Houria AÏCHI & L’HIJÂZ’CAR : L’Algérie chevaleresque

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Houria AÏCHI & L’HIJÂZ’CAR :

L’Algérie chevaleresque

Filmés, peints, chantés, les Aurès, dans l’Est de l’Algérie, ont à maintes reprises été l’objet d’une grande fascination artistique. Originaire de cette région montagneuse, la chanteuse Houria AÏCHI, installée en France depuis les années 1970, n’a jamais manqué de raviver les formes musicales et vocales du pays qui ont amplement stimulé sa vocation.

Avec son spectacle et album Cavaliers de l’Aurès, elle poursuit une quête artistique toujours plus ouverte, au point de s’entourer cette fois des musiciens de L’HIJÂZ’CAR, un groupe alsacien pas forcément spécialiste de la culture algérienne, mais qui cultive une approche transfrontalière singulière, ayant absorbé influences méditerranéennes, moyen-orientales, jazz et rock. L’œuvre qu’ils ont conçu avec Houria AÏCHI propose une relecture contemporaine et acoustique de la tradition chevaleresque auressienne, dont ils réactivent le fort pouvoir d’attraction poétique.

Terre fauve

« La Montagne fauve », c’est ainsi que fut surnommé dès l’Antiquité le massif montagneux des Aurès, sillonné d’impressionnantes gorges et de magnifiques canyons, qui forme la partie est de l’Atlas pré-saharien et s’étend de l’Algérie jusqu’en Tunisie. Son point culminant en est l’impérial Djebel Chelia, à 2 328 mètres d’altitude. Plusieurs tribus berbères (ou amazighs) habitent cette région, notamment les Chaouis, qui vivent dans des dechras (hameaux) perchées sur des hauteurs d’accès difficile, avec leurs maisons serrées et étagées les unes sur les autres, et les guelaas, greniers collectifs aux allures de forteresses.

Cette montagne fauve où le mode de vie est quasi troglodyte fut aussi une Terre de résistance du temps de la Kahina, cette femme dénommée « la Prophétesse », qui, de la fin du VIIe siècle au début du VIIIe, régna sur plusieurs tribus berbères, défendit les Aurès et tint tête à l’envahisseur arabe.

La région des Aurès est aussi une Terre de culture musicale assez diversifiée : on y trouve autant le style arabo-andalou, représenté par Salim HALLALI et qui a de même inspiré Youcef BOUKHANTECH, que la musique rahaba, popularisée dans les années 1940 par des vedettes au succès international comme Aissa JERMOUNI et Ali KHENCHELI.

Le genre rahaba, propre à la région des Aurès, se caractérise par des chants polyphoniques chaouis accompagnés à la flûte gasba et au tambour bendir. Le rythme si particulier de ce dernier peut se retrouver dans la plupart des chansons des Aurès, sinon toutes.

Une voix contemporaine pour des chants séculaires

Chanteuse algérienne chaoui née à Batna, dans les Aurès, et établie en France depuis les années 1970, Houria AÏCHI a commencé à se produire sur scène accompagnée de la gasba et du bendir, interprétant des berceuses et des chansons d’amour traditionnelles auressiennes. Ses premiers albums sur Auvidis, Chants de l’Aurès et Hawa, où elle chante soutenue par la gasba de Saïd NISSIA, sont les témoignages de sa passion pour ses racines. Ces chants séculaires de femmes qui ponctuaient les moments de vie dans la société paysanne ont nourri l’art de Houria AÏCHI.

Mais même si son travail est le fruit de collectages, Houria AÏCHI cherche moins à verser dans l’ethnomusicologie pure et dure que dans l’expression artistique. Elle a ainsi enregistré avec Ruiychi SAKAMOTO et a travaillé sur la bande originale du film Un thé au Sahara. Avec le disque Khalwa – Chants sacrés d’Algérie, paru en 2001 (Accords croisés / Virgin Classics) et sur lequel elle étend son répertoire aux dhikrs soufis, Houria AÏCHI s’est dirigée vers une approche plus contemporaine et une production plus étoffée, avec notamment le concours de Henri AGNEL, Henri TOURNIER, Bijan CHEMIRANI et Loy EHRLICH.

Depuis 2007, elle est épaulée par un autre groupe pour vanter le souvenir de cette vie sociale construite autour du code d’honneur des cavaliers de l’Aurès, dénommés « Rayan El Kheil ».

Bergers à cheval

L’écrivain Bachir HADJADJ évoque ainsi ces anciens pasteurs semi-nomades : « On disait que les Ouled Madhi élevaient des chevaux, en grand nombre et parmi les plus beaux de cette région au sud des Hauts Plateaux, et qu’ils possédaient aussi des centaines de chameaux et des troupeaux de moutons par milliers. Les jeunes gens de la tribu gardaient les troupeaux sur les terres de leurs pères et au cours de leurs transhumances ; ils passaient le plus clair de leur temps à cheval. On les appelait : rayan el-kheil, c’est-à-dire « les bergers à cheval ». » (Les Voleurs de rêves, Bachir HADJADJ, Albin Michel, 2007) C’était, sans aucun doute, à eux que les femmes de leur tribu rêvaient, et c’était à eux qu’elles adressaient ces chants merveilleux qu’on peut entendre aujourd’hui encore à travers les Hautes Plaines.

Ces cavaliers princiers ont marqué l’enfance de Houria AICHI. Le cheval, le cavalier, la gestuelle, la bravoure chevaleresque constituent donc la thématique poétique à l’œuvre dans le disque Cavaliers de l’Aurès (Accords croisés / Harmonia Mundi).

Toujours déterminée à bousculer les formes traditionnelles tout en préservant le fond, Houria AÏCHI s’est donc entourée d’une formation atypique, ni algérienne, ni berbère, mais simplement… strasbourgeoise, L’HIJÂZ’CAR !

Une caravane au sommet

Par une curieuse coïncidence, l’ « hijaz » ou « hedjaz » est une région montagneuse (encore une !) d’Arabie Saoudite qui surplombe à la fois l’Océan Indien, la Méditerranée et la Mer Rouge. Avec les Aurès de Houria AÏCHI, c’est ce qui s’appelle une rencontre aux sommets ! De plus, le terme hijaz désigne aussi un maqam (mode) de la musique arabe. Cette polysémie s’applique tout aussi bien à la musique du groupe qui, tout étant profondément inspirée par les musiques traditionnelles orientales ne se confond pas avec, au moins parce que les musiciens de L’HIJÂZ’CAR ont décidé d’éviter soigneusement le quart de ton.

Ils ont cependant circonscrit leur son à une instrumentation acoustique (oud, banjo, clarinette, tarhu, hajouj, bendir, karkabou, daf…) de manière à préserver le grain et la chaleur des musiques orientales, et ont ainsi donné naissance à une musique « contemporientale » entièrement composée dans laquelle les inspirations du jazz et du rock laissent volontiers leurs empreintes. Cette caravane délocalisée fait montre d’une écriture moderne mêlant couleurs, énergie et climats qui stimule l’imaginaire de l’auditeur et le fait voyager entre les spirales improvisées du Moyen-Orient et les extases méditerranéennes.

De L’European Jazz Festival à une maison-musée de Fès en passant par des clubs stanbouliotes, L’HIJÂZ’CAR, depuis sa création en 2000, a roulé en divers points du bassin méditerranéen et a même accompagné un chœur de femmes touaregs. Toutefois, c’est la première fois avec Houria AÏCHI qu’il se trouve confronté à une voix soliste algérienne, qui plus est au caractère timbral bien trempé.

Une chevalerie réinventée

La rencontre de L’HIJÂZ’CAR avec la chanteuse s’est faite sous l’impulsion de Martina CATELLA, directrice artistique du label Accords croisés. Houria AÏCHI avait déjà sélectionné les textes et poésies qu’elle souhaitait voir figurer dans son nouveau projet, et a donné à Grégory DARGENT, le meneur de L’HIJÂZ’CAR (et joueur de oud et de banjo), un enregistrement sur dictaphone (!) de ses interprétations a capella et de versions traditionnelles de ces mêmes poésies. Après quelques jours de retraite dans son studio, Grégory DARGENT a proposé à Houria ses premières pistes d’approche, dans lesquelles ses propres compositions étaient garnies de samples de morceaux traditionnels. L’HIJÂZ’CAR est resté fidèle à sa volonté d’inventer son propre folklore, tout en respectant la texture musicale et les émotions de la musique chaouie, jusqu’à en retrouver les rythmes.

L’album Cavaliers de l’Aurès concilie la voix âpre et gutturale de Houria AÏCHI avec les cordes de Grégory DARGENT et de Nicolas BECK, les vents de Jean-Louis MARCHAND et les peaux d’Étienne GRUEL et de Fabien GUYOT, en des arrangements aussi inattendus qu’évidents, et auxquels se mêlent des bribes d’archives sonores.

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Dès le premier morceau, Le Cavalier, le cheval et la dame, la chevauchée se fait épique et vigoureuse, mêlant la voix de Houria AÏCHI à celles de cavaliers virtuels, propulsés par les cordes distordues et les percussions. À ce galop inaugural succède un trot plus posé, où clarinette et oud soutiennent une Invocation enivrante.

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Le ton se fait plus intimiste pour narrer une Rencontre amoureuse aux lignes langoureuses.

Distillant rugosités et sinuosités, alternant lamentations nostalgiques (Les Six Bonbons, Mélancolie…) et balancements soutenus (Les Cavaliers, Le Messager…), Houria AÏCHI et L’HIJÂZ’CAR diffusent leurs fragrances incantatoires et multiplient les voies du transport poétique, atteignant la beauté ultime par fulgurances.

L’HIJÂZ’CAR a su tapisser le chant de Houria de textures à la saveur inaliénable qui ressuscitent autant qu’elles fantasment le décor de poussière, de sable et de caillasse des traditions auressiennes, magnifiant de plus belle les valeurs chevaleresques contées dans ces chants antiques. C’est en solo que Houria AÏCHI met un terme à cette chevauchée autrement fantastique, chantant les tourments de l’Amoureuse avec une éloquence saisissante, tandis que chevaux et cavaliers se sont envolés…

De la Geste à la gestuelle

De louanges aux cavaliers aux louanges au Dieu, de chants de la liberté aux complaintes sensuelles, Cavaliers de l’Aurès déroulent un scénario riche en métaphores qui, sur scène, ne manque pas de déclencher à maints reprises des « youyous » électrisants.

Comme ont pu le remarquer tous ceux qui ont assisté aux représentations live du projet, que ce soit au Festival Les Suds à Arles, au Babel Med, au Festival parisien Au fil des voix, aux Joutes musicales de Correns et à l’Institut du monde arabe à Paris, par exemple, il n’y a pas que la voix de Houria AÏCHI qui charme et captive, il y a aussi sa gestuelle raffinée, sa danse gracieuse et possédée, ravivant l’impériale figure de la Kahina.

Sauf que, plutôt que de brûler les terres, Houria AÏCHI préfère enflammer les foules. L’HIJÂZ’CAR, lui, impressionne par la souplesse et la vigueur de ses figures mélodiques et rythmiques, les claquements rêches ou les caresses grisantes de ses peaux, la moiteur de ses vents et les envolées de ses cordes.

Puissent ces Cavaliers de l’Aurès poursuivre encore longtemps leurs chevauchées éclairantes…

Texte : Stéphane Fougère –
Photos : Sylvie Hamon & Stéphane Fougère

(Article original publié dans ETHNOTEMPOS n°42 – printemps 2009)

Discographie Houria AICHI & L’HIJÂZ’CAR :

  • Cavaliers de l’Aurès (Accords croisés / Harmonia Mundi, 2008)

Discographie Houria AICHI :

  • Chants de l’Aurès (Auvidis – Naive, 1990)
  • Hawa (Auvidis – Naive, 1993)
  • Khalwa, chants sacrés de l’Algérie (Virgin Classics, 2001)
  • Renayate (Accords croisés, 2013)
  • Chants mystiques d’Algérie (Accords croisés, 2017)

Discographie L’HIJAZ’CAR :

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