Jean-Charles GUICHEN – Braz Live
(Autoproduction)
À en juger par l’évolution de sa production discographique, d’AR RE YAOUANK au GUICHEN QUARTET, devenu GUICHEN Frères (en duo avec son frère Fred) puis ce nouvel album où il se livre en soliste, on aura beau jeu de remarquer que le guitariste et compositeur breton Jean-Charles GUICHEN tend vers une expression de plus en plus minimaliste et dépouillée. Par manque de moyens ? Non, bien au contraire : parce que c’est quand il joue en solo sur scène qu’il montre la pleine puissance de ses moyens. On en jugera avec ce Braz Live, qui répond à un défi de taille : faire danser une meute de « fest-noceurs » à l’aide d’une seule guitare acoustique, sans l’aide d’aucun autre musicien, sans section harmonique ou rythmique.
Un homme et sa guitare face à la foule ! Ce serait intimidant pour d’autres, ça ne l’est pas pour Jean-Charles GUICHEN qui, fort d’une expérience de 35 ans de festoù-noz, sait s’y prendre pour allumer la mèche et mettre tout le monde en rond, en cercle, en plinn, etc. Et pour tout dire, ça fait déjà dix ans qu’il se commet seul sur scène depuis un certain festival Yaouank, où il a dévoilé pour la première fois son répertoire soliste de fest-noz sous le titre le Solo de l’Ankou (comprenez : le « solo de la mort-qui-tue ») !
C’est donc pour célébrer la première décennie d’existence de ce Solo de l’Ankou que Jean-Charles GUICHEN s’est décidé à publier un album qui devait forcément être enregistré dans les conditions du live, puisque c’est de ce contexte que ce projet se nourrit. C’est lors de l’édition 2019 du Festival Interceltique de Lorient qu’a été réalisé la quasi-totalité de cet enregistrement, en seule prise, sans retouches ultérieures.
L’idée qui préside à cet album est de restituer l’ambiance du moment, l’énergie qui s’y déploie et qui s’y transmet du musicien aux danseurs, et des danseurs au musicien. C’est somme toute l’histoire d’une communion, d’une fusion instantanée, que retrace Braz Live, avec le souci de mettre en relief ce mouvement spontané qu’engendre la musique de danse bretonne quand elle est véhiculée comme ici par un musicien-ambianceur de haute volée.
La « patte » Jean-Charles GUICHEN, avec son accordage en DADGAD (typique des musiques celtiques) fait immédiatement mouche, et l’exceptionnelle qualité de la prise de son permet de savourer les arpèges, les phrasés, le « piqué », la rondeur, la chaleur, la virtuosité et le dynamisme de son mode de jeu de guitare, dans lequel se transmet l’inspiration du folk et du blues américain et une vitalité indubitablement rock.
Le répertoire joué lors de ce concert emprunte surtout aux derniers albums de Jean-Charles, Elipsenn et Breizh an Ankou. Qu’elles prennent la forme d’une scottish (Dreist mor ha Douar), d’un an dro (Skouarnel), d’une suite plinn (Plinn Braz/Aerouant Ruz/ Argoad), d’un cercle (Breizh Nevez) ou d’un rond de St-Vincent (The Breton Roots), les compositions du guitariste, déjà remarquables de complexité et de puissance, ont été réarrangées pour une performance soliste dans laquelle son auteur assure à la fois le jeu mélodique et l’accompagnement harmonique, et se permet aussi des improvisations. Même en ne jouant qu’en acoustique, Jean-Charles GUICHEN « électrifie » le public lorientais, qui le lui rend bien !
Et c’est là toute la réussite de cet album, car il ne se contente pas de nous faire entendre Jean-Charles depuis la console de mixage, il permet aussi d’entendre les réactions du public, voire ses pas de danse, au moyen de micros placés au-dessus de la mêlée et sous le parquet de danse ! C’est bien simple, quand on écoute ce disque même confortablement vautré dans son canapé, on a l’impression que les voisins se sont invités subrepticement pour transformer son salon en salle de fest-noz ! Et on a même l’impression à l’écoute de voir Jean-Charles effectuer l’un de ses « sauts de scène » dont il a le secret !
C’est ainsi toute la magie et le bouillonnement propre à un instant précis que reproduit ce disque, celui de ce concert dont ce CD se veut l’illustration narrative, puisqu’il raconte non seulement le « pendant », mais aussi « l’avant » et « l’après », allant jusqu’à nous faire entendre en introduction l’arrivée du musicien sur scène, son accordage avant qu’il démarre son set puis, à la fin, le rangement de son matériel devant… une salle vidée (dans tous les sens du terme, assurément) !
Mais Braz Live ne s’arrête pas sur ce concert à Lorient, puisqu’il s’achève sur un enregistrement studio du Bro Gozh Ma Zadoù, le fameux hymne breton que Jean-Charles métamorphose pour la circonstance en pièce à danser, lui donnant des allures de valse celtisante, pour laquelle il est exceptionnellement accompagné par la fidèle violoniste et chanteuse Claire MOCQUART.
Comme à l’accoutumée, le livret est décoré de plusieurs reproductions de peintures de Jean-Charles GUICHEN qui, entre figuration et abstraction, se caractérisent elles aussi par leur vivacité de mouvement et leur profusion de couleurs. En peinture comme en musique, on est « braz » ou on ne l’est pas ! « Breizh Positive » un jour, « Breizh Positive » toujours…
Stéphane Fougère
Site : www.jcguichen.com