HAMSTER THEATRE – Carnival Detournement
(Cuneiform/Orkhêstra)
Carnival Detournement est le premier album de HAMSTER THEATRE en tant que vrai groupe. Comprenez par là que l’histoire de ce bien singulier « théâtre » a déjà connu quelques antécédents discographiques. À la base, il y a cet album solo autoproduit qui porte pour titre Songs From The Hamster Theatre, paru en 1995 et dans lequel Dave WILLEY, accordéoniste-bassiste (en fait multi-instrumentiste), par ailleurs membre de THINKING PLAGUE, pose, tout seul comme un grand, les bases de son projet HAMSTER THEATRE, bientôt secondé par Jon STUBBS, tromboniste-claviériste-etc.
Tous deux, accompagnés de quelques musiciens invités, enregistreront alors un album live, le premier sous le nom HAMSTER THEATRE, Siege on Hamburger City, en 1998. On retrouve du reste certains morceaux de ce live (The Cat Song, Vang Vang) dans ce nouvel album qui paraît cette fois chez Cuneiform. Autant dire qu’il est voué à une plus grande diffusion que ses deux prédécesseurs, ce qui n’est que justice tant Carnival Detournement s’avère être musicalement plus dense encore que ses prédécesseurs et affiche une filiation émérite avec une certaine avant-garde progressive tendance RIO. Du reste, le guitariste Mike JOHNSON et le saxophoniste Mark HARRIS font partie de HAMSTER THEATRE. Ainsi, non content de « détourner les carnavals », Dave WILLEY a aussi détourné les musiciens de THINKING PLAGUE !
La musique de HAMSTER THEATRE reflète avec acuité et précision le caractère « bourlingueur » de Dave WILLEY, qui s’est autant abreuvé à la source de HENRY COW et de Fred FRITH que de la musique est-européenne, balkanique, notamment celle du TARAF DE HAIDOUKS. Chemin faisant, il ne faut pas s’étonner de croiser dans ce carnaval déviant les ombres de SATIE, MARCŒUR ou encore L’ENSEMBLE RAYÉ et NIMAL, à qui est dédié le premier morceau.
Faisant montre d’un sens aigu pour les mélodies affinées, les cassures rythmiques « abracadabrantesques » et les constructions complexes et imprévisibles, HAMSTER THEATRE réalise une synthèse fouillée entre l’écriture « Rock in Opposition » et diverses inspirations folkloriques, synthèse qui prend la forme d’un théâtre musical de l’absurde. Cette définition fait évidemment songer à Lars HOLLMER et à ZAMLA MAMMAZ MANNA, à ceci près que notre « hamster » ne cultive pas forcément le lyrisme jovial de son illustre cousin germain suédois (!).
Et même si l’on voit défiler dans ce carnaval des figures aussi burlesques qu’un pingouin éméché amateur de tango ou un hologramme en forme de carotte, l’univers de HAMSTER THEATRE se teinte aussi d’amertume refluante, de mélancolie désinvolte et est en proie à des sautes d’humeur absconses. On ne peut la cerner en une seule écoute, tant elle relève d’une écriture méticuleuse et bariolée, à l’instar d’une fanfare cadencée aux rythmes du cœur.
HAMSTER THEATRE confectionne une musique riche en images et en détours, une musique itinérante… Contre les autoroutes « middle of the road », essayez donc le « Road in Opposition » !
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°8 – mars 2001)