CLAN NORDAG – Triade
(Autoproduction)
J’ai déjà eu l’occasion de m’intéresser de près à Frank NORDAG. C’était en 2018, concernant la sortie de Memory Park, son premier album en duo avec Jarl MYSELFSON. Un album d’électro-rock français par ailleurs tout à fait remarquable. Il nous revient maintenant en trio avec son nouveau groupe, le CLAN NORDAG, et avec un album dénommé, très justement, Triade. Rien à voir stylistiquement avec le duo MYSELFSON dont je parlais plus haut, même si Frank NORDAG qualifie CLAN NORDAG d’électro-folk-rock. Ici, c’est le terme folk qui change tout, dans les climats, les paroles et l’esprit. Ce qui change aussi, c’est qu’avec le duo MYSELFSON, on avait affaire à deux musiciens/chanteurs aguerris pratiquant une musique très affirmée. Avec le CLAN NORDAG, seul Frank NORDAG est un musicien confirmé alors que ses deux partenaires, Irène et Hermine, seraient plutôt encore en voie d’affirmation de leurs grands talents.
Cela dit, autant vous le dire tout de suite, c’est avec un énorme plaisir que je chronique ici ce Triade, même si l’album, qui est vraiment très bon, aurait pu être, à quelques détails près, excellent. Puisque Irène se réfère à l’Arbre-Monde Yggdrasil dans une de ses chansons, je ferais pour ma part référence à l’Arbre des Séphiroth pour vous présenter le CLAN NORDAG, Frank NORDAG incarnant solidement l’axe central grâce ses instruments et ses arrangements, Irène représentant la colonne de la Rigueur de sa voix profonde et puissante, Hermine représentant elle la colonne de la Miséricorde de sa voix fluide et aérienne.
Je traduis en clair. CLAN NORDAG est un groupe sympathique qui vient de sortir un premier album, Triade, aussi sympathique que lui, à la fois régional, on y chante en breton, et plein de légendes celtes et de mythologies nordiques, de surcroît non dénué d’humour, avec un Frank NORDAG, très à son aise en grand architecte, flanqué à sa gauche et à sa droite de deux chanteuses co-compositrices très douées, Irène et Hermine, aux voix tour à tour ardentes ou angéliques.
Pour ce qui est de la structure de l’album, Triade totalise 12 titres, qu’on peut diviser sans trop d’inexactitudes en trois parts, 2 musiques et 2 chansons pour Frank NORDAG, soit 4 morceaux en tout, 4 chansons pour Irène, et enfin 4 chansons pour Hermine. C’est plutôt bien réparti. Triade part joyeusement un peu dans toutes les directions pour ce qui est des thèmes abordés, ce qui est assez normal, le CLAN NORDAG étant composé de trois personnalités ayant visiblement des caractères et des aspirations/inspirations très différentes. Disons quand même que cet éparpillement constitue l’un des charmes de Triade, qui progresse de titre en titre un peu à la manière d’une promenade cheminant d’une personnalité émotionnelle et musicale à une autre.
À tout seigneur de clan, tout honneur. Si son In Utero est certainement un jeu de mot sur Intro, c’est sa chanson Le Dernier Viking, entonnée d’un timbre clair et résolu, que je retiens de Frank NORDAG. Ici, un viking dénommé Björn se fait visionnaire du futur et se vit au milieu d’un carrefour parcouru de voitures bruyantes, cauchemar ô combien prémonitoire. Est-ce le Ragnarök ? s’inquiète notre Björn. Bien sûr, pour le reste Frank NORDAG fait carrément bien le boulot, sur tous les fronts question instruments, rythmiques et arrangements.
Irène semble la plus en recherche de ce petit clan. Avide des mystères de ce monde et de voies mystiques, c’est justement avec sa voix chaude et ferme qu’elle trouve son équilibre et sa plénitude. Et c’est donc très logiquement à elle que Triade doit son superbe Yggdrasil, chanson mi-angoissée mi-rêvée concernant le Frêne-Univers de la mythologie nordique. Mais je dois dire que la voix d’Irène est encore plus époustouflante sur sa chanson Le Bouclier de Freya. Ses vocalises en arpèges ascendants sont vraiment de toute beauté.
Last but not least, je termine par Hermine. Avec sa voix, pourtant la plus expérimentée de toutes, et la plus fluide et aérienne aussi, elle ne chante pourtant que les chansons les plus brèves, à peine deux minutes et quarante petites mais magnifiques secondes en ce qui concerne La Caravelle et Brocéliande. Je pense que Triade aurait gagné à plus d’ampleur dans l’exploitation et l’exposition de sa voix. Un peu de frustration, donc, concernant Hermine, c’est le seul vrai bémol que j’émets.
Triade constitue réellement un très bon album qui, pour moi, passe d’un rien à côté de l’excellence. Je ne voudrais surtout pas terminer cette chronique sans vous parler d’Elin TAWELL, l’artiste peintre qui a réalisé toutes les illustrations qui ornent et embellissent l’album. Grâce à elle, Triade s’écoute et se savoure autant qu’il s’admire !
Cinq questions à Frank NORDAG
Pourrais-tu te présenter humainement ?
F. NORDAG : Je suis un artiste assez rêveur et idéaliste qui aime transmettre des émotions poétiques au public pour le faire voyager hors de son quotidien et parfois lui transmettre un peu de culture et des sujets de réflexion. J’ai un tempérament au sang froid accompagné d’une tasse de créativité, d’une cuillerée de curiosité et d’une pincée d’humour, d’ailleurs, je ne me prends pas trop au sérieux (l’autodérision est un bon moyen pour briser la glace avec la plupart des gens). J’essaie de garder une attitude humble dans ma vie personnelle, car l’apprentissage ne s’arrête jamais pendant la vie.
Pourrais-tu nous résumer ton parcours musical ?
F. NORDAG : J’ai pris des cours de piano et de solfège pendant mon enfance : j’ai commencé à cette époque à composer des petits morceaux dans le style des musiques de jeux vidéo des années 1980 que j’aimai bien. À l’adolescence, j’ai attrapé le virus de la guitare électrique puis j’ai appris en autodidacte la MAO. Mon frère aîné m’a largement influencé musicalement par sa vaste collection de disques pointus dans des styles éclectiques (Coldwave, Heavenly Voices, Pagan-folk, rock indépendant, synthpop…). À partir de la vingtaine, j’ai conçu quelques albums amateurs en solo et j’ai joué dans différents groupes (LIXIVIATH, HOLBROOK JM…). L’expérience la plus importante de mon parcours fut la réalisation de l’album de MYSELFSON intitulé Memory Park en 2018 dans un registre électro-rock-indus : ce fut mon 1er album ayant une dimension professionnelle en terme de qualité.
Comment est né CLAN NORDAG et avec quel idée de fond ?
F. NORDAG : Parallèlement à mon travail avec MYSELFSON, je composais des morceaux instrumentaux en solo sous mon pseudo « Frank Nordag ». En 2017, je poste sur Facebook une démo qui s’intitule In Utero. Hermine (avec qui j’étais déjà ami) me propose directement d’enregistrer des vrais chœurs à la place des chœurs sonnant synthétiques. À partir de cet instant, tout va très vite : on se rencontre, puis deux amis en communs nous rejoignent pour faire des répétitions et des enregistrements. Cependant, seule Hermine s’investira vraiment dans le projet (les autres membres quitteront l’aventure naturellement par manque de temps). Les enregistrements des premières chansons avec paroles commenceront cette même année avec Hermine.
En 2018, j’ai rencontré Irène durant une soirée chez une amie en commun. Nous avons eu un coup de cœur artistique réciproque (nos univers étaient proches) , ensuite, elle rejoignit le groupe. Le nom du groupe CLAN NORDAG fut adopté à l’unanimité et la formation devint définitivement un trio composé d’Irène, Hermine et moi-même, tous 3 auteurs/compositeurs/interprètes. Le style musical du groupe (électro-folk-rock) se fixa en 2018 également. Concernant notre démarche artistique, nous avions fait le choix de chanter tous les morceaux en français sur des morceaux inspirés par la musique traditionnelle avec des influences modernes pour préserver et renouveler un peu le patrimoine musical français à notre niveau.
Pourrais-tu nous parler de ta chanson Le Dernier Viking et sa signification pour toi ?
F. NORDAG : Le Dernier Viking conte l’histoire d’un viking nommé Björn qui fait un rêve : il est téléporté au XXIe siècle dans une ville (son ancien bourg). Il décrit ce qu’il voit avec ses mots à lui donc il utilise des métaphores (la métaphore « des images vivantes » signifie « des écrans », « le char » désigne « la voiture »…). Cet homme égaré au XXIe siècle ne comprend pas ce monde futuriste (« la ville parjure » a rompu le fil du passé) ni les gens aux nouveaux mœurs qu’ils croisent (il voit des « pantins » hypnotisés par leurs écrans). La foule semble avoir perdu son humanité… Choqué, Björn sonne donc le cor pour appeler à l’aide, car il se demande s’il s’agit du Ragnarök (c’est l’équivalent de l’apocalypse dans la mythologie nordique). La situation anachronique de Björn permet de faire réfléchir l’auditeur sur le présent en se plongeant dans les perceptions du viking.
À travers cette chanson, je fais passer le message suivant : nous héritons chacun de la terre de nos ancêtres (peu importe quelle région) donc le peuple doit savoir faire preuve de prudence pour concilier le progrès technique avec un projet de société sain, viable et sans rupture radicale avec le passé (par exemple, la ville de Dresde a été reconstruite à l’identique, je trouve que c’est une bonne démarche, car cela permet de conserver l’âme de la ville). Je précise au passage que ma vision du progrès est bien sûr plus nuancée que Björn : j’apprécie certaines avancées tout comme je peux parfois être opposé à certaines dérives ; il s’agit de discerner, car c’est du cas par cas.
Que penses-tu de cette tendance, à laquelle tu participes maintenant plus ou moins désormais, de certains groupes à s’inspirer des anciennes mythologies nordiques alors qu’ils ne sont en rien scandinaves et vivent dans les années 2000 ?
F. NORDAG – Je pense qu’il y a un effet de mode dû au succès de la série Vikings et aux succès des groupes Néofolk nordiques (WARDRUNA, HEILUNG….). Je ne connais pas assez les groupes non scandinaves qui s’inspirent des anciennes mythologies nordiques pour te donner mon opinion sur le sujet, cependant, je vais en profiter pour t’expliquer nos choix artistiques. Irène, Hermine et moi, nous sommes tout simplement passionnés par l’époque médiévale, c’est une bonne source d’inspiration pour les musiciens.
Concernant la culture nordique, elle a une place un peu près équivalente avec la culture celtique sur notre album : Irène et moi, nous avons bien des références nordiques dans nos textes mais ce n’est pas le cas d’Hermine qui est à fond bretonne.
Plusieurs raisons expliquent les références à la mythologie nordique dans notre disque :
– Les peuples germaniques ont globalement la même mythologie que les scandinaves avec des variations donc cela concerne en partie la France (la France a été envahie par plusieurs peuples germaniques au moyen-âge).
– Nous apprécions la musique folk traditionnelle nordique (GARMARNA, MYRKUR, GJALLARHORN…).
– Me concernant, j’ai à la fois des origines flamandes et des origines normandes donc j’ai quelques liens (pour autant, je ne renie pas mes origines bretonnes sur ce disque). Par ailleurs, j’ai déjà voyagé en dans plusieurs pays scandinaves (Islande, Norvège, Suède, Finlande et Danemark).
Cinq questions à Hermine
Pourrais-tu te présenter humainement ?
Hermine : C’est une question très intime ! J’ai une trentaine d’années, des tas de diplômes de trucs intellos qui ne font pas rêver, un travail de bureau pour me nourrir, une collection d’instruments du monde, une collection d’amis adorables, deux Schtroumpfs, un parcours de vie tout cassé et une passion envahissante pour la musique. Mes bizarreries et leur confrontation à la vie moderne m’ont rendue plus sensible, tolérante et ouverte aux autres. Me replonger dans mes racines musicales et bretonnes est un soutien quotidien très important pour moi.
Quel a été ton parcours musical jusqu’ici ?
Hermine : Je suis née en Bretagne dans l’univers musical de ma famille : musique principalement vocale, ancienne, traditionnelle, bretonne, médiévale, celtique, baroque et classique. J’ai appris à chanter du grégorien (plain chant monophonique religieux médiéval) à partir de mes 7ans, avant de rejoindre un programme scolaire au collège puis au lycée qui m’a fait découvrir l’harmonie vocale et le chant chorale à voix égales, puis à voix mixtes, dans de nombreuses langues (italien, français, allemand, anglais, espagnol, latin, etc). En parallèle, à 12 ans, j’ai supplié mes parents pour acheter ma première guitare et j’ai appris à en jouer en autodidacte pour accompagner les veillées des camps scouts. C’est à l’âge adulte, après des années très difficiles à Paris, que j’ai repris goût à la vie à travers la musique.
Membre du chœur de la Trinité pendant plusieurs années, j’ai découvert un répertoire sacré de grands compositeurs variés (BACH, MOZART, MESSIAEN, DURUFLÉ…) dans l’acoustique si particulière de cette grande église parisienne. C’est à cette époque que j’ai commencé à collaborer avec Frank NORDAG, ami de ma région natale, pour enregistrer des chœurs. C’était ma première rencontre avec les procédés de MAO et de composition. Prise du virus de la musique et du son, j’ai commencé alors auprès de Frank NORDAG un voyage initiatique, une véritable aventure qui m’a conduite à apprendre à jouer de la harpe celtique, à prendre des cours de chants, à composer et écrire des chansons, à collectionner des instruments du monde, et à faire de la musique de rue. La sortie de l’album Triade du CLAN NORDAG en 2021 constitue ma plus grande expérience musicale à ce jour.
Ta voix semble scintiller comme la Lune quand tu chantes La Caravelle. Peux-tu nous parler de cette chanson et nous dire ce qu’elle signifie pour toi ?
Hermine : Je suis très touchée ! C’est une chanson qui m’est venue d’un coup, un matin, sous ma douche. Des petites vocalises joyeuses m’ont traversées l’esprit… des paroles symboliques sont arrivées par ma bouche… Cette chanson est une étape pour moi, car elle est joyeuse, tandis que j’ai un côté très sombre et mélancolique. C’est l’histoire d’une femme dans ses pensées, qui marche dans la forêt, la nuit. L’homme qu’elle aime, celui qui a allumé le feu dans son cœur, je crois qu’il est loin, parti en mer, comme beaucoup de Bretons. Elle rêve, elle délire, elle voit des nuages qui lui rappellent les voiles du bateau qui a emmené son amour. Elle entends des voix dans les bois, et elle rêve que c’est lui, qu’il chante, qu’il l’appelle. Elle rêve de le retrouver. La lune est seul témoin de ce moment dont on on ne sait pas bien s’il est purement onirique, ou s’il se conclue vraiment par des retrouvailles amoureuses. Je pense que cette femme, perdue dans ses pensées, d’une certaine façon, c’est un peu moi…
Dans Brocéliande, tu abordes d’une manière ensorcelante le thème de cette forêt de légendes. Peux-tu nous dire de quoi parle cette chanson et ce qu’elle fait naître en toi quand tu la chantes ?
Hermine : Brocéliande, c’est le produit de souvenirs inconscients de mon enfance. J’ai été très marquée par les contes et légendes, quand j’étais petite fille, et encore plus lors de mes visites en Brocéliande. Lorsque j’étais petite et que je rentrais chez mes grands-mères, dans le noir, j’avais même authentiquement peur des Korrigans ! Les paroles de Brocéliande me sont venues assez naturellement, je dirais presque naïvement. C’est a posteriori que j’ai analysé leur origine dans les méandres de mon cerveau. Dans la légende, la fée Morgane, sœur de Merlin, a pétrifié l’élu de son cœur qui avait osé lui préférer une mortelle, ainsi que la jeune donzelle. Devant le Val sans retour, d’où les jeunes chevaliers infidèles ne reviennent jamais, on peut voir un rocher très évocateur d’un couple enlacé et pétrifié… Ce rocher, je l’ai vu, plusieurs fois ! Lorsque que je chante Brocéliande, je me sens dans la peau de la petite fille que j’étais : rêveuse et naïve, impressionnée par la puissance des fées et l’injustice et l’impuissance des mortelles…
D’une manière générale, qu’évoquent pour toi les légendes anciennes, notamment par rapport à notre monde actuel ?
Hermine : Les légendes anciennes, les contes, sont des vecteurs de transmission extraordinaires de racines culturelles fortes. Ils portent des messages que leur auditeur intègre dans sa compréhension du monde. Née en Bretagne, j’ai été bercée d’un certaine façon par l’image de femmes fortes, issues du souvenir des déesses celtes anciennes, de l’intrusion du surnaturel dans les destins humains, du mélange entre le religieux et le superstitieux… Le monde moderne, dans sa tendance vertueuse à vouloir abolir les frontières, a pour travers d’uniformiser les cultures en déracinant d’une certaine façon les gens. Or, je suis persuadée qu’on ne peut pas s’ouvrir authentiquement aux autres sans connaître ses racines (s’enraciner). Pour aller quelque part, il faut savoir d’où on vient… C’est pour cela que j’ai à cœur de transmettre ce que j’ai reçu, enfant, et qui me semble être un cadeau. Je serais très triste que l’héritage culturel de ma belle Bretagne soit perdu un jour. En parallèle, les légendes anciennes ont le mérite d’être dans le symbolisme, et offrent un support pour parler de façon universelle de sujets difficiles qui peuvent être tout à fait modernes, voir intemporels : l’amour et la peur de sa perte, par exemple. Le format des légendes permet une certaine mise à distance qui protège l’intimité.
Cinq questions à Irène
Pourrais-tu te présenter humainement ?
Irène – Très cher chroniqueur inconnu… Je viens de recevoir cette liste de questions par mon ami Thierry, et je dois avouer, avant de commencer, que je me sens déjà toute émue (-stillée… émustillée… vous l’avez ?) à l’idée de me livrer à un tel exercice. Donc déjà… merci… ne serait-ce que pour la précision de ces questions qui témoigne d’une écoute sensible et… merci pour l’intérêt que vous portez à notre album ainsi qu’aux artistes qui se cachent derrière. Alors… hum hum… me présenter humainement… Bon bah je dirais que j’ai une silhouette plutôt classique hein… deux bras, deux jambes, une tête (pas trop mal faite, franchement, j’ai pas trop à me plaindre…) donc… Pardon ? Ah ! À l’intérieur vous voulez dire ? Ah ! nan mais faut préciser… moi je croyais qu’il fallait mes caractéristiques humanoïdes… Euh, alors… je suis une extravertie complètement foldingo qui peut devenir subitement une chatounette effarouchée hyper timide, sauvage et solitaire. J’adore faire la fête, rire, chanter et danser jusqu’au bout de la nuit avec mes zamis autant que mes petits rituels de mamie bien proprette, avec sa petite salade, sa petite tisane, son petit cacheton… (Ah bouh ! Nan ! Pardon, pas les cachetons !) Bref. Humainement un poil complexe mais y en a qui m’aiment quand même alors…
Quel a été ton parcours musical jusqu’ici ?
Irène : Mon parcours musical… Ouh ! là… (Maman au secours !) Eh ! bien commençons par ma mamounette tiens… Fascination de la dextérité de ses doigts courant sur son piano dans le salon… Vouloir faire pareil et se la péter devant les premières copines en s’indignant avec excès « Keuwah ??? Tu sais pas jouer J‘ai du bon tabac ? Attends, je vais t’apprendre. C’est trop facile… » Désespoir maternel face à l’incapacité de sa fille à intégrer ses leçons de violon, piano, solfège. Elle chante aux grenouilles et aux petits oiseaux. On oublie tout de suite l’idée du conservatoire ou de l’opéra. À 10 ans… comment ? Vous êtes pressé ? Ah zut bon bah… d’accord : je me dépêche.
Nan mais en plus j’ai franchement pas grand-chose à dire pour cette partie donc… je brode un peu quoi… Ah ! si, tiens ! Un truc drôle qui a vachement compté pour moi dans ce « parcours musical » et que j’ai rarement raconté. Ma rencontre complètement surréaliste avec un jeune couturier juif-marocain transsexuel (qui cherchait du bon tabac d’ailleurs… coïncidence ?). Alors oui, ça fait beaucoup sur une carte de visite, mais cette rencontre (initialement axée sur la couture) m’a permis, après une dizaine d’années de silence et d’extinction de soi(e), de retrouver l’usage de mes cordes vocales… J’en dirai plus si jamais y a d’autres interviews dans le futur. Et après, un sac à dos, une guitare et un peu de « busking ». Un défi personnel pour sortir de ma timidité, zone de confort, etc. Allez zou ! Question suivante !
Tu sembles très habitée et émue quand tu chantes Yggdrasil. Peux-tu nous parler de cette chanson et nous dire ce qu’elle signifie pour toi ?
Irène : Yggdrasil. Aouch. Ayé. On rentre dans le sérieux là. Attaque du tronc… Faut que j’arrête de dire n’importe quoi… (… la dame vient de s’octroyer 5’38 » minutes de recentrage pour répondre à la question.) Yggdrasil aura été pour moi un accouchement difficile. C’est une chanson puissante, « qui était là » mais que j’ai eu du mal à « excaver ». Il a fallu pousser pour la sortir. Cependant, quand je l’écoute aujourd’hui, avec l’atmosphère si particulière qu’a su lui conférer le talent de Frank NORDAG, je suis heureuse de constater que, selon la formule consacrée, « elle me fout les poils ».
Yggdrasil, c’est la kundalini nordique. L’Axis Mundi des Scandinaves. Le Tao de là-haut où c’qui fait plus froid que chaud. C’est le pilier du Multivers, la synthèse de tous les contraires, la stabilité au cœur du mouvement et l’agitation de milliards de particules dans le tréfonds de la matière. C’est un truc qui te donne le tournis sans bouger et pis paf !, qui peut te faire croire que t’es posé, tranquille, équilibré, alors même qu’il tournicotte encore plus vite qu’une marmotte dans sa cagnotte. Bref. Tu vois ta colonne vertébrale ? Tu vois tous tes vaisseaux sanguins qui irriguent d’énergie ton petit corps humain ? Yggdrasil, c’est un peu tout ça. La Tradition lui a donné la figure de l’Arbre, car c’est le symbole qui est le plus accessible pour la compréhension limitée de nos cerveaux de bambins.
Mais c’est un concept extrêmement complexe qui donne autant de frissons qu’un vertige sans nom quand on l’aborde… Là, avec cette chanson, on le caresse, on le frôle… Il fera peut-être naître chez certains des images, des sensations… (Je le souhaite de tout mon cœur pour être honnête…) En tout cas pour moi, ça me permet de m’appuyer sur une structure. Un socle solide. Une base en laquelle je peux, si je prends le temps et la peine de m’y « connecter », retrouver des forces lorsque j’en manque. Je ne sais pas si ça le fait pour tout le monde, mais je visualise clairement, avec cette chanson, quelque chose (une énergie ? une aura ?) qui s’expanse en prenant la forme d’un arbre qui croît et « pousse » littéralement la peau, l’enveloppe charnelle au point de la percer et la dépasser… Une allégorie du Spirituel reprenant ses droits sur le Matériel ? Peut-être… à chacun la liberté de ses propres interprétations après tout.
Ton chant est impressionnant dans Le Bouclier de Freya. Peux-tu nous dire de quoi parle cette chanson et ce qu’elle fait naître en toi quand tu la chantes ?
Irène – Ah!… ma petite Freya… avec plaisir pour vous en dire un peu plus sur cette chanson que j’affectionne tout particulièrement… Je la vois comme un hymne à l’âme guerrière qui sommeille en chacun de nous mais que, trop souvent, des peurs et des mémoires sombres sont venues étouffer. Encore une fois, c’est une allégorie. Sous les traits d’une petite fille/adolescente endormie (aux pieds d’un Frêne, soit d’Yggdrasil, l’Arbre Cosmique, on ne l’oublie pas…), l’âme est en sommeil mais se met soudainement à « vibrer ». Un bruit assourdissant de cavalcade vient troubler le silence de la forêt. Surgit alors dans un immense nuage de fumée, une femme aussi resplendissante qu’effrayante, cuirassée de la tête aux pieds et menant une puissante armée de… pfiouuu… y en a trop ! Des milliers de chevaliers en armure…
Bon, en gros, c’est l’histoire de ta plus grande solitude face à Ze figure d’autorité qui claque sa race et que t’es en état total de sidération, d’apoplexie ou c’que tu veux et bref. Tu vois déjà l’issue de la confrontation avec le Zéro absolu de l’humiliation face au camp adverse, lorsque soudain, retournement inattendu de situation, y a une FORCE, encore plus puissante et massive que celle qui te fait face qui vient prendre ta défense… et parler pour toi. Du coup ! Magie-magie-et-vos-idées-ont-du-génie, au lieu de te défoncer la trogne comme tu le craignais au départ, la méga grosse armée qui te mettait en PLS va compatir pour ta plus profonde et sincère détresse (que tu savais même pas que tu l’avais tout à l’intérieur de toi) et même se ranger secrètement à tes côtés pour t’épauler dans ce que tu dois véritablement affronter. Et donc, pif paf pouf !, après ce rêve diablement agité, l’Âme grandie, toujours symbolisée par notre jeune fille, se réveille en découvrant qu’elle a entre les mains, une protection magique, puissant souvenir de sa bouleversante rencontre onirique…
Bon, la première fois que j’ai interprété la version bêta de cette composition, je crois que j’aurais pu partir à la chasse à l’ours tranquillou pépouse. Mais laissons ces braves bêtes en paix et achevons cette interview avec la dernière question.
D’une manière générale, qu’évoquent pour toi les mythologies antiques, notamment par rapport à notre monde actuel ?
Irène : D’une manière générale, qu’évoquent pour toi les mythologies antiques, notamment par rapport à notre monde actuel ? Bon bah je crois que j’y ai déjà un peu répondu nan ? Je vois les mythes comme des forêts de symboles (Coucou Charles !) qui résonnent en nous selon notre sensibilité propre et nous apportent des clefs de compréhension tant sur nous que sur le Monde et notre rapport à celui-ci. Ils sont des Maîtres, en ce sens où ils peuplent nos esprits de façon plus ou moins consciente et peuvent nous apporter un enseignement, à différentes échelles. Les histoires, les mots, les images parlent à nos âmes avant de s’adresser à notre intellect. Le propre du symbole est qu’il n’a pas besoin du mental pour être intégré. Le mental apporte évidemment un degré de compréhension supplémentaire dont l’esprit assoiffé de connaissances saura se satisfaire.
Mais le symbole recèle en lui-même une étincelle de Connaissance. Et chaque étincelle est porteuse de l’onde de choc qui provoquera un sursaut de conscience. Les Mythes sont la source de Lumière jaillissant de notre passé le plus ancien destinée à éclairer notre futur. Lorsque nous perdons pied ou que nous fonçons droit dans le mur, ce n’est plus notre tête « pseudo-pensante » qui pourra nous tirer de la situation dans laquelle nous nous sommes empêtrés. C’est notre cœur. Rebelle à tout ce qui se dit, se croit ou se prétend raisonnable. Notre cœur, nourri avec amour par les mythes qui fondent sa plus grande richesse intérieure, SAIT ce qu’il a à faire. Il n’y a en vérité rien de plus sérieux que les plus folles histoires de cœur. Merci encore d’avoir écouté notre Triade avec tout le vôtre…
Chronique et entretiens réalisés par Frédéric Gerchambeau
Pages : Triade (Album) | Clan Nordag (bandcamp.com)