de Lorient, de l’Interceltisme, c’est effectivement quelque chose de magique.

Ҫa l’est toujours. C’est différent parce que les moyens de communication sont différents. On peut découvrir sans quitter sa maison aujourd’hui. On a accès à tout au niveau musique, vidéo, encyclopédique. On peut tout apprendre de chez soi, mais il n’empêche que rien ne remplace de la rencontre avec l’autre, ce qu’on appelle le spectacle vivant.

Je dis souvent que les groupes irlandais ont tendance à ne pas être très évolutifs et reprennent les codes initiés il y a cinquante ou soixante ans. En revanche, SEO LINN, qui est programmé cette année, est très évolutif.

JPM : Cela fait partie de cette nouvelle génération de groupes que l’on trouve en Irlande. Je pense à LANKUM, qui est un groupe étonnant et dont on parle énormément. Je souhaite pouvoir un jour l’accueillir sur Lorient. À chaque fois les dates ne coïncident pas. On n’a pas encore réussi à trouver le créneau.

J’appelle cela une espèce de nouvelle musique traditionnelle irlandaise. Ils ne sont pas sur les mêmes fondamentaux. On a eu longtemps des petits BOTHY BAND, des petits PLANXTY, des petits CHIEFTAINS, etc. Je m’aperçois que sur Dublin, il y a beaucoup de choses qui se passent musicalement, qui bougent. Je reste très à l’écoute avec des amis là-bas.

L’Irlande, aussi bien Dublin que Belfast, est très proche de l’Écosse. Depuis dix-quinze ans, il y a un vrai creuset musical, notamment à Glasgow, et il y a énormément de projets qui sont sortis, des choses très intéressantes. J’aime voir que cette influence commence à gagner la verte Erin.

C’est de la musique traditionnelle ou culturelle, bretonne, irlandaise ou écossaise, mais d’aujourd’hui, de 2024. Ce sont des choses qu’on connaît en Bretagne avec des groupes comme FLEUVES ou NOON. On voit bien qu’il y a une évolution que nous n’aurions pas entendue il y a trente ou quarante ans, et pourtant on écoute ça en se disant que c’est complètement actuel, complètement breton ou irlandais. Ce n’est pas autre chose que de la musique actuelle !

Il y a peut-être plus d’audace aujourd’hui ?

JPM : Je pense qu’il y a toujours eu de l’audace. Simplement, je pense que les artistes qui font cette musique-là sont à l’aise avec eux-mêmes. Il y a peut-être moins le contexte qu’on a pu connaître. On avait un contexte parfois très militant. Les groupes vont défendre leur musique, leur territoire, leur culture, mais d’une manière complètement détendue, beaucoup plus mondiale peut-être.

Hormis la sphère musicale ou plus généralement culturelle, le FIL évoque quelque chose aux habitants des autres nations ?

JPM : Chaque année, on a la chance d’être diffusée sur France Télévision. On a quand même trois heures de diffusion nationale. Ce qui est beaucoup, avec audiences à la clé, avec des millions de téléspectateurs.

La télévision irlandaise vient chaque année faire invariablement un ou deux 52’ sur le Festival. Les télévisions asturienne, galicienne et galloise viennent aussi chaque année. Ils font des émissions de 25’ ou 52’ qui sont diffusées sur leurs chaînes.

Il y a aussi beaucoup de téléspectateurs, et c’est donc une occasion pour ceux qui ne sont jamais venus à Lorient de connaître ce qu’il s’y passe. On sent que cette notoriété est aussi beaucoup liée à cette diffusion et à ces médias.

L’an dernier, le Festival avait démarré par un colloque qui s’appelait Bretagne … Celtique ! et répondait à différentes attaques tendant à prouver que la Bretagne ne serait pas… celtique ! Ce type d’attaque a continué et les amateurs de fest-noz ont même été comparés à des attardés.

JPM : Je ne sais pas si on a été attaqués ! Le terme « attardés » était malheureux, mais il était sorti d’un contexte. C’est plus la réaction qui pour moi est intéressante.

La culture bretonne a été pendant des décennies une espèce de sous-culture, et c’est vrai que ça reste ancré. Dès qu’il y a ce type de phrase, d’ « attaque », je mets ça avec des guillemets parce que ce n’était pas une attaque en tant que telle, on voit bien que le côté breton, le côté militant, revient très vite.

Je parlais de la jeunesse. On voit bien qu’on n’est pas une sous-culture, on voit bien l’engouement des jeunes qui continuent à apprendre à danser, à jouer, à chanter. On voit l’engouement sur les écoles bilingues français-breton. On voit quand même tout ça ! C’est une réalité, et il me semble que ces jeunes, on ne les force pas. Je ne vois personne avec un fouet pour les obliger à apprendre la bombarde, pour les obliger à parler breton.

On vient de loin. Moi, je viens d’une génération qui savait ce que ça voulait dire d’être traité de « breizhou » à l’école. C’était un peu péjoratif. On était effectivement dans les époques où la culture bretonne pouvait être vécue comme une espèce de sous-culture par rapport aux autres.

C’est bien de se dire de temps en temps qu’on a fait du chemin et tant mieux !

Tu as été le Directeur Artistique du Festival de Cornouaille de 2001 en 2013 avant de prendre les rênes du FIL en 2021. On entend souvent dire que c’est plus compliqué aujourd’hui. Les choses ont vraiment changé ?

JPM : C’est certainement plus compliqué. Déjà, les exigences de sécurité sont plus importantes. On travaille beaucoup sur la sécurité et la prévention et tout ça a un coût qui pèse sur les finances d’un festival.

On peut avoir des subventions. L’argent public est contraint. Les subventions n’augmentent pas au fil des années. L’inflation est quand même là. Les coûts augmentant, une subvention qui n’augmente pas, c’est comme une baisse.

On est moins touchés parce qu’on n’a pas les grandes têtes d’affiche pop ou rock avec des cachets mirobolants. On tente de toujours rester un festival populaire et de faire en sorte que le prix d’entrée soit accessible à tous. On travaille sur des gratuités pour les moins de douze ans. Il y a le système de ce célèbre badge du Festival à sept euros pour accéder à une pléthore de scènes. On ne peut pas mieux faire aujourd’hui. Un euro par jour pour pouvoir accéder au Quai de la Bretagne, à la Salle Carnot, au Kleub, à la Place des Pays Celtes, au Cinéfil, aux expositions, aux conférences et aux masterclass !

Certains disent qu’avant c’était gratuit ! Si on n’avait pas ce badge, on ne pourrait pas proposer autant de choses. C’est un moyen peu onéreux et qui est important pour nous. Ce sont des dizaines de milliers de personnes qui l’achètent, et c’est ce qui nous permet de dégager un budget pour pouvoir continuer à proposer des choses à moindre coût et cette atmosphère qui fait Lorient. Comme on dit toujours : rien n’est gratuit ! Il y a bien quelqu’un qui paye à un moment. Le but est de continuer à garder l’esprit d’une manifestation et de permettre au plus grand nombre d’y accéder.

Sans compter que le badge est aussi un objet souvenir !

JPM : Aussi ! Un très bel objet !

On parlait du Festival de Cornouaille. Il a réduit la voilure. Certains festivals ont même du s’arrêter. On pense au Kan al Loar de Landerneau. Rassure-nous, à Lorient les bases sont suffisamment solides ?

JPM : Tout évènement est fragile. On parle souvent des colosses aux pieds d’argile. Si une année on a une météo exécrable ou 20% de public en moins, ça a tout de suite des incidences. On ne peut pas se dire que ce n’est pas grave, que si le mois d’août s’est mal passé, on va se refaire au mois de septembre. On est obligé d’attendre un an.

Je reste très optimiste, très confiant. On a beaucoup de monde et le public suit. On travaille sur des budgets très importants. Chaque euro est important. Notre but n’est jamais de chercher du bénéfice, mais de toujours équilibrer une manifestation. Chaque festivalier qui vient, qui participe en achetant une boisson ou une crêpe sur les sites du Festival contribue au Festival. Pour nous, c’est important pour pouvoir continuer à faire de cette manifestation, je l’espère, le fleuron des festivals celtiques d’Europe.

La durée du Festival n’est pas remise en cause non plus ?

JPM : Exceptionnellement, cette année on était sur sept jours. L’année prochaine, on sera du 1er au 10 août 2025. On l’a déjà annoncé. On récupère les dix jours habituels. On redémarre bien le premier vendredi du mois d’août, comme traditionnellement. On revient sur nos fondamentaux.

Je pense qu’il y a vraiment une habitude de prise d’avoir ces deux week-ends, notamment un premier gros week-end avec le Championnat des Bagadou et la Grande Parade. Ensuite, toute la semaine défile avec des grands spectacles comme Horizons Celtiques au stade avant de terminer sur un dernier week-end lui-aussi important.

Non, il n’y a pas du tout de remise en cause de ces dix jours. On me l’aurait caché. Ce serait étonnant ! (rires) On n’est pas prêts de passer sur un festival de trois ou quatre jours. Économiquement, le rythme est pris. Pour la ville, même pour le Off, c’est quelque chose d’important. Ce sont quand même dix jours de fête !

On a des festivaliers qui passent les dix jours. On sait que le temps moyen d’un festivalier sur le Festival est de trois jours et demi. Certains vont arriver le premier vendredi et repartir le lundi, d’autres vont arriver le lundi et repartir le jeudi et d’autres ne vont arriver que sur le dernier week-end. C’est ce qui explique aussi la fréquentation que l’on a avec des personnes très différentes et des centaines de milliers de festivaliers chaque année.

Quitte à monter l’intégralité de ce Festival, qui est quand même gigantesque, dans le cœur de la ville, aussi bien en profiter au maximum.

Il y a parfois eu des rumeurs disant que le Festival Interceltique pourrait quitter Lorient. On sait que d’autres villes, Brest ou Nantes, sont intéressées. Ce ne sont bien que des rumeurs ?

JPM : Le nom est dans le titre. Je ne sais pas si on passerait au FIB ou au FIN. Ҫa reste le FIL quand même ! Par rapport à l’agglo, peut-être qu’on aura le Festival Interceltique de Lanester en franchissant le Scorff ? Il y a une vraie logique sur Lorient. Le Lorientais aime son festival ! C’est très clair !

J’aime à regarder le festival toute la semaine. Il y a une cohérence, du Stade du Moustoir en allant jusqu’à la rade, à déambuler. Si ce festival perdure, s’il a pu se développer, c’est aussi grâce à l’urbanisation de la ville. Lorient est une ville très agréable toute l’année et aussi durant le Festival.

Lorsque je m’étais entretenu avec ton prédécesseur, Lisardo LOMBARDIA, en 2021 pour sa dernière édition, je lui avais demandé s’il avait des regrets. Il m’avait répondu qu’il aurait aimé faire venir U2. Tu n’es pas sur le départ et on espère que tu as encore le temps avant d’avoir des regrets. Mais il y a des projets que tu aimerais mener, des artistes que tu aimerais programmer ?

JPM : Il y a toujours des artistes qu’on aimerait programmer. Certains me disent que le festival est toujours le même et pourtant, quand on regarde, d’une année à l’autre, il est toujours différent. En réalité, on n’est jamais en révolution, on est toujours en évolution constante. Mon rôle, en tant que Directeur Artistique, c’est effectivement de penser à demain et à après-demain.

Cela fait déjà quelques mois que je travaille sur l’édition 2025. L’édition sera déjà montée sur le papier et artistiquement pour fin novembre. Après, à partir de janvier 2025, je vais déjà commencer à travailler sur l’édition 2026. Il y a toujours ces dix-huit mois de gestation par rapport à une édition.

On suit toujours l’évolution. Évidemment, il y a des envies artistiques et il y a aussi une réalité de terrain, des artistes que j’aimerais avoir et qu’on ne peut pas faute de lieux pouvant accueillir vingt mille ou vingt-cinq mille personnes. On n’a pas le lieu dans Lorient ou alors, il faut qu’on quitte le centre-ville. On reste un festival urbain, donc c’est peut-être le rôle de festivals comme les Vieilles Charrues qui peuvent accueillir sur un même site d’un seul coup cinquante ou soixante mille personnes. Ce n’est pas le cas de Lorient. On est un autre modèle.

Il y a des propositions artistiques qui ne passeront pas à Lorient juste pour des problèmes de jauge parce que les cachets sont tellement élevés. Le maximum qu’on peut avoir en spectateurs sur un endroit, ça peut être six mille. On ne va pas mettre des prix d’entrée à cent-vingt ou cent-cinquante euros la place. Ҫa n’a pas de sens !

Je ne citerai pas d’artistes ou de groupes, mais il y en a quelques-uns. Tant pis ! Ils seraient disponibles, on pourrait sauf qu’on n’a pas le lieu et la jauge pour les recevoir et à un prix d’entrée qui soit satisfaisant pour les festivaliers.

Cette année, la Jeunesse Celte était à l’honneur. C’est une chose qui pourrait se reproduire, qu’il y ait une autre thématique qu’une nation mise à l’honneur ?

JPM : J’espère bien ! J’ai plein de thèmes transversaux dans la tête (rires). Je trouve très intéressant qu’on puisse mettre une nation à l’honneur sur une année. C’est pertinent et on continuera. Mais je trouve aussi très intéressant qu’on puisse travailler de temps en temps sur un thème transversal qui concerne toutes les nations, qui nous permette d’échanger.

Le focus, le thème de cette année sur la jeunesse des pays celtes le montre. Il y a déjà plusieurs idées à ce sujet.

Je sais que je t’en parle chaque année : y a-t-il des avancées sur la Maison du FIL qui serait une bonne chose pour la visibilité du Festival sur l’année ?

JPM : (Rires) On m’en parlait déjà quand j’arrivais. C’est un peu l’arlésienne, je crois, sur Lorient. J’aurais une tendance à plus dire une maison de l’Interceltisme. On a des locaux au niveau du Festival en tant que tel.

Par contre, cet Interceltisme a une histoire, le Festival a une histoire. Si un jour on pouvait monter une maison de l’Interceltisme à Lorient, un endroit où on peut aussi sur l’année provoquer des rencontres, montrer tout ce qu’on a pu accumuler au cours des dernières décennies, venant des différentes nations, ça aurait tout son sens, ça serait légitime.

Après, ce sont d’autres financements. Ce n’est pas le Festival qui portera tout seul. C’est aussi en lien avec les collectivités territoriales et bien entendu la ville de Lorient.

Voila, ça se discute ! Il n’y a pas d’inauguration prévue dans les douze mois qui viennent (rires). Ҫa reste toujours une volonté, une belle idée, mais ce n’est pas si simple.

L’essentiel pour nous au niveau du Festival est de continuer à faire cet évènement et à l’issue de cette édition-ci de se mettre tout de suite à travailler sur la prochaine édition du 1er au 10 août 2025.

Lire le compte-rendu du FIL 2024.

 

Entretien réalisé le 18 juillet 2024 par Didier Le Goff
dans les studios de RCF Sud Bretagne à Lorient en collaboration avec Grégoire,
journaliste et technicien. Un grand merci à lui.

Un grand merci à Victoria de l’agence de communication HEYMAN ASSOCIES.

Site du Festival : https://www.festival-interceltique.bzh

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.