HERD OF INSTINCT – Manifestation
(Firepool Records)
Paru en mars 2016, ce nouveau CD de HERD OF INSTINCT (le groupe de Mark COOK, aujourd’hui, le seul membre restant de la formation originelle) est une invitation à succomber à du rock progressif instrumental pas si conventionnel et plutôt bien ficelé. Preuve que dans le genre, il y a encore de bonnes choses à découvrir. HERD OF INSTINCT est un groupe américain originaire du Texas, existant depuis quelques années déjà, suite à la dissolution de 99 NAMES OF GOD.
Manifestation est déjà leur troisième album et sans doute le plus abouti. Un premier album était paru en 2011, un deuxième, Conjure, a suivi en 2013 ; tous les trois étant disponibles sur le label de DJAM KARET, Firepool Records.
Ce nouveau disque a été enregistré entre Arlington au Texas et Toponga en Californie. Auparavant un trio, et suite aux départs en 2014 de deux des membres fondateurs (Mike DAVISON et Jason SPRADLIN, respectivement guitariste et batteur), le groupe s’est aujourd’hui stabilisé autour de cinq musiciens, des multi-instrumentistes assez doués : Mark COOK (Warr guitar, basse fretless…), Rick READ (Chapman stick, basse fretless, pédales Taurus…), Ross YOUNG (batterie), Mike Mc GARY (mellotron, Rhodes, piano, orgue…) et Gayle ELLETT (mellotron, moog, guitare rythmique…) de DJAM KARET et FERNWOOD. Nous avons là un quintet bien rodé jouant dans une osmose totale une musique puissante et intense, sans toutefois être ni grandiloquente ni tape-à-l’oeil. Nous noterons également la présence supplémentaire et bienveillante de trois invités exceptionnels: Bob FISHER (flûte, saxo), Stephen PAGE (violon) et un autre batteur nommé Bill BACHMAN: un point des plus bénéfiques pour le groupe qui peut ainsi explorer et élargir à un plus haut degré sa palette sonore.
Dès la première écoute, nous sommes assez vite convaincus par cette manifestation progressive sonique qui se révèle incandescente et surtout variée, avec de belles mélodies, des envolées prenantes et des textures recherchées. En guise d’ouverture, Manifestation Part 2 emprunte des sonorités très seventies à la fois prog et canterburiennes grâce notamment au mellotron et au Rhodes. Sur le titre suivant, Gridlock, il y a au contraire un ton plus agressif et lourd, un sentiment d’urgence électrique à peine atténué par les interventions du sax et du violon. Chaque titre propose donc son lot de surprises soniques. Et ce n’est pas pour nous déplaire. De plus, les compositions possèdent cette structure complexe, labyrinthique, typique du genre, avec ses changements ou ses superpositions rythmiques, assez proches de l’univers heavy de KING CRIMSON, mais aussi soulignent une constante recherche mélodique évocatrice et une volonté de mettre en avant des instruments comme le violon ou la flûte, en parfaite harmonie avec les guitares électriques, les divers claviers et la section rythmique.
Le résultat final se résume donc à un sacré tour de force de la part du collectif. Des titres comme Nocturne (un dialogue sombre et mystérieux entre le mellotron, la flûte et le violon qui peut rappeler ce que fait le duo Robert FRIPP et Théo TRAVIS), les pachydermiques Manifestation Part 1 (où se télescopent l’orgue, le mellotron, le moog, la flûte et même des cordes), Saddha et Dybbuk, où plane l’ombre crimsonienne, marquent immédiatement l’attention.
Les musiciens s’en donnent à coeur joie : les batteurs ont un jeu ultra précis et polyrythmique, les guitares délivrent des sons poétiques ou plus dévastatrices et les atmosphères dark et irréelles sortant du mellotron sont saisissantes. Nous apprécions grandement la dichotomie bouillonnante à l’intérieur même des compositions, cette confrontation entre des passages atmosphériques et sombres avec d’autres plus violents et agressifs, quasi hard-rock (en particulier sur Baba Yaga). Cela rend l’écoute nettement plus intéressante et montre que cette musique n’est pas si simple. De même, elle ne tombe pas dans le piège du copiage facile, en voulant absolument imiter de grands noms influents du prog, ni dans celui de la démonstration caricaturale et démesurée comme ont pu en souffrir certaines productions prog ou néo-prog au cours des décennies antérieures.
Cet album est rythmé, présentant un rock progressif survolté, sombre et atmosphérique avec des passages dégageant néanmoins beaucoup d’émotions et une certaine magie: notamment, le très beau « solo poétique » de Gayle ELLETT à la guitare sur le titre Shatterpoint, ou les mellotrons féériques sur Waterfalls and Black Rainbows.
Cependant, la musique n’est pas le seul point fort de ce groupe qui semble aussi très concerné par un aspect visuel de qualité (surtout au niveau de l’artwork intérieur avec ce paysage à la fois inquiétant et flamboyant). Pour cela, ils ont fait appel à Angel STEPHENS, une jeune artiste graphique que certains comparent à Storm THORGERSON et Roger DEAN et qui a aussi travaillé récemment sur l’album Sign of the Crow du DAVID CROSS BAND (à paraître au mois d’août sur Noisy Records). Son travail se base sur l’utilisation, la superposition de plusieurs photographies pour créer une image unique. Cette approche du collage trouve un écho évident avec la façon dont le groupe compose sa musique.
Manifestation est un album très mélodique, bien construit et cohérent où chaque titre semble lié par un fil invisible. Les musiciens ont opté pour des compositions courtes ; sur les dix titres, seulement deux dépassent les six minutes (Saddha et Shatterpoint). Cette initiative de vouloir aller à l’essentiel n’est pas une mauvaise idée parce que nous avons là un rock progressif efficace, direct et nullement ennuyeux, s’adressant à tous les amateurs de prog, même ceux des années 1970 qui sont les plus exigeants.
Cédrick Pesqué
Site : http://herdofinstinct.wix.com/herdofinstinct
Label : http://www.djamkaret.com