HARMONIA & ENO ’76 – Tracks and Traces Reissue
(Groenland Records)
De cette rencontre éphémère entre HARMONIA (CLUSTER et Michael ROTHER) et le maître de la discrète musique, il aura fallu attendre plus de dix ans avant d’avoir une trace sur CD (en 1997, via le label américain Rykodisc). À la fin de l’année 2009, voici que Tracks and Traces fait de nouveau parler de lui. Plus qu’une simple réédition sans intérêt, cette nouvelle version comprend trois bonus et bénéficie d’une remastérisation de qualité.
Il est bon de signaler que le résultat final est exemplaire au niveau sonore, au point que nous redécouvrons ce disque, avec une joie et un étonnement grandissant au fil des écoutes.
À travers cette chronique, revenons en septembre 1976 à Forst au studio d’HARMONIA, où se sont déroulées ces sessions d’enregistrement L’ex-sorcier de ROXY MUSIC, friand des explorations soniques du trio allemand, avait assisté au concert d’Hambourg en 1974. C’est suite à une invitation du groupe cette même année que Brian passe une dizaine de jours à Forst… deux ans plus tard !
À ce moment-là, HARMONIA n’était plus en activité et les trois musiciens étaient impliqués dans des projets personnels. Mais, pour ROTHER, MOEBIUS et ROEDELIUS, l’occasion était trop belle, et l’arrivée d’ENO dans leur studio a été un déclencheur de créativité et d’osmose entre les quatre musiciens. N’oublions pas aussi de signaler que cette rencontre fut décisive pour l’avenir de l’œuvre de Brian ENO : pour lui, c’est le début d’une nouvelle ère, celle de l’ambient, mais aussi la prémisse de fructueuses collaborations avec CLUSTER ; ensemble, ils vont enregistrer deux albums : CLUSTER & ENO (1977) et After the Heat (1978).
Durant cette heure d’écoute, se profilent les trames d’une musique d’espace, environnementale belle et nostalgique. En guise de bienvenue, l’inédit Welcome ensorcelle d’emblée par cette somptueuse envolée synthétique en symbiose parfaite avec la guitare. Un tel morceau préfigure l’album Apollo avec Brian, Roger ENO et Daniel LANOIS en 1983. Le deuxième bonus porte décidément bien son titre : Atmosphere révèle tout le savoir-faire des Allemands et de l’Anglais, à savoir une musique pleine de mystères et de tensions électroniques.
Entre des titres rythmés (Vamos Companeros, dans l’esprit de Music for Films) ou plus atmosphériques (des peintures sonores telle que By the Riverside ou Almost), HARMONIA et ENO peaufinent des mélodies merveilleuses (la ritournelle triste sur les Demoiselles) et des ambiances qui peuvent barrer la route aux promeneurs s’aventurant sur les chemins complexes de l’ambient (Weird Dream délaisse la simple mélodie pour des visions plus obscures).
Comme si le temps se figeait un soir d’hiver pluvieux, Luneburg Heath, seul titre chanté par ENO, reste un moment intense, où sa voix mélancolique vient nous susurrer quelques mots hypnotiques (« Don’t Get Lost on Luneburg Heath ») sur une musique froide et robotique.
Sometimes in Autumn est un long parcours initiatique dans l’électronique en pleine ébullition avec ce début cataclysmique, avant de plonger dans les nappes éthérées d’une « discreet music » lancinante.
Nous terminons en beauté avec le dernier inédit, Aubade, où se dévoile un paysage sonore lumineux, mettant en avant les qualités harmoniques et mélodiques du quatuor. Ce titre fait ressortir ce sentiment de franche camaraderie issue de ces sessions, et les notes de guitare jouées par MITER sont un appel au dépaysement, loin des brumes grisâtres des grandes villes sans parfum.
Considéré comme le troisième album d’HARMONIA, Tracks and Traces se doit d’avoir une place de choix parmi les grands classiques de l’ambient.
Cédrick Pesqué
Label : www.groenland.com
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°28 – mai 2010)