KAVKAZZ – Guli (Cœur)

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KAVKAZZ – Guli (Cœur)
(Tchai Label)

Pour paraphraser Xavier GRALL, qui avait écrit « On ne naît pas Breton, on le devient, à l’écoute du vent, du chant des branches, du chant des hommes et de la mer », on pourrait de même écrire « On ne naît pas Géorgien, Svane, Mégrélien, ou tout autre peuple caucasien, on le devient à la contemplation des montagnes, des lacs de ce massif-pivot entre l’Europe et l’Asie, à la découverte de ses cultures, des centaines de langues et dialectes différents qui s’y parlent, et des chants et danses de ses populations. C’est assurément ce qu’a fait Fabien MORNET, le plus géorgien des musiciens vendéens qui a formé le groupe KAVKAZZ afin de témoigner de son profond attachement à cette culture protéiforme. Il s’est adjoint les talents polymorphes de la chanteuse et danseuse d’origine espagnole Núria Rovira SALAT, du Provençal Miqueù MONTANARO, du Franco-Turc Emrah KAPTAN et de l’Iranien Habib MEFTAH.

En 2021, un premier album, Radio Caucase, avait servi de carte de visite à cette formation, dont les membres chantent, jouent et dansent ces musiques de Géorgie et du Caucase sans pour autant être natifs de cette région, mais avec laquelle ils ont indéniablement un fort lien affectif et culturel. Dans son second album, KAVKAZZ persiste et signe en ouvrant littéralement les portes de son « Guli », autrement dit, de son cœur.

Dans ce nouvel album, pas plus que dans le premier, KAVKAZZ ne cherche pas à copier ou à imiter ce que devrait être un disque de musique traditionnelle de Géorgie et du Caucase. La « folklorisation » n’est pas sa raison d’être. Radio Caucase a été l’amarre d’un processus de création, Guli en est la prolongation logique et présente des compositions originales. Sur les onze morceaux que renferme cet album, seulement deux sont inspirés de mélodies traditionnelles, un a été composé par un chanteur et compositeur contemporain, Mamia KHATELISHVILI (Kargi Khar), les autres sont tous écrits par KAVKAZZ. Les paroles des chansons ont en revanche été écrits en collaboration avec plusieurs paroliers caucasiens, et c’est une fois encore dans pas moins de cinq langues différentes que Núria Rovira SALAT les interprète : en géorgien, en mégrélien, en kurde, en svane et en turque. Et au-delà de la performance linguistique, il faut saluer la faconde et l’amplitude émotionnelle de ses interprétations.

Les musiques révèlent des arrangements aussi originaux que singuliers, combinant les sons du panduri (luth géorgien) et du changi (sorte de harpe de Svanétie) de Fabien MORNET, les instruments à cordes pincées (saz et djumbush – ou Cümbüs) et les percussions moyen-orientales (riqq, daf…) d’Emrah KAPTAN, les flûtes, accordéon, guimbarde et ocarina de Miqueù MONTANARO et les percussions de Habib MEFTAH. Chacun d’eux intervient également à d’autres instruments additionnels (contrebasse, synthétiseur Moog…) ainsi qu’aux voix chorales.

Et comme si ça ne suffisait pas, KAVKAZZ a invité encore d’autres choristes, comme Aleksandre CHAUCHIDZE (également parolier), Linda PERADZE, Ana GVELESIANI et Aleksandre SHEROZIA. Teo CHARTOLIANI est de plus invitée en voix « lead » dans Lushnu Lile, et, sur le morceau Kargi Khar, deux flûtistes, le Parisien David AUBAILE et le Breton Sylvain BAROU (au doudouk), ajoutent leurs timbres à l’ensemble.

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Enfin, d’autres sons additionnels et électro ont été créés par Zviad MGEBRY dans un studio de T’bilissi, en Géorgie, achevant de donner au processus créatif de KAVKAZZ une touche de modernité assumée et revendiquée, mais qui sonne majoritairement acoustique. L’album sonne vraiment actuel dans son rendu sonore sans pour autant sacrifier aux « gimmicks » conventionnels.

Les textes, quant à eux, portent majoritairement sur le thème de l’amour (logique pour un album nommé Cœur !), abordant les sujets de l’émancipation amoureuse, la confiance entre amants ou la légèreté des émotions en termes poétiques et métaphoriques. Ainsi la relation amoureuse est-elle perçue comme un jeu d’échecs dans le tonique Shamati (qui signifie précisément « échec et mat »).

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Les intempérances du cœur sont assimilées à l’envol d’un ballon dans Divlidalada, et les éléments naturels – le feu, le vent, le ciel, la Terre, le soleil…) énumérés dans Te Yoropa Tishneri Re. Ailleurs, la confiance mutuelle est exprimée en termes plus directs, comme un défi (Demedim Mi ?). Le don du cœur est en tout cas décliné en divers cas de figure, étant adressé selon les chansons à une personne aimée, à un enfant, à des parents, aux aïeux ou à des amis (Mucho Miork, où chaque membre de KAVKAZZ chante dans sa propre langue).

On trouvera également dans Guli une complainte traditionnellement interprétée par des « techniciens de surface » géorgiens (Divoi Ne), un poème évoquant les montagnes de Svanétie (Lushnu Lile), une chanson narrant l’histoire cocasse mais dramatique d’une fille qui arrive constamment en retard (Echareba Gogonas), et une chanson humoristique de Mégrélie accompagnant une danse qui ne l’est pas moins, avec un refrain en forme de mantra grisé et grisant et des interventions vocales qui virent au foutraque (Chaguna).

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Le seul morceau instrumental du disque est composé au panduri par Fabien MORNET ; et son titre, Touches, est évidemment polysémique (des habitant de la Touchétie aux touches de l’accordéon en passant par les mises sur la touche, les attouchements amoureux ou les touches d’humour…).

Des thèmes profonds, voire douloureux, côtoient donc des sujets plus légers dans ce Guli qui ne manque pas d’inspiration ni de générosité, tout imprégné qu’il est de l’essence artistique caucasienne. Jouer, chanter et danser sont les trois fondements de l’art géorgien, et Guli s’adresse autant aux « Skheuli » (corps) qu’aux « suli » (âmes). KAVKAZZ y a bel et bien mis tout son cœur, et on l’entend résonner au-delà des chaînes de montagnes eurasiennes…

Stéphane Fougère

Page : www.facebook.com/kavkazzmusic

Label : www.tchailabel.fr

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