Ghédalia TAZARTÈS :
un « impromuzicant » s’est éclipsé totalement…
Le compositeur, musicien et vocaliste parisien Ghédalia TAZARTÈS nous a quittés le 9 février 2021 à 73 ans. Défiant les styles, les étiquettes et toutes formes de classification normative, Ghédalia TAZARTÈS était l’incarnation type de l’ »artiste vivant », c’est-à-dire spontané, en mouvement constant, ancré dans l’action, dans le moment. Il s’est constitué un savoir-faire et des techniques très personnelles pour élaborer un imaginaire aux ramifications multiples, au carrefour de la musique concrète et de la poésie sonore qu’il définissait lui-même comme de l’« impromuz ». Véritable homme-orchestre, son art privilégiait la voix, dont il a exploité nombre de possibilités, qu’elles soient chantées ou parlées et qu’il traitait via des manipulation de bandes. Il jouait aussi de plusieurs instruments en autodidacte, comme la trompette, l’harmonica, le bol tibétain, l’accordéon, des flûtes, des claviers, des percussions…
Ghédalia TAZARTÈS a utilisé la voix comme un moyen de voyager. À la fois chamane et nomade, il s’est inventé des incantations dans des langues différentes et imaginaires, combinant les hypnoses de la psalmodie muezzin aux secousses du hurlement punk. Son « chant » empruntait à de nombreuses langues du monde, qu’elles soient minoritaires ou majoritaires, aux expressions savantes et populaires, aux « parlers » ruraux et urbains, aux chansons d’hier et de là-bas.
De cet assemblage d’éléments et de matières sonores de diverses natures, Ghédalia TAZARTÈS s’est inventé une langue musicale bien à lui, « impromuziquée ». Il a cristallisé ces éléments du « patrimoine immatériel » non pas pour créer un « folklore imaginaire », encore moins pour faire de la « fusion », mais bien plutôt pour les confronter et les faire résonner dans le grand fracas du monde, pour souligner et pour renforcer leur sens, pour les faire parler, usant de bandes magnétiques Revox pour créer des images sonores coupées, traitées et montées comme des scènes d’un film destiné aux oreilles.
Ce choix de faire parler les objets sonores, de s’approprier les idiomes des cultures traditionnelles et de faire valoir leurs différences intrinsèques a été mis en évidence dès son premier album, précisément nommé Diasporas (1979), et confirmé par ses disques suivants (Transports, Une éclipse totale de soleil, Tazartès, Check Point Charlie, Voyage à l’ombre…), tous étant des œuvres solistes qui ont marqué leur temps, justement parce qu’elles échappent aux « faires » des époques.
Artisan précurseur d’une certaine approche sonore poétique à base de collages et d’agencements singuliers, Ghédalia TAZARTÈS a cultivé une modernité de l’hybridation qu’il a eu de cesse de redéfinir et de faire aller de l’avant dans un va-et-vient permanent entre les territoires, les multiplicités…
Bien que fondateur d’un art au départ résolument soliste, Ghédalia TAZARTÈS s’est ouvert à des collaborations variées, notamment en trio avec Jac Berrocal et David Fenech (Superdisque, en 2011), avec le groupe GOL (Alpes, 2013), Yumi Nara (Voyage à l’ombre, 1997), Raphaël Glucksmann (Granny Awards, 2011), etc.
Ayant de plus travaillé pour le théâtre (Philippe Adrien, Bernard Sobel, Bertrand Sinapi…), la danse (François Verret) et le cinéma (Yolande Zaubermann, Catherine Corsini, Ismaël Ferroukhi…) Ghédalia a de même exploré certains domaines littéraires et poétiques, réinterprétant Mallarmé (Merci Stéphane, dans l’album Tazartès), Flaubert, Rimbaud, Verlaine (cf. le EP 5 Rimbaud 1 Verlaine), Daumal…
Inaugurateur d’une « différence poétique » de captation du monde, de ses sons, de ses voix, Ghédalia TAZARTÈS a fait bien plus que de s’inscrire dans une modernité ou dans une post-modernité ; les empreintes qu’il laisse, bien que déjà passées, dépassent celles qui n’ont pas encore été faites. Adieu l’artisan « impromuzicant », et à toujours en pèlerinage sur les routes nomades…
Article réalisé par Stéphane Fougère
– Photos : Sylvie Hamon
(concert au festival la Voix est libre,
avec Jac Berrocal, David Fenech et Altai-Khangai, Paris, 2012)