Gilles SERVAT
Toujours plus à l’Ouest !
Depuis le début des années 1970, Gilles SERVAT est l’une des figures de proue de la chanson en Bretagne et, au même titre qu’Alan STIVELL, Dan AR BRAZ et TRI YANN, il appartient à cette génération d’artistes qui a permis la reconnaissance de la Bretagne et de sa culture.
Auteur d’une œuvre considérable et toujours actif, Gilles SERVAT a célébré en 2015 ses soixante-dix ans ainsi que ses quarante-cinq ans de carrière. Une tournée a débuté en 2016 et a été suivie en 2017 de la sortie d’un nouvel album, 70 ans… à l’Ouest !!!
Entretien avec Gilles SERVAT
Ce nouvel album peut-il être considéré comme un bilan ?
Gilles SERVAT : C’est plutôt l’histoire de ma vie ! Il commence par « je naquis la nuit en février ». Après, je parle de tout ce qui s’est passé dans ma vie et qui a fait que je suis devenu chanteur. J’aime bien l’ambiguïté de l’expression « à l’ouest » qui a un côté déjanté qui me plaît bien. Les Bretons sont un peu « à l’ouest », ils sont un peu déjantés et c’est ce qui me plaît ici avant tout ! Des gens trop sérieux, je ne serai pas resté.
Quand on écoute l’album et qu’on regarde le livret, c’est aussi l’Ouest d’un point de vue géographique.
Oui ! Je suis né à Tarbes mais mes parents étaient nantais. Je suis né en février 1945. Le 08 mai c’était la fin de la guerre et mes parents sont rentrés à Nantes. Ensuite mon père a trouvé du travail à Cholet. J’y ai passé mon enfance et mon adolescence. J’ai fait les beaux-arts à Angers.
Et la découverte de la Bretagne ?
Je suis venu à Groix à Pâques 1969. J’y ai découvert de tas de choses et je suis devenu chanteur à ce moment-là. J’ai chanté un peu à Paris chez Ty-Jos à Montparnasse. La Bretagne et la culture bretonne ont été très importantes pour moi. J’ai aussi découvert la langue bretonne à Groix. Je savais que des gens parlaient breton. J’allais souvent au Croisic ou habitaient mes grands-parents et il y avait plein de gens qui y parlaient breton, des bigoudens en particulier.
Mais à Groix, j’ai découvert la poésie bretonne avec Yann-Ber KALLOC’H. C’était en 1969. On était un an après mai 68. Ça bouillonnait, ça bougeait beaucoup en Bretagne. Il y avait avant un mouvement qui était resté figé dans des trucs quelquefois assez à droite. Là, les jeunes avaient envie d’autres choses, envie de changer. Il y avait tout un mouvement qui s’est concrétisé par la grève du Joint Français, je ne sais pas si les gens s’en rappellent, qui a vraiment cristallisé beaucoup de choses.
J’étais allé chanter à la Fête de l’Huma avec René LE MARER qui était à la contrebasse et qui était au Parti Communiste et à la CGT. On s’était fait traiter d’alliés de la bourgeoisie parce que je chantais en breton. Au moment de la grève du Joint Français, j’ai fait plein de galas de soutient. Au mois de mai suivant la grève, en tête de la manifestation unitaire à Paris, car il y avait des manifs unitaires à cette époque-là, il y avait un drapeau rouge et un drapeau breton. A partir de ce moment-là, c’était fini ! Je n’étais plus traité d’allié de la bourgeoisie. Le drapeau breton est devenu le drapeau de tout le monde. C’était des années importantes qui ont dégagé beaucoup de choses.
Les mentalités ont finalement évolué depuis 45 ans.
Il s’est passé des choses vraiment intéressantes en Bretagne que je n’aurais pas imaginées dans mes rêves les plus fous, en particulier sur la langue bretonne. Je me rappelle d’une tournée sous chapiteau en Bretagne, on devait chanter à Arradon je crois et quand on est arrivé il y avait une interdiction du préfet. Heureusement, c’était fin août. On a cherché un paysan qui avait un terrain de libre et on est allé y installer le chapiteau. Il nous avait autorisé à le faire. Le soir, les gendarmes sont venus et ils ont relevés les numéros de toutes les voitures. On ne peut pas s’imaginer ça maintenant.
De ce point de vue-là, les choses ont bien changé, bien évolué. Les Bretons n’ont plus honte de ce qu’ils sont. Les Bretons avaient honte ! Les gens qui étaient le plus hostiles au fait que je chante en breton étaient des gens qui avaient été punis à l’école parce qu’ils parlaient breton.
Les bretons sont fiers de ce qu’ils sont. A partir de là, tout peut arriver maintenant. Moi, je peux partir tranquille (rires).
Par contre, dans la société, on a espéré beaucoup de choses en mai 68 et maintenant, c’est encore pire que c’était. Là, c’est la grosse déception. C’est retombé, quoi !
En 2006, pour tes 35 ans de carrière, tu avais demandé au public de choisir les titres. Cette fois, c’est toi qui les as choisis ?
C’est moi qui les ai choisis ! Il y a des chansons qui n’ont pas bougé comme Kalondour, la première, et Je vous emporte dans mon cœur, la dernière. Pour Le Moulin de Guérande, ça me tracassait car je n’avais pas fait de couplet sur ma mère donc j’ai rajouté un couplet sur ma mère.
Dans le medley, L’hirondelle est une chanson que j’ai écrite dans les années 70 et la situation n’était pas terrible. Cela a beaucoup changé, aussi j’ai changé les paroles : « Elle est revenue l’hirondelle. » Maintenant, les gens se parlent.
Pour Langues minoritaires, j’ai intégré, encastré, dans la chanson Yezhou bihan, une chanson en gallo. Cela me tenait un peu à cœur parce que je me suis rendu compte qu’il y a quelquefois des gens qui ont lutté pour la langue bretonne et ils ont une espèce de mépris pour le gallo. Je ne vois pas comment on peut défendre une langue et avoir du mépris pour une autre. Je voulais donner un coup de chapeau aux gens qui défendent le gallo.
Il y a Cholet d’mon enfance qui est une nouvelle chanson.
Tu as entamé une tournée. Peux-tu nous parler des musiciens qui t’accompagnent ?
On a commencé en juin 2016 et on a voulu attendre un peu pour avoir une idée de ce que ça pouvait nous apporter et de ce qu’on avait envie de faire. On a attendu un an pour faire le disque. On a bien fait car il y a des choses que je n’aurais jamais mises dedans sinon.
C’est une nouvelle formule. Il y a deux musiciens avec qui j’ai déjà travaillé, Patrick AUDOIN aux guitares et Philippe TURBIN aux claviers. Sinon, il y a Mathilde CHEVREL au violon et au violoncelle, Calum STEWART aux flûtes et à la cornemuse irlandaise et puis il y a Jérôme KERIHUEL aux percussions, beaucoup de percussions et il est assis par terre.
Je tiens à préciser que lorsqu’on a enregistré, Mathilde était dans la vingtaine, Calum dans la trentaine, Jérôme dans la quarantaine, Philippe dans la cinquantaine, Patrick dans la soixantaine et moi dans les soixante-dix. Et puis Mathilde est originaire de Rennes, Calum est écossais mais il habite à Nantes, moi j’habite dans le Morbihan, Philippe dans les Côtes d’Armor et les deux autres dans le Finistère.
Tous les coins de Bretagne et toutes les générations sont représentés et ça c’est super !
Sur cet album il y a des anciennes chansons que tu as pour certaines retravaillées. Un album entier de nouvelles chansons est-il envisageable ?
Il faut que je les écrive. Donc, quand ce sera fait, oui (rires) ! Il y a des gens qui me disent, « c’est ton dernier ! ». C’est le dernier… qui vient de sortir, mais ce n’est pas le dernier. Je n’ai pas l’intention d’arrêter là (rires). Il ne faut pas qu’ils se tracassent.
Tu as été caractérisé « chanteur engagé ». Il y a des combats qui te donnent encore envie de t’engager ?
Oui, il y en a un en particulier qui est en train de se profiler et qu’il va falloir par vraiment prendre au sérieux, c’est les mines. C’est très dangereux et il ne faut pas se laisser faire là ! Donc, à bas les sociétés minières (rires) !
Avec Alan STIVELL, Dan AR BRAZ et TRI YANN, tu fais partie des pionniers de la musique et de la chanson en Bretagne et vous êtes toujours présents. Que penses-tu des générations qui ont suivi et des musiciens qui démarrent en Bretagne ?
C’est super ce qui se passe ! En particulier, il y a une chose étonnante. Quand on a commencé à chanter, il y avait une chanteuse qui s’appelait MARIPOL, sinon c’était que des gars. Maintenant, il y a Annie EBREL, Marthe VASSALLO et Noluen LE BUHÉ qui sont parties sur quelque chose et depuis il y a plein de filles qui chantent, partout. Ce qu’on entend sur scène en Bretagne, ce sont des filles. C’est super ; ça fait ch… les machos, mais tant mieux (rires) !
En parallèle, tu as une carrière d’écrivain. Tu la poursuis également ?
C’est assez problématique pour un chanteur d’être écrivain. Il faut avoir du temps pour écrire. J’ai écrit un bouquin de nouvelles. Là, ça va parce que ce n’est pas trop long à écrire. Je vais profiter du temps libre pour essayer de faire un nouveau tome ou deux.
Tu continues aussi L’histoire du Cochon de Mac Datho ?
Je ne l’ai pas fait depuis longtemps. Il y a un autre conte qui pourrait lui succéder, qui se passe aussi en Irlande, qui est un peu l’histoire de Tristan et Iseult mais en beaucoup plus sauvage. J’aimerais bien faire ça donc je vais aussi le préparer.
Tu es nantais. La Loire-Atlantique n’a toujours pas été rattachée à la Bretagne !
C’est n’importe quoi ! On est coupé comme en Irlande. Il y a l’Irlande du Nord et il y a la Loire-Atlantique, c’est la même chose. En moins violent chez nous mais c’est une absurdité. Anne de Bretagne est née à Nantes, le Château des Ducs de Bretagne est à Nantes, moi je n’y peux rien. Mon arrière-grand-mère était originaire de Fay de Bretagne, près du Temple de Bretagne et de Vigneux de Bretagne en Loire-Atlantique. Ma mère a passé sa jeunesse à Sainte Reine de Bretagne, pas loin de Montoir de Bretagne en Loire-Atlantique. Je n’y peux rien si ça s’appelle comme ça (rires) ! Ils vont appeler ça comment, Sainte Reine des Pays de Loire ? Il faut arrêter le délire ! Il y a la Bretagne historique et la Bretagne administrative, c’est quand même copieux !
On peut espérer te voir au Festival Interceltique ?
Gilles : C’était soit 2017, soit 2018. Je pense que ce sera pour 2018.
Entretien réalisé par Didier Le Goff au Festival Interceltique de Lorient 2017
Photos : Sylvie Hamon au Festival du Chant de Marin à Paimpol 2017
Lire la chronique du CD 70 ans… à l’Ouest !!!