KILA – Live in Dublin
(Kila Records)
Quand on accède au rang de groupe de référence, d’icône représentative de la vitalité et du renouvellement d’un genre, on se doit tôt ou tard de fêter l’événement par un disque live susceptible de sensibiliser et de rassembler tout le monde autour de la cause. Le tour de KILA est arrivé. Ceux qui ignorent encore tout de ce groupe ferait bien de se mettre à la page dare-dare en écoutant ce live : qu’on se le dise, KILA fait partie, après THE CHIEFTAINS, PLANXTY et autres MOVING HEARTS, de ces monstres sacrés de la musique irlandaise, dans sa tendance progressive et ouverte, pour ne pas dire métissée. Attention, on ne parle pas ici de juxtaposition de genres, mais bien d’une fusion de divers aspects rythmiques ou mélodiques d’autres cultures dans le terreau irlandais de base. KILA, c’est de l’ »irish trad’ » qui aurait assimilé moult effluves des quatre coins du monde (Afrique, Europe de l’Est et du Sud, Asie, Amérique…) pour nourrir ses racines et revigorer ses branches.
Bref, ce Live in Dublin devrait contenter tant l’amateur de musique traditionnelle irlandaise que l’auditeur friand de mélanges transculturels, le fan transi comme le néophyte suspicieux. KILA se livre dans son authenticité artistique et scénique, avec une musique qui se caractérise avant tout par sa compacité et son énergie « sismique ». Regroupant plusieurs extraits de concerts donnés au Vicar St. et à l’Olympia Theatre de Dublin entre 2002 et 2004, ce disque est en quelque sorte une version améliorée du Live at Vicar St. paru subrepticement en 2000 et vite abandonné, car sans doute jugé trop moyen d’un point de vue qualitatif par le groupe, qui lui substitue donc, et à juste raison, ce Live in Dublin.
C’est d’abord deux morceaux inédits qui inaugurent ce disque live : Her Royal Waggledy Toes donne le ton, avec un tin whistle qui s’esbaudit sur une ligne de basse bien entêtante, bientôt rejoint par un ueillean pipes, sous les encouragements rythmiques de la batterie et des percussions. Le public s’invite d’emblée à battre la mesure. Pas de doute : KILA a déjà conquis son auditoire.
L’exceptionnel chanteur Ronan O’SNODAIGH fait son entrée sur Cabhraigi Léi, sa voix chaude et râpeuse évoquant celles de quelque désert africain. Le cyclothymique Dusty Wine Bottle et le très « pulsé » Tine Lasta, illustrent le passé (pas si lointain quand même) de KILA, et c’est ensuite dans le répertoire du dernier album studio, Luna Park (devenu disque d’or semble-t-il), que nous plonge ce live. On est accueilli en douceur avec le sémillant Bully’s Acre, et le tempo se ralentit encore pour cette rêverie éveillée qu’est Wandering Fish.
Suivent alors les trois pièces maîtresses de Luna Park, qui totalisent à elles seules une trentaine de minutes ! Et là, désolé, mais je crains fort que mes facultés d’écoute analytique ne soient submergées de superlatifs qui fusent tellement que je ne parviens pas à en arrêter la moitié sous ma plume !
Avec Grand Hotel, KILA prend vraiment son envol et se paye le luxe de fort belles acrobaties aériennes. Et comme si on n’était déjà pas assez haut, Glanfaidh Mé nous propulse dans un trip fulgurant type « psyché-trad », guitare électrique et uillean pipes étant chauffés à blanc, augmentés par les cordes du quartet CEATHRAR, avant que le clou ne soit définitivement enfoncé avec Luna Park qui, du haut de ses 12 minutes, se présente comme une composition à tiroirs multi-imagée et haletante tout à la fois. S’il fallait trouver une image pour évoquer l’effet que produit la succession de ces trois compositions, celle d’une ébullition orgasmique récurrente me paraît la plus appropriée.
Les deux derniers morceaux opèrent un salvateur retour au calme et présentent la particularité de n’avoir pas été enregistrés à Dublin, mais à Rouen pour le chant a capella (style « sean-nós ») Faoiseamh, interprété par Colm O’SNODAIGH, et à Sidney en 1999 pour Seo Mo Leaba. Ce dernier extrait additionne donc toutes les caractéristiques du hors-sujet, mais c’est pour la bonne cause : Ronan y déroule ses arabesques vocales aux côtés de l’illustre percussionniste indien Zakir HUSSAIN (ici au kanjira). KILA aurait eu bien tort de nous priver d’un tel souvenir, non ?
Étourdissant. C’est le qualificatif qui s’impose d’emblée pour qualifier KILA. Mais on a beau être gavés en fin de course, on est prêts à en redemander. Et pourquoi pas en DVD, la prochaine fois ?
Druidix
Site Web : www.kila.ie
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°16 – février 2005)