Kristen NOGUÈS – An Evor

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Kristen NOGUÈS – An Evor
(Coop Breizh)

Ce fut peut-être l’événement de l’année 1999 dans l’univers de la musique bretonne contemporaine, si tant est que le terme « événement » – qui, en général, a toujours une connotation mercantile dès qu’il s’agit de production discographique – puisse avoir un sens dans le contexte qui nous occupe… Toujours est-il que la parution d’un album solo de Kristen NOGUÈS est à saluer à sa haute valeur. Le premier album solo de la harpiste bretonne, Marc’h Gouez (1976), n’a pas reparu des limbes où il a été projeté depuis, et le panorama de la discographie bretonne essentielle en CD manquait cruellement de l’œuvre de Kristen NOGUÈS.

Presque dix ans après Kernelec, voilà donc qu’une nouvelle trace discographique de Kristen NOGUÈS émerge enfin.  An Evor comble donc un vide certain, car il devenait impérieux que l’esprit puisse s’abreuver à une source régénérante d’un tout autre acabit que celui des distractions musicales vélléitaires engoncées dans leurs soucis d’étiquette.

Certes, Kristen est le genre d’artiste à faire prendre le temps qu’il faut à son inspiration pour accoucher de compositions qui soient dignes d’être gravées. Mais son silence pouvait inquiéter… Pourtant, loin d’avoir disparue de la circulation, elle a les années précédentes participé au contraire à de multiples créations avec des personnalités aussi variées et respectables que John SURMAN, Yvon LE MEN, Jean-François JENNY-CLARK, Jacques PELLEN et sa CELTIC PROCESSION, Denez PRIGENT, Rabih ABOU-KHALIL, Manu LANN-HUEL, ou encore Yann-Fanch KEMENER pour le projet Karnag. Mais c’est justement cette persistance d’une présence en filigrane qui nous faisait regretter l’absence de toute création soliste de la part de la harpiste.

Bénéficiant de la direction artistique de Jacky MOLARD et de Jacques PELLEN, An Evor illustre le degré de développement et d’exigence artistiques auquel est parvenue sa conceptrice. Comprenez par là que Kristen NOGUÈS se fiche pas mal de savoir où il faut la classer et si son disque répond aux critères généralistes d’un style ou d’un mouvement, fut-il animé d’aussi bonnes intentions que celle de la défense et de la préservation de la culture celtique et bretonne, j’en passe et des meilleures…

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Kristen NOGUÈS se contente de se définir comme une compositrice bretonne, point barre. À partir de là, elle se donne toute latitude pour affranchir sa musique de tout repère trop marqué (ou remarqué). Du reste si l’on trouve encore dans An Evor des adaptations de pièces traditionnelles (Metig, Le Scorff, Gwerz Maro Pontkalleg), la majorité de l’album est constituée de compositions originales arrangées par Kristen et qui projettent l’auditeur dans des sphères musicales affranchies des codes usuels. On serait tenté de dire qu’elles se situent même au-delà des mots, si la pièce éponyme ne contenait un texte poétique d’Yvon LE MEN que Kristen récite tout en jouant. Mais sur les autres pièces, les notes  émanant des cordes de la harpe se suffisent à elles-mêmes.

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Matériellement parlant, Kristen NOGUÈS œuvre avec une harpe acoustique et une électro harpe dont elle a présenté le prototype en 1985. An Evor est donc « joué » par deux harpes, dont le rapprochement ouvre d’inouïes fractures paysagères sur le terrain du convenu.

Si la harpe acoustique est bien souvent associée, dans la conscience collective, à la culture celte, Kristen NOGUÈS ne l’utilise pas pour forcer le trait de sa connotation. Plutôt que de chercher à rendre sa musique « celtique », elle a tenu à montrer vers quels rivages sa « bretonnitude » lui permet d’accéder. Dans cette optique, l’électro harpe gomme plus encore les habitudes sonores générées par l’instrument de base et dépeint une dimension minérale animée de manifestations vibratoires aux fortes suggestions oniriques.

Constellations ivres et aurores boréales dansantes voient leurs couleurs frissonner au gré de l’imposition des doigts de notre fée des sons sur ses cordes, cordes dans lesquelles se délient les échos d’une nouvel univers sonique pour la harpe. Chez Kristen NOGUÈS, il est à portée de mains.

Stéphane Fougère

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°5 – octobre 1999)

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