KING CRIMSON – The Night Watch
(Live at Amsterdam Concertgebouw, November 23rd 1973)
(Discipline Global Mobile)
Parue à l’origine en 1997, l’édition officielle de ce concert mythique de KING CRIMSON était attendue depuis bien longtemps par les fans et autres sympathisants, au point d’arriver un peu tard et de faire l’effet d’un pétard mouillé.
Primo parce qu’un coffret de 4 CD live, The Great Deceiver, avait déjà, en 1992, offert un panorama généreux de ce que le commando du Roi Cramoisi, dans sa formation de 1973-74, pouvait faire sur scène, notamment en matière d’improvisation, pratique à laquelle il se livrait régulièrement, générant quantité de pièces inédites à couper le souffle qui justifiaient amplement l’exploitation commerciale des archives du groupe.
Deuxio, parce que les improvisations jouées à ce concert du 23 novembre 1973 à Amsterdam figuraient déjà dans l’album Starless and Bible Black paru en 1974, de même que les versions des morceaux Fracture et The Night Watch (en partie), même si sous une forme remixée.
Tertio, parce que depuis le temps que le marché du disque pirate existe, les parties de ce concert qui n’ont pas été incluses dans l’album Starless and Bible Black ont été publiées maintes et maintes fois en version bootleg, parfois avec une belle qualité sonore, vu que ce concert a été diffusé à la radio. Par conséquent, tous les fans le connaissent déjà depuis belle lurette !
À défaut d’apporter beaucoup de matière inédite, cette publication officielle de double CD a au moins le mérite de couper l’herbe sous le pied des bootleggers, même si de manière tardive, et de restituter les pièces jouées lors de ce concert dans l’ordre. Ça ne veut pas dire pour autant que ledit concert figure en intégralité.
KING CRIMSON dans sa version quartet (Robert FRIPP, David CROSS, John WETTON et Bill BRUFORD) avait en effet pour habitude de démarrer ses concerts par une brève improvisation et d’enchaîner sur un de ses morceaux d’anthologie, Lark’s Tongues in Aspic – Part. One. Or, ce morceau ne figure pas dans The Night Watch. Mais il est plus que probable et indubitablement logique qu’il ait été joué. Apparemment, quelqu’un a juste oublié d’appuyer sur le bouton « on » en temps et en heure, ce qui fait que l’enregistrement démarre avec le deuxième morceau joué, Easy Money. En conséquence, cet album ne dure donc que 82 minutes, ce qui est plutôt court pour un double CD.
D’aucun se demandera en passant pourquoi ce concert de novembre 1973 n’a pas jadis été inclus dans le coffret The Great Deceiver, d’autant que ce dernier, censé retracer les périples scéniques de KING CRIMSON durant les années 1973-74, avait surtout laissé la part belle au concerts américains de juin 1974 (dont un qui a servi de base à l’album USA) et très peu de place aux concerts européens de l’automne 1973.
Mais la parution de ce concert d’Amsterdam dans The Great Deceiver était impossible du fait que le label EG détenait encore les droits des morceaux de ce concert publiés dans Starless and Bible Black. Le conflit opposant FRIPP à son ancien label ayant enfin été résolu (à grand peine… il n’est que de lire les épisodes juridiques de ce conflit retranscrits dans les pages des livrets des CD « crimsoniens » et « frippiens » parus sur DGM dans les années 1990 et 2000 ! Migraine garantie…), la bande du concert d’Amsterdam n’a pu voir le jour qu’après la sortie de The Great Deceiver.
Mettons donc un bémol à nos grognements et rallions-nous de bon cœur au proverbe « mieux vaut tard que jamais ». Et pour les simples curieux que rebute l’acquisition d’un coffret de 4 CD, ce double CD fait fonction de « digest » parfaitement recommandable. Quant aux fans, ils oublieront bien vite les versions bootleg, la qualité sonore étant ici bien meilleure.
Et puis, c’est vrai qu’il fut grandiose ce concert ! La suite instrumentale d’une vingtaine de minutes que constitue l’enchaînement de The Fright Watch (seule improvisation « officiellement » inédite), The Talking Drum et Lark’s Tongues in Aspic – Part. Two représente la quintessence de l’univers musical de KING CRIMSON, un sommet atteint lors d’un moment privilégié, magique, qui entraîne l’auditeur dans un état de conscience nouveau, l’encourageant à devenir plus exigeant dans ses choix musicaux…
En rappel, cette version incandescente et hallucinée de 21st Century Schizoid Man parachève sans faille aucune cette ascension vers le sublime inouï.
Enfin, qu’ajouter sur ce Trio qui n’ait déjà été dit (cf. la note de David CROSS dans le livret original) ? « CRIMSO » s’étant le plus souvent ordonné maître des cyclones métalliques et des brises dissonantes, on peine à croire qu’il ait pu accéder à une telle profondeur de sérénité douce-amère lors de cette improvisation bénie. Bill BRUFORD, dont on ne discute plus le talent et la science rythmiques, n’aura jamais trouvé de meilleur instant pour nous rappeler en toute humilité que, parfois, la meilleure façon de « se la donner », c’est encore de ne rien faire…
C’est dire si, en plus d’être un document à grande valeur historique qui éclaire les origines de l’album Starless and Bible Black, The Night Watch est également un joyau musical de premier ordre, assurément aussi indispensable que les trois albums de KING CRIMSON conçus par la formation FRIPP/CROSS/WETTON/BRUFORD.
Stéphane Fougère
Label : www.dgmlive.com
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°1 – février 1998,
et remaniée en 2018)