Festival La Prée en Fête à Monterfil,
les 25 et 26 juin 2021
Chaque année depuis 44 ans lors du dernier week-end de juin se tient à Monterfil (en Île-et-Vilaine) un festival populaire et convivial, La Gallésie en Fête, qui accueille généralement des milliers de personnes dans ce village en pleine campagne.
Contexte « covidé » oblige, ce festival ne pouvait se dérouler cette année dans des conditions « normales ». Mais les organisateurs ont planché sur une formule allégée et respectueuse des consignes sanitaires en vigueur, avec jauge limitée, port du masque obligatoire lors des déplacements, sens de circulation unique sur le site, interdiction de stationner plus que de raison autour de la buvette, etc.
Il n’y avait pas de fest-noz non plus (des gens qui dansent ? Hérésie !), mais le programme a été étalé deux soirées proposant chacune deux concerts et une performance avec un conteur, et que l’on écoute confortablement (?) assis… sur des bottes de foin !
Cette année, exceptionnellement, le festival La Gallésie en Fête de Monterfil est donc devenue La Prée en Fête.
Sa programmation, mettant en valeur diverses orientations de la création musicale dans la musique bretonne, s’est révélée (une fois de plus) d’une grande qualité.
Vendredi 25 juin
Daniel ROBERT
La programmation ne comptait pas seulement des concerts, mais aussi des performances de conteurs qui, contexte culturel oblige, s’exprimaient exclusivement en langue gallèse… sans sous-titres ! Pas grave, on s’y fait vite !
Le premier soir du festival, c’est le conteur Daniel ROBERT qui a accueilli le public avant les concerts du duo Nolwenn Le BUHÉ/Régis HUIBAN et de Sylvain GirO et le Chant de la griffe.
Bien décidé à nous démontrer que le gallo, langue romane dérivée du latin, n’est pas une langue morte, Daniel ROBERT a tenu le public en haleine pendant trois bons quarts d’heure, alternant contes traditionnels et histoires contemporaines de son cru avec une impressionnante présence physique, une bonhomie, une gouaillerie et un enthousiasme communicatifs. Traitant de sujets souriants et de thèmes plus graves, ses histoires, si singulières et parfois aux confins du fantastique, portent toujours une morale.
Il est l’auteur d’un livre (I tet enu fai de temp Conteries e Istouères en galo) qui a reçu le Prix du gallophone en 2017.
Nolùen Le BUHÉ et Régis HUIBAN
Ces deux pointures – qui ont partagé un temps l’aventure TAN BA’N TY – nous ont régalé de leur répertoire de chants et mélodies du Vannetais et du Centre Bretagne, nous plongeant avec simplicité, vitalité et sincérité dans les histoires dramatiques ou pétillantes des gens du monde d’hier. Bien que ressentant un léger trac consécutif à plusieurs semaines d’abstinence scénique, Nolùen Le BUHÉ nous a décliné un répertoire de chansons traditionnelles contant toutes des histoires d’amour, mais sous diverses formes.
On a eu droit à l’histoire d’amour très classique de la jeune femme qui se retrouve seule à élever son enfant alors que son mari est parti à l’armée (un « tube » des Sœurs GOADEC) ; celle d’un jeune marié qui part à l’armée et revient le jour du remariage de sa femme, et ils en meurent d’amour ; celle d’un amoureux éconduit ; celle d’une jeune fille mariée à un vieil homme riche qui meurt, et elle lui fait un bel enterrement ; celle d’un enfant abandonné par sa mère aux douaniers ; celle d’une bergère qui chante en gardant ses moutons et que le fils du roi écoute de la plus haute fenêtre du château (un morceau assez hypnotique avec une fois n’est pas coutume, le concours de Régis HUIBAN aux effets de voix) ; ou encore une histoire d’amour plus saugrenue entre un homme et sa… bouteille ; et une chanson au sujet de la soupe de lait qu’on amène aux mariés le soir des noces.
La voix si séduisante de Nolùen, l’une des plus grandes interprètes de la tradition orale bretonne, et le swing si subtil, ciselé et prenant de l’accordéon de Régis HUIBAN, entre trad’ et jazz, ont ravivé les couleurs de ces tableaux de mœurs avec une belle vivacité.
Sylvain GirO & LE CHANT DE LA GRIFFE
La nouvelle création vocale et polyphonique de Sylvain GirO (ex-KATE ME) a donné sa première scénique à Monterfil, et le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne ressemble à rien de déjà entendu !
Entouré de deux chanteuses et de chanteurs aux timbres très différenciés que l’on a pu entendre séparément chez BARBA LOUTIG, LO COR DE LA PLANA, les SŒURS TARTELLINI et LÛDJER, Sylvain GirO a conçu un répertoire puisant son inspiration dans diverses musiques populaires européennes et au-delà.
On y a retrouvé quelques chansons provenant de ses précédents albums (Le Lac d’Eugénie, Le Batteur de grève), ainsi que la plus récente Rue des Lilas (écrit pour la reformation de KATE ME en 2016), toutes réarrangées pour cette formation chorale, et une majorité de nouvelles compositions dans lesquelles le verbe de Sylvain GirO a affiché haut et fort sa véhémence vibratoire, sa fibre poétique hermétique et visionnaire, portée vers la contemplation comme vers l’exhortation résistante.
Humanistes et philosophiques, les chansons de GirO savent parfois se parer d’une noirceur bien décidée à en faire voir de toutes les couleurs ou bien opter pour une fantasmagorie verbale surréaliste et ludique, s’épanouissant dans des constructions aussi complexes que jubilatoires. Vraiment, ce chœur de « la griffe » révèle un caractère bien trempé et irréductible.
Ajoutez-y les textures électro-acoustiques inouïes du multi-instrumentiste François ROBIN (machines, violon, doudouk, veuze…), et vous comprendrez que ce « Chant de la Griffe » a tous les atouts pour marquer durablement les esprits… que dis-je? Pour les scarifier !
Samedi 26 juin
Matao ROLLO
Tout comme la première soirée de spectacles avait démarré avec le conteur gallo de Daniel ROBERT, la seconde soirée s’est ouverte sur la performance d’un autre conteur gallo, Matao ROLLO.
Se présentant avec un costume de « gentleman farmer » joliment décalé, Matao ROLLO a livré une performance qui ne se limitait pas à la seule récitation de contes issus de la tradition orale et en prise avec des thèmes contemporains, mais faisait montre de sa maîtrise de divers aspects des arts de la scène, intégrant mime, chansons et même intermèdes musicaux avec une bassine d’eau et des tiges végétales et une boîte à musique déguisée en guitare !
Captivant, imprévisible et excentrique, Matao ROLLO déploie le conte gallo dans une dimension artistique totale très attachante.
Erwan HAMON et Yousef ZAYED
C’est avec un plaisir intact et renouvelé que nous avons retrouvé cette création découverte l’an passé à Redon.
Pour mémoire, Erwan HAMON et Yousef ZAYED se sont rencontrés lors du projet Kharoub du HAMON-MARTIN QUINTET +Basel ZAYED et ont eu envie de monter un duo instrumental avec un répertoire fondé sur leurs propres compositions (et quelques emprunts à d’autres, comme Yann-Fanch KEMENER, Job DEFERNEZ et Ronan PELLEN).
Les compositions du duo, tantôt intimistes, tantôt plus dynamiques, sont évidemment inspirées par les musiques arabes et les musiques bretonnes et mettent en exergue toutes les combinaisons possibles entre les flûtes d’Erwan HAMON et le oud et les percussions orientales de Yousef ZAYED, avec un bel étalage de timbres et de couleurs sur des modes tempérés et non tempérés.
Témoignant d’une approche monodique raffinée et dépouillée, la musique de ce duo est un vrai ravissement que l’on espère voir se prolonger sur disque bientôt…
Bèrtran ÔBRÉE
Ardent défenseur de la langue gallèse (parlée traditionnellement en Haute-Bretagne), Bertrand ÔBRÉE était on ne peut plus à sa place dans ce festival, où il a interprété avec son nouveau groupe le répertoire de son sublime dernier album, Gherizon Papilhon.
Résolument tourné vers une démarche d’ouverture, le chanteur rennais tisse dans cette audacieuse création des liens entre le chant gallo, les airs de danse bretons et les modes et les rythmes des mondes méditerranéens, maghrébins et moyen-orientaux.
Danses du pays vannetais, quadrille rennais, chanson acadienne, chant kurde, air à danser turc, maqâm oriental et chaabi maghrébin se sont savamment et gracieusement mêlés et entrelacés dans des pièces aux prodigieuses envolées instrumentales qui faisaient la part belle aux instruments à cordes (violon, oud, contrebasse) et aux percussions (Jérôme KERIHUEL, qui remplaçait Gaël MARTINEAU sur ce concert, s’en est brillamment sorti, ce qui n’étonnera guère les connaisseurs de son talent…).
Ce n’était a priori pas le type de concert susceptible de faire s’éclater un public de samedi soir venu « teufer », mais en Bretagne, c’est bien connu, tout finit fatalement par des danses !
Dimanche 27 juin
Festival La Prée en fête, à Monterfil : la « coda » !
La version « covid » de la Gallésie en fête s’est officiellement tenue sur deux jours, les 25 et 26 juin derniers. Mais notre petit doigt nous a recommandé de revenir le lendemain, et bien nous en a pris puisqu’on a assisté à une troisième journée de spectacles, cette fois hors programme.
Cette sorte de festival « off » était en fait destiné aux bénévoles du festival, sans qui rien n’aurait pu se faire, comme il est de coutume. Le président du festival les a chaleureusement remerciés lors d’une émouvante allocution avant de céder la place à deux concerts officiellement non prévus. La journée fut aussi « animée » par un curieux et drolatique garde-champêtre. Et pour couronner le tout, contrairement aux deux journées officielles du festival, le soleil avait en ce jour décidé de mettre fin à son confinement !
Duo PICHARD / VINCENDEAU
En musique traditionnelle bretonne, depuis quelques années, la formule en duo ne se limite plus au couple biniou-bombarde. D’autres combinaisons sont possibles, comme l’ont démontré Steven VINCENDEAU et Willy PICHARD, qui ont monté un peu commun « duo à bretelles » !
Le premier avec son accordéon et le second avec sa vielle à roue ont proposé une relecture dynamique et audacieuse du répertoire à danser breton, agrémenté de compositions personnelles, alliant à leur belle maîtrise technique une inspiration nourrie à d’autres influences pour créer une musique hautement symbiotique qui s’adresse tant aux danseurs qu’aux auditeurs affûtés.
Le duo PICHARD / VINCENDEAU prépare un second album et a monté également une formule… en quintet !
ISTAN TRIO
C’est par une sensationnelle expédition sur un itinéraire bis de la Route de la soie que s’est clôturée la journée « off » de La Prée en fête, grâce au trio ISTAN, composé de Sylvain BAROU aux flûtes, Ronan PELLEN au cistre et Julien STÉVENIN à la contrebasse.
Ces trois-là sont connus pour avoir l’âme et la note baroudeuses, et ils l’ont démontré on ne peut mieux avec ce concert dont le répertoire s’appuyait en grande partie sur leur album sorti l’an passé (lire notre chronique).
Le concert n’a fait que confirmer le grand bien que je pense de cette formation, dont la musique part des chemins de terre bretons pour s’aventurer, via les sentiers du jazz, toujours plus vers le Grand Est, en passant par la Turquie, le Kurdistan, l’Irak, l’Ouzbékistan, pour mieux revenir vers l’Irlande, puis à nouveau en terre bretonne, histoire de défouler l’auditoire sur des danses libératrices, avant de finir sur une note en apesanteur, aux confins du sous-continent indien, avec une reprise de Lotus Feet du groupe SHAKTI de Mister Mc LAUGHLIN !
Invitée à deux reprises sur le disque, la chanteuse et multi-instrumentiste Eleonore FOURNIAU (vielle, saz, davul) n’était hélas pas présente sur ce concert, mais le trio a pallié à son absence en jouant des pièces instrumentales qui restent à graver… sur un prochain album ?
En tout cas, c’est les pieds sur terre et la tête dans les nuages ensoleillés qu’on a quitté la Prée en fête… Merci ISTAN !
Texte : Stéphane Fougère
Photos : Sylvie Hamon