Ross DALY – White Dragon (with HUUN-HUUR-TU, TRIO CHEMIRANI, LABYRINTH, Giorgos XYLOURIS, Spyridoula BAKA)

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Ross DALY – White Dragon (with HUUN-HUUR-TU, TRIO CHEMIRANI, LABYRINTH, Giorgos XYLOURIS, Spyridoula BAKA)
(Aerakis)

On savait que le globe-trotter Ross DALY s’était passionné pour plusieurs musiques traditionnelles et qu’il avait appris à jouer quantité d’instruments, du sitar indien à la lyra crétoise en passant par le rubab afghan et le oud et le saz turcs. On connaissait moins son intérêt pour le chant diphonique, qu’il a découvert dans les années 1970 sur une cassette enregistrée par un ami qui n’avait hélas pas pris soin de lui indiquer les sources des morceaux ! Après de longues recherches, Ross DALY a fini par identifier la République de Touva comme étant la source de ce chant envoûtant !

Un hasard n’arrivant jamais seul, il a été proposé à Ross DALY en 2002 de travailler avec des représentants éminents de la musique touvaine alors de passage en Grèce pour deux concerts, le célèbre quartette HUUN-HUUR-TU en personne ! Cette fois-ci, il n’était plus question de rester coi devant « l’inquiétante étrangeté » du chant de gorge et ses fondations culturelles, mais de l’intégrer à un projet créatif comme n’importe quel autre idiome musical. Ross DALY a ainsi convié les membres de son groupe-atelier LABYRINTH et le chanteur et joueur de laouto (luth crétois) Giorgos XYLOURIS à participer à cette rencontre ponctuelle pour laquelle le temps de répétition fut drastiquement restreint, HUUN-HUUR-TU ayant débarqué le jour même du premier concert après une trentaine d’heures de voyage éreintant.

Mais la bonne volonté des uns et des autres a permis d’arriver à un résultat convaincant et à la promesse de renouveler et d’approfondir l’expérience dès que possible… ce qui fut fait un an plus tard, dans le village de Houdetsi, en Crète. HUUN-HUUR-TU put alors participer à une résidence avec LABYRINTH et prendre davantage de temps pour préparer un nouveau spectacle qui ne fut joué qu’une fois. White Dragon en est le miraculeux témoignage.

Compte tenu que c’était la première fois que le public de ce village crétois écoutait de la musique de Touva, HUUN-HUUR-TU, en qualité de « special guest », se taille la part du lion en termes de performance et de répertoire. Leurs fans se trouveront ici en terrain assez familier, puisque le groupe y joue plusieurs de ses « hits » (Ancestors, Chyraa Xor, Ekki Attar) et gratifie les auditeurs d’une (toujours) superbe prestation de chant diphonique dans les styles kargyraa et sygyt. Et c’est encore sur d’autres pièces du répertoire touvain que le croisement avec les autres musiciens et instruments a été conçu.

Ce métissage prend différentes formes. Sur le traditionnel touvain Jeyran, Ross DALY et ses acolytes à cordes de LABYRINTH développent des parties instrumentales entre les parties chantées de HUUN-HUUR-TU. Le support rythmique est assuré par rien moins que le réputé trio de percussionnistes iraniens de la famille CHEMIRANI (le père Djamchid et ses fils Keyvan et Bijan), qui ont déjà contribué à d’autres projets de Ross DALY et sur la science rythmique desquels on peut toujours compter.

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Ailleurs, on part d’un trad’ touvain (The Orphan’s Lament) sur lequel les chants de HUUN-HUUR-TU sont habillés par une armada de cordes crétoises et l’on glisse insensiblement vers des couleurs moyen-orientales par l’entremise des zarbs à l’unisson des CHEMIRANI, puis la clarinette d’Alexandros ARKADOPOULOS et la flûte ney de Hari LAMBRAKIS, pour finalement atterrir en territoire grec avec une chanson de Kostas ROUKOUNAS (Ime Orphanos Apo Paidi) interprétée par une chanteuse athénienne, Spyridoula BAKA, tandis que le santour d’Angelina TKATCHEVA prolonge une couleur orientale.

Un autre exemple de métissage nous est donné avec une chanson grecque (Mavra Mou Helidonia) entrelacée avec une chanson touvaine (The Exile’s Song), qui permet d’écouter simultanément les chants graves de HUUN-HUUR-TU et la gracieuse voix éplorée de Spyridoula BAKA, qui a assuré l’arrangement de ce mariage insensé mais tellement impressionnant. Quand vient le tour de Giorgos XYLOURIS de chanter, de sa somptueuse voix chaude et profonde, on est cette fois en territoire crétois (Exorise me I Moira Mou), ce qui n’empêche pas HUUN-HUUR-TU, à la fin de la chanson, de faire gronder leur voix sépulcrales et ainsi renforcer l’atmosphère déjà emprunte de gravité du morceau.

La pièce éponyme au disque sert de clôture sur laquelle on retrouve quasiment tout le monde pour un substantiel abattage en règle des frontières : les lyra, tarhu, laouto et saz de Ross DALY et de LABYRINTH, les pétillantes percussions des CHEMIRANI, la clarinette, le santour, tandis que les voix se partagent entre XYLOURIS et HUUN-HUUR-TU, qui case encore un autre trad’ de Touva, Doschpuluurum, dans ce final épique auquel manque la voix de Spyridoula BAKA.

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Sans relever d’un véritable concept de fusion musicale qui, eu égard au peu de points communs qui existent entre la musique des steppes de Touva et les traditions méditerranéennes, balkaniques et moyen-orientales explorées par Ross DALY, risquait de tourner court, White Dragon restitue un moment de partage unique et inattendu entre des musiciens situés aux antipodes qui, le temps d’un soir, ont cherché à s’entendre et à transporter leur public dans un périple sonore inédit.

Au fond, les musiciens impliqués dans White Dragon n’ont fait rien moins que tracer un nouvel itinéraire de la Route de la soie, qui passerait par la Crète pour s’achever dans les steppes touvaines. À défaut d’avoir pu assister de visu à cette mémorable rencontre, White Dragon permet de la revivre par procuration, nous faisant souhaiter qu’elle se renouvelle un jour plus près de chez nous…

Stéphane Fougère

Site : https://www.rossdaly.gr/

Label : www.aerakis.net

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n° 42 – Printemps 2009)

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