GJALLARHORN – Grimborg
(Vindauga / L’Autre Distribution)
Après nous avoir placé dans son album précédent sous les bons auspices de Sjofn, déesse scandinave suscitant l’éveil de l’amour et de la passion chez les êtres humains et protectrice des festivités printanières, GJALLARHORN nous convie avec son troisième opus à la réflexion existentielle, au repli méditatif dans des sous-bois nimbés de teintes automnales.
C’est une quête du « moi » occulte qui se raconte à travers les textes des ballades traditionnelles sélectionnées pour ce disque, une évocation des combats à mener pour accéder à la réalité profonde de l’être. Tel était le sens de cet antique rituel finlandais qui consistait à « faire grimborg », dans lequel les individus devaient tracer leur propre chemin à travers un dédale de rochers qui couvraient la côte, et ce, afin de délivrer une jeune fille prisonnière au centre.
À thématique profonde, musique complexe, intense… et volontiers grinçante, délicieusement rustique et pourtant si terriblement évolutive. Toujours marqué par les cordes violoneuses et la voix limpide et haut perchée de Jenny WILHEMS (rappelant celle de Lena WILLEMARK) et le bourdon insistant, créateur de tensions vibrantes, du didg… pardon, du « slideridoo » de Tommy MANSIKKA-AHO, GJALLARHORN n’a pas changé d’un iota sa formule, en dépit des quelques changements de personnel qu’il a récemment connu.
Côté cordes, le nouveau venu est Adrian JONES ; il joint sa mandole et son alto au « hardanger » de Jenny WILHEMS pour un mariage harmonique fait de suaves dissonances et de délicatesses râpeuses particulièrement mises en évidence par les instrumentaux. Le vigoureux Soeteren en est un très bel exemple, auquel le slideridoo et les percussions donnent une verdeur insoupçonnable. Dans Ella Lilla, c’est une clarinette et un saxophone soprano occasionnels (Ian BLAKE) qui annoncent le ton et le climat, que l’on devine menaçants.
C’est sans grand succès qu’on trouvera dans Grimborg un appel jovial à la danse, si ce n’est peut-être à travers le refrain aux syllabes sautillantes de Tora Little (Petite Tora). Cependant, la dynamique percussive a paradoxalement été renforcée de moult couleurs de peaux : aux « frame drums », au udu et au djembé de la nouvelle venue Sara PULJULA ont été ajoutées les percussions occasionnelles de Patrick LAX et le marimba, le tympani, le tambour chamanique, les cymbales chinoises, les djun-djun, j’en passe et des pittoresques, du percussionniste David LILLKVIST, qui jouait sur Sjofn, et qui, même crédité ici comme simple invité, reste très présent.
Avec pas moins de trois percussionnistes, GJALLARHORN accentue de plus belle la forte pulsion rythmique – déjà exprimée par le slideridoo – sous-jacente aux ballades telles que Grimborg, Herr Olof, Vallevan, toutes habitées par une tension d’abord sourde, puis se faisant plus impérative.
Mais loin de faire sombrer Grimborg dans une lourdeur rythmique saucé « world », ce renfort de percussions exotiques, plus frétillantes que tonitruantes, sert aussi à rendre manifeste cette dimension élémentale et surnaturelle chère à la mythologie scandinave. (Dans les histoires de GJALLARHORN, il n’est pas rare que les humains croisent des elfes et des sylphides.)
Certaines pièces tirent même leur force intrinsèque de leur épurement instrumental : dans Ack Lova Gud (Oh ! Louanges au Seigneur), l’alto propulse le chant de sirène de Jenny WILHEMS dans des contrées atmosphériques autrement troublantes. Mais c’est surtout Kulning qui risque de rester gravé longtemps dans les mémoires, Jenny WILHEMS y poussant son frissonnant et strident « appel aux vaches » (« cow call ») sur fond de bourdon aborigène, auquel se joint peu après l’alto de JONES, aux contorsions sonores décisives.
Il ne reste plus alors à l’instrumental de clôture Längtaren qu’à nous plonger dans une amertume presque réconfortante après la rude épreuve de Kulning.
Écouter Grimborg tiendra certainement lieu d’épreuve initiatique pour beaucoup, mais que de satisfaction l’on tire d’avoir ainsi exploré les confins de la mémoire scandinave avec de tels guides !
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°12 – mars 2003)
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