John WRIGHT – Promenade
(Buda Musique / Socadisc)
John WRIGHT… voilà un nom qui revient de loin et qui devrait résonner haut et fort dans la mémoire et le cœur des « folkeux » de France et de Navarre, et plus loin encore. D’origine britannique, ce chanteur, harmoniciste, violoniste, joueur de guimbarde et ethno-fokloriste s’est installé à Paris dans les années 1960 et dès lors, avec sa femme Catherine PERRIER, a activement participé au lancement du mouvement folk en fondant avec quelques amis en décembre 1969 le premier club folk français à Paris, Le Bourdon, au sein duquel de nombreux musiciens en herbe ont trouvé leur vocation et ont été encouragés à explorer leur propre culture. John WRIGHT et Catherine PERRIER ont de plus beaucoup voyagé à travers l’Europe et l’Amérique du Nord et ont effectué de nombreuses tournées en France, collectant, documentant et enregistrant des chansons et des musiques émanant de sources traditionnelles.
En outre, ayant été passionné par l’étude et l’interprétation des sculptures médiévales d’instruments de musique, John WRIGHT a travaillé à la reconstruction d’instruments médiévaux et a mené également des recherches approfondies dans le domaine de l’ethnomusicologie, en particulier sur les cordophones des Pays baltes. Surtout, ce violoniste et grand chanteur de « shanties » (chants de marins) s’est aussi taillé une solide réputation comme l’un des meilleurs virtuoses mondiaux de cet instrument mal estimé, car perçu à tort comme un jouet ou un gadget, qu’est la guimbarde.
Cet instrument, classé généralement dans la famille des idiophones, comporte pour tout élément vibrant une lamelle actionnée par pincement, avec la cavité buccale du musicien comme résonateur. John WRIGHT en a acquis une connaissance approfondie en étudiant les collections du Pitt River Museum, à Oxford, ainsi que celles du Musée de l’Homme de Paris, provenant des cinq continents. En collaboration avec Geneviève DOURNON-TAURELLE, John en a établi un catalogue (Les Guimbardes du Musée de l’Homme, Institut d’ethnologie, Paris, 1978), en s’efforçant d’en expliciter la mécanique et l’acoustique.
John WRIGHT a entretenu une passion toute particulière avec la guimbarde au point qu’il a assimilé sa pratique à une relation de couple. Il a ainsi consacré ses noces avec cet instrument au volume sonore peu élevé mais qui porte loin en enregistrant en 1971 pour la collection Special Instrumental du label le Chant du monde un album sobrement intitulé La Guimbarde, qui est devenu une référence, en dépit du fait qu’il n’a jamais été réédité sur un quelconque autre support : ni K7, ni CD, ni DVD-A, ni Blu-Ray audio, nada ! Mais il a indubitablement servi de disque de chevet à bon nombre d’amateurs qui y ont découvert un univers sonore incroyablement riche.
Et voilà que sort en cette fin d’hiver 2025 un CD de lui tout aussi entièrement consacré à la guimbarde ! Et ce CD n’est pas la réédition du LP de 1971, mais bel et bien un recueil d’enregistrements inédits datés de 1989, commandés l’année précédente pour un disque d’improvisations à la guimbarde qui était censé sortir chez Ocora-Radio France et dont les bandes ont mystérieusement sombré dans les limbes… En 2002, sous les encouragements du fondateur de Buda Musique, Gilles FRUCHAUX, John WRIGHT s’était remis en quête de copies et de chutes de ces enregistrements dans l’idée de les éditer et avait même rédigé des notes pour chaque pièce enregistrée, mais n’a pu, là encore, mené ce projet à terme avant sa disparition en 2013, à l’âge de 74 ans. Près de douze ans après que John WRIGHT nous a quittés, ce CD paraît enfin, à la surprise (pour ne pas dire à la déconcertation) générale ! « Ce n’est pas trop tôt ! », vous entends-je clamer, et vous aurez bien raison.
Ainsi la discographie soliste de John WRIGHT (on ne compte pas ses participations diverses et variées, ni ses disques en duo Catherine PERRIER) s’enrichit-elle d’un tardif mais salutaire cinquième album, qui s’avère de surcroît être le second dédié à la guimbarde et qui a été baptisé Promenade. Ce titre est en prise directe avec l’approche qu’avait John WRIGHT de son instrument fétiche, qui avait pour lui « valeur d’oracle » (sic), en ce sens qu’il l’a aidé à « résoudre des problèmes musicaux fondamentaux » (re-sic) dans son exploration des résonances et de leurs combinaisons : « Ça se passe comme ça : on sélectionne un son initial tout en écoutant ce qui se passe à l’arrière-plan. Quand un autre son, lointain, vous séduit, on va le chercher et on l’amène au premier plan à la place du premier, et ainsi de suite ce qui donne avec les sons successifs et leur combinaison, l’impression de « promener » le son de la guimbarde dans la bouche et dans la gorge. »
Faire promener la guimbarde a donc été le leitmotiv de ce disque, qui reprend la « promenade » là où elle avait été laissée avec cette improvisation enregistrée et incluse dans le premier LP de 1971, nommée Ram Caram, en souvenir d’un chanteur enregistré dans les années 1960 dans les rues de Katmandou par Mirelle HELLFER, spécialiste des musiques himalayennes. Promenade contient pour sa part trois adaptations de thèmes traditionnels irlandais, écossais ou breton (« tendance un peu blues cajun ») et huit improvisations, déterminées par le choix des guimbardes et leurs possibilités techniques, et des idées musicales, des canevas.
Chaque pièce est jouée avec une guimbarde différente : anglaise (guimbarde Smith), norvégienne, autrichienne, africaine (guimbarde Haoussa), népalaise, et indochinoise (guimbarde Méo ou Hmong), ce qui permet à John WRIGHT d’exposer des techniques différentes et de nous entraîner dans des explorations sonores assez impressionnantes, déployant haut et loin les possibilités mélodiques, rythmiques, texturelles et vibratoires de chaque guimbarde. Car là où nombre de jeunes praticiens s’efforcent d’exploiter surtout les capacités rythmiques et percussives de la guimbarde, John WRIGHT s’emploie à en dévoiler les subtilités et les complexités mélodiques (y compris dans les improvisations), influencé en cela par les joueurs de « munnharpa » norvégiens.
Les titres de ces onze « promenades » reflètent tant des faits sonores et techniques (Inflexions ; Série parallèle, décalée, rentrante), que des danses (Pas de deux, Ols Spaud’s Hornpipes, Ritournelle décortiquée, Cuddy Clauder) ou des visions poétiques (Promenade, Clowns musiciens, La Sortie des masques, Ni Feu, ni Flambe). Si la pièce la plus courte n’atteint pas les 2’30 minutes, la plus longue tutoie les 17 minutes, avec pour tout accompagnement occasionnel le chant des oiseaux et le crépitement du feu de bois de la maison de campagne où a été effectué l’enregistrement, et même, dans Pas de deux, la voix de John WRIGHT, qu’il plaque sur le son de la guimbarde.
À vrai dire, la Promenade (posthume) à laquelle nous convie John WRIGHT tient plutôt du « trekking » en territoire « guimbardien » peu ou pas exploré, étant donné que la durée du CD approche les 77 minutes. Cela peut paraître aride de prime abord, mais une fois qu’on se laisse porter et envoûter par les expressions intérieures que John WRIGHT parvient à faire résonner de ses guimbardes, les notions habituelles de temps et d’espace sont comme abolies. Promenade ne donne pas à entendre de « folklorisme muséal », mais impose d’écouter cet instrument à languette dans une perspective toute contemporaine. Et avec un léger effort d’imagination, on pourrait très bien se persuader qu’on écoute un album de musique électronique « vintage » aux résonances décidément rustiques.
Notons enfin que le livret a lui aussi de quoi occuper les esprits, car ces 32 pages, bilingues (français et anglais), contiennent, outre des textes et des notes de John WRIGHT portant sur la guimbarde et les morceaux joués, des hommages de Catherine PERRIER, de Geneviève CLÉMENT-LAULHÈRE, et un essai de Michèle CASTELLENGO sur la possibilité de « voir le son » de la guimbarde, avec à l’appui les sonagrammes de plusieurs pièces du disque permettant de découvrir la richesse des sons travaillés par John WRIGHT à l’intérieur de sa bouche quand il pratique la guimbarde (lignes mélodiques, timbres, harmoniques). Ainsi cette Promenade au pays de la guimbarde combine-t-elle la précision des analyses acoustiques à la projection colorée des reliefs poétiques. De quoi redonner un nouvel élan à nos imaginaires…
Stéphane Fougère
Page label : www.budamusique.com